La Presse Pontissalienne 156 - Octobre 2012

La Presse Pontissalienne n° 156 - Octobre 2012

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VAL DE TRAVERS Une parenté évidente “On est prêt à prendre

Pontarlier avec nous” Thierry Béguin, le président de l’association des

L a Presse Pontissalienne : Peut-on rap- peler la chronologie de cette procédu- re I.G.P. Côté suisse ? Thierry Béguin : L’association des pro- ducteurs d’absinthe du Val de Travers a été constituée en 2005. Il fallait mon- ter une interprofession si on voulait essayer de protéger notre produit. Puis on a déposé la demande d’I.G.P. à l’O.F.A.G. (Office fédéral de l’agriculture) qui nous l’a octroyé en 2010. Cette I.G.P. a été contestée avec 42 recours en provenance dumonde entier, notam- ment de France, d’Allemagne, des

U.S.A., sans oublier des producteurs suisses implantés hors du Val de Tra- vers. Fin août, l’O.F.A.G. a confirmé l’enregistrement de l’I.G.P. Mais cet- te décision a aussi fait l’objet d’autres recours au tribunal administratif fédé- ral à Saint-Gall. L.P.P. : Êtes-vous confiant sur le verdict ? T.B. : À mon avis, il faudra compter au moins un an pour statuer. En cas de rejet, les recourants auront encore la possibilité de saisir le tribunal fédé- ral. Notre I.G.P., on ne l’a pas encore. On en a au moins pour deux ans avant d’être définitivement fixé. Ce n’est pas encore gagné. L.P.P. : Que répondez-vous à ceux qui vous reprochent de vous approprier le mot “absinthe” ? T.B. : La généricité est le problème cen- tral dans cette affaire. Peut-on vrai- ment protéger le mot absinthe dans la mesure où c’est devenu un générique au même titre que l’eau de Cologne ou le savon deMarseille. L’O.F.A.G. a consi- déré que ce n’était pas un générique en s’appuyant sur une jurisprudence liée à la feta.Avant de déposer la deman- de I.G.P., notre interprofession était tenue d’effectuer des enquêtes démo- scopiques auprès d’un échantillon repré- sentatif de la population suisse. La majorité a répondu que le mot absinthe évoquait d’abord une boisson plutôt qu’une plante et en second lieu que

producteurs d’absinthe du Val de Travers, s’explique sur cette demande d’I.G.P. qu’il ne juge pas incompatible avec une démarche de protection transfrontalière.

cette boisson provenait d’abord du Val deTravers. Des textes historiques attes- tent qu’on parle d’absinthe dans le Val de Travers. L.P.P. : Cette interprofession représente com- bien de producteurs et quel volume d’absinthe ? T.B. : Elle compte une vingtaine de dis- tillateurs légaux qui bénéficient d’une concession de la régie fédérale des

quitté le Val de Travers pour venir pro- duire de l’absinthe à Pontarlier. Il y a une parenté évidente entre les deux productions. Que les distillateurs fran- çais ne soient pas contents, j’en conviens. Mais je suis surpris de la vivacité de la réaction du côté de chez vous. Dans notre esprit, cette I.G.P. n’est pas du tout contre les Pontissaliens. Si c’était possible, on serait tout à fait d’accord pour une I.G.P. transfrontalière. Mais cela n’existe pas dans les textes actuels. On ne souhaite pas du tout la guerre et on est prêt à prendre Pontarlier avec nous. L.P.P. : Par le jeu des accords bilatéraux, les Européens craignent un élargissement de cet- te I.G.P. à l’Europe, qu’en est-il ? T.B. : On vise la protection maximale. Pour l’instant, on ne peut rien faire contre des quantités de soi-disant absinthes qui sont en fait de vagues macérations en provenance des pays de l’Est et qui inondent les marchés. On cherche avant tout à protéger la qualité d’un produit. Propos recueillis par F.C.

Thierry Béguin, l’ancien procureur général du canton de Neuchâtel qui pourchassait les distillateurs clandestins préside aujourd’hui l’association des producteurs d’absinthe du Val de Travers.

alcools. Deux sont pro- fessionnels, les autres sont des petits produc- teurs artisanaux. Le Val de Travers, c’est entre 100 000 et 150 000 litres d’absinthe distillés chaque année. L.P.P. : Qu’est-ce qui unit Pon- tarlier au Val de Travers selon vous ? T.B. : Face à l’augmentation expo- nentielle des droits de douanes imposés par Napoléon III, Pernod a

“Ce n’est pas encore gagné.”

COOPÉRATION

Des interférences politiques

La route de l’absinthe entre parenthèses Le développement de cet itinéraire touristique franco- suisse est mis entre parenthèses et ne reprendra qu’une fois le conflit apaisé. Suspension de séance.

C ette route de l’absinthe est la première victime des dégâts col- latéraux générés par l’I.G.P. Absinthe. Dans un communi- qué, Nicolas Giger et Philippe Chapon de Pontarlier qui président l’association Pays de l’Absinthe expliquent en sub- stance qu’il en est ainsi de tous les vieux couples unis pour le meilleur et pour le pire. Ils parlent ainsi de “mariage pro- blématique” en imaginant la réaction des habitants de Couvet quand Henri- Louis Pernod vient ouvrir sa propre dis- tillerie à Pontarlier. De “mariage réus- si” au temps de la prospérité des distilleries qui ont pied à la fois à Pon- tarlier et auVal deTravers. De “maria- ge difficile” quand la Suisse bannit la fée verte avant la France. Cette union se transcende ensuite en “bonheur parfait” à la création de la route de l’absinthe. “Aujourd’hui, les difficultés passagères entre distilla- teurs et élus, à propos d’une I.G.P., sèment le trouble dans l’esprit du public. Troubles qui seront obligatoirement suivis - comme nous l’enseigne l’Histoire - d’une période plus faste, voire glo- rieuse pour les deux époux.” Les élus de part et d’autre de la fron- tière sont loin de partager ce discours très consensuel. Du moins du côté de Pontarlier. “On n’arrête pas mais on

suspend toute nouvelle action. Politi- quement, on ne remettra pas un euro de plus dans ce qui a été mis. Aujour- d’hui, les conditions ne sont pas réunies pour avancer sereinement” , confirme Patrick Genre qui souhaite avant tout s’investir pour faire avancer le plus rapidement plus l’I.G.Absinthe de Pon- tarlier. Il ne croit pas une seconde à la faisabilité d’une I.G.P. transfronta- lière. “Du pipeau” , estime-t-il. Les élus du Val de Travers ne com- prennent pas l’attitude de la ville de Pontarlier. Dans un communiqué, c’est très tendance actuellement, ils esti- ment que “disposer d’une I.G.P. ou d’une A.O.C. est un plus indéniable pour valoriser touristiquement le Pays franco-suisse de l’Absinthe…” Ils regret- tent aussi que cette I.G.P. “ne couvre pas l’entier du territoire du Pays de l’Absinthe. Cette situation est regret- table mais les inconvénients concrets qu’elle engendre restent mineurs en regard des gains que l’I.G.P. procure pour l’ensemble des acteurs du pays de l’Absinthe.” Pour eux, cette protection n’a aucune portée internationale et pourrait n’être qu’un premier pas vers une protection transfrontalière. “Ceci n’était malheu- reusement pas possible aussi longtemps que l’absinthe n’était pas légalisée côté

Philippe Chapon (photo) et son homologue Nicolas Giger jouent la carte de l’apaisement.

avant qu’il ne soit possible d’utiliser la dénomination absinthe en France. Pourquoi attendre finalement 2012 pour s’en offusquer ? Si cette deman- de d’I.G.P. dérange tant que ça, pour- quoi s’être engagé en connaissance de cause dans la Route de l’absinthe. C’est tout aussi hypocrite. “Le conseil com-

munal du Val de Travers a la sincère conviction que la confirmation de cet- te I.G.P. par le tribunal administratif fédéral serait non seulement une excel- lente nouvelle pour tous les artisans distillateurs du Val de Travers mais également pour le Pays de l’absinthe dans son ensemble.”

français, ce qui est désormais chose fai- te depuis peu.À ce sujet, le conseil com- munal du Val de Travers s’étonne des réactions virulentes de certains acteurs français qui qualifient la démarche I.G.P. de “coup dans le dos.” Pas faux, car cette demande de l’interprofession du Val de Travers a été déposée bien

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