La Presse Pontissalienne 133 - Novembre 2010

DOSSIER

La Presse Pontissalienne n° 133 - Novembre 2010

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POINT DE VUE

Un ouvrier critique “Être pauvre dans le Haut-Doubs est une tare” Pour réussir socialement, faut-il gagner

L a Presse Pontissalienne : Vous dites qu’il faut arrêter de présenter le Haut- Doubs comme un eldorado. Pourquoi ? Christophe Roy : On a l’impression que les gens du Haut-Doubs vivent dans une bulle : les entreprises réussissent, les salariés sont bien payés, heureux d’aller au travail. On n’évoque peu le chômage, la pauvreté et la difficulté de trouver un logement. On occulte les 3 000 euros par mois ? À 40 ans, Christophe Roy s’interroge sur cette réussite sociale véhiculée par les frontaliers. Coup de gueule d’un ouvrier du Haut-Doubs.

Christophe Roy qui travaille dans le canton de Maîche dénonce des rapports sociaux faussés dans le Haut- Doubs.

mauvaises conditions de travail… Dans le Haut, on est fier d’afficher son argent au point que c’est une tare d’être pauvre ! L.P.P. : On pourrait penser à de la jalousie de votre part… Enviez-vous les frontaliers ? C.R. : Ce n’est pas du tout la jalousie mais j’avoue que j’ai un complexe : ici, les gens se concentrent sur leurs biens matériels.

“Des ouvriers français

font aussi une heure de trajet.”

Vous avez réussi parce que vous avez une belle voiture, une grande maison… Le Haut-Doubs est une région favori- sée certes, mais une région peu soli- daire du reste de la France, peu encli- ne à la solidarité nationale…Les gens

sont austères. Ils aiment montrer leur richesse. Encore une fois, on juge une personne par rapport à sa réussite sociale, on dénigre les pauvres, les chô- meurs, les immigrés. Vous savez, des travailleurs français font aussi une

heure de trajet pour se rendre à leur travail. Je ne pense qu’un frontalier soit plus méritant qu’un autre. L.P.P. : Si vous faites ce constat, c’est que vous êtes insatisfait de votre situation ? C.R. : Je suis content de pouvoir tra- vailler pour mon pays, j’ai la sécurité de l’emploi, de bonnes conditions de travail dans la scierie pour laquelle je travaille. Je peux par exemple venir manger le midi chez ma mère avec laquelle je vis. L.P.P. : Vous êtes diplômé d’un B.T.S. en élec- tronique. Pourquoi n’avoir jamais tenté de trouver un poste en Suisse ? C.R. : Peut-être parce que je n’ai peut- être jamais réussi à me vendre. Tant que j’ai mon emploi ici à Cour-Saint- Maurice, que tout se passe bien avec mon patron et dumoment que l’on peut évoquer un problème s’il y en a un, je n’ai aucune raison d’aller là-bas.

L.P.P. : Concrètement, comment vivez-vous au jour le jour cette mise à l’écart du Haut-Doubs ? Donnez-nous des exemples. C.R. : Ici, il y a des personnes qui pour- raient bénéficier d’aides en matière de logement ou de nourriture mais elles ne le demandent pas, justement pour ne pas être montrées du doigt. Je dis que les rapports entre les gens sont faussés. Je ne pense pas que dans le Nord de la France cette différence soit aussi marquée qu’ici. J’ai été deman- deur d’emploi il y a quelques années et à chaque fois que je me suis rendu à l’agence de Morteau, je suis revenu bredouille. On a l’impression de bras- ser du vent et on considère que ceux qui n’ont pas d’emploi ici le veulent bien ! Lorsque je lis les articles consa- crés à la réussite frontalière, ça me déprime : j’ai l’impression d’être un bon à rien. Je ne suis pas seul dans ce cas. Propos recueillis par E.Ch.

HAUT-DOUBS Quand le salaire ne suffit pas Un complément de revenu pour les ménages les plus pauvres Ils travaillent, mais le montant de leurs revenus est insuffisant pour faire face aux charges courantes. Afin de les aider à sortir de la précarité, le Département verse aux salariés qui en font la demande le “R.S.A. Activité”.

E ntre le 1 er juin 2009 et le 30 sep- tembre 2010, le Conseil géné- ral du Doubs a versé 53,7 mil- lions d’euros aux bénéficiaires du R.S.A. (revenu de solidarité acti- ve). Moins de 2,5 % des ménages per- çoivent cette allocation dans les can- tons de la bande frontalière à l’exception de celui de Pontarlier où la fourchet- te se situe entre 2,5 % et 3,4 %. La proportion des ménages qui accèdent

en Franche-Comté. “Pour un tiers d’entre eux, il s’agit de familles mono- parentales” observe Luce Charbon- neau, directrice de l’Efigip (emploi, formation insertion Franche-Comté). Cet organisme a rendu une étude sur l’attribution du R.S.A. dans la région en collaboration avec les caisses d’allocations familiales régionales. “Nous remarquons qu’il y a également plus de couples parmi les foyers béné- ficiaires du R.S.A Activité seul.” Des travailleurs pauvres sont concer- nés par cette allocation. 30 % des allo- cataires ont moins de trente ans et 18 % ont plus de 50 ans ! Les femmes seules et les familles mono- parentales “sont surreprésentées par- mi lesménages bénéficiaires du “R.S.A. Activité” seul. En revanche, les hommes seuls sont sous-représentés” Le montant de cette allocation perçue par les ménages qui ont un revenu ne dépasse pas les 100 euros par mois dans la majorité des cas. Ils sont une minorité à se voir attribuer un com- plément de revenus supérieur à 200 euros.

cette somme importante est versée en complément de revenu sous la forme du “R.S.A. Activité” à des personnes qui ont un travail en France mais dont le salaire est jugé insuffisant pour fai- re face aux charges quotidiennes (7 871 foyers en Franche-Comté). Intérim, temps partiel, celles qui perçoivent le “R.S.A. Activité” gagnent moins de 1 000 euros par mois (le S.M.I.C. est à 1 343,77 euros pour 35 heures par semaine). “Les salaires français ne sont pas adaptés pour vivre ici. Dans un couple, il en faut au moins un des deux qui travaille en Suisse” lâche un demandeur d’emploi à la sortie de Pôle Emploi. D’un canton à l’autre du Haut-Doubs, on observe que la part des ménages qui accèdent au “R.S.A. Activité” est très variable. Par exemple, sur l’ensemble des bénéficiaires du R.S.A., dans le canton du Russey, plus de 43 % des gens perçoivent le “R.S.A. Activi- té” alors qu’ils sont moins de 37 % dans le canton de Pontarlier et moins de 31,9 % dans le canton de Morteau. Le profil des ménages qui ont droit à cette allocation dans le Haut-Doubs est globalement le même qu’ailleurs

aux R.S.A. dans le Haut-Doubs est donc inférieure à lamoyen- ne franc-comtoise qui est de 5%, soit 28 500 foyers. Cette dispa- rité est liée aux situa- tions locales du mar- ché du travail. La proximité de la Suis- se est évidemment un facteur favorable qui tire vers le haut le marché du travail. Néanmoins, comme l’emploi n’est plus synonyme d’autonomie finan- cière, une partie de

“Les hommes seuls sont sous- représentés.”

Source Conseil général

T.C.

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