La Presse Pontissalienne 127 - Mai 2010

LE DOSSIER

La Presse Pontissalienne n° 127 - Mai 2010 FRANCE-SUISSE : LA FRACTURE 15

Le recueil de cartes et d’analyses récemment publié par la Communauté d’études pour l’aménagement du territoire (C.E.A.T.) qui dépend des cantons romands met en évidence la dynamique transfrontalière et ses conséquences sur la démographie et l’aménagement du territoire. Analyse. Le match population-emploi L’effet frontière joue à fond La dynamique du travail frontalier se répercute de façon très contrastée dans l’Arc jurassien. Elle favorise la croissance et le rajeunissement des communes frontalières françaises. La main-d’œuvre frontalière permet de faire tourner l’industrie horlogère et microtechnique des montagnes jurassiennes suisses où la population stagne et tarde à se renouveler. Les enjeux de ces deux territoires interdépendants sont forcément différents. La fracture semble profonde même si des réflexions sont engagées pour réduire ces différences et conforter l’économie transfrontalière. Dossier. FRONTIÈRE

Trois questions à Martin Schuler, directeur de la C.E.A.T. Des conditions favorables à la pendularité Martin Schuler a réalisé une bonne partie des analyses de ce recueil de cartes. Il revient sur la dimension transfrontalière de l’Arc jurassien. L a Presse Pontissalienne : Ces cartes (voir page suivante) présentent l’Arc jurassien sous une orientation inhabituelle, com-

ment justifier ce choix ? Martin Schuler : Ce travail sur l’Arc Juras- sien a été commandé et financé par la partie suisse de la C.T.J. Il bénéficie notamment du soutien de Pascal Brou- lis, l’actuel président du gouvernement vaudois qui souhaite donner plus de poids aux cantons romands. Ce cahier devait initialement se concentrer sur la Suisse. On a insisté pour qu’il soit trans- frontalier en présentant une informa- tion la plus large possible sur l’Arc juras- sien. Avec la volonté d’inclure sur la même carte les agglomérations de Genè- ve et Bâle dans le sens nord-sud et Besançon et Berne d’ouest en est, d’où cette orientation spécifique. Toutes les cartes ont été réalisées par Alain Jar- ne, géographe à la C.E.A.T. L.P.P. : L’effet frontière est assez saisissant sur la partie centrale de l’Arc jurassien en associant

L’ économie transfrontalière entre la France et la Suisse s’organise en trois pôles bien distincts avec à chaque extrémité les bassins Pays de Gex-Genève et Mul- house-Bâle. Entre les deux, on trou- ve la Franche-Comté et plus précisé- ment le Haut-Jura et le Haut-Doubs. Le contraste s’observe déjà au niveau des infrastructures de transport. Côté train, le réseau suisse présente une

relativement tardif du réseau auto- routier a certainement eu un impact sur le développement économique de l’Arc jurassien. En même temps, il a permis de maintenir un marché de l’emploi industriel partiellement pro- tégé, du fait de son éloignement, de la concurrence des agglomérations situées en dehors du massif. Les échanges de populations entre la France et la Suisse ont toujours exis- té. Le premier essor du travail fron- talier remonte à la décennie 1960- 1970. Puis il s’effondre avec la crise horlogère suisse. La chaîne des pen- dulaires s’installe véritablement dans le massif à partir de 1980. Elle se ren- force de façon significative entre 2000 et 2008. L’analyse de l’évolution de la population depuis 1990 oppose d’une manière générale une Franche-Com- té à croissance réduite et un Plateau suisse à taux de croissance très sou- tenu. Le long de la bande frontalière, on observe exactement le phénomène inverse et qui s’accentue même depuis 2000. Les communes du Haut-Jura et du Haut-Doubs proches de la frontiè- re et des bassins d’emploi de la vallée de Joux, du Locle et de La Chaux-de-

Fonds se démarquent par une aug- mentation sensible de leurs habitants. Alors qu’en face, les communes fron- talières suisses voient leur population diminuer ou stagner. Le déclin démographique est particu- lièrement net dans le Val de Travers. L’arrivée massive de jeunes actifs atti- rés par la dynamique de l’emploi fron- talier explique cette situation contras- tée. Elle l’amplifie même avec une surreprésentation des actifs âgés de 15 à 39 ans dans les communes fron- talières françaises. Il s’agit avant tout d’ouvriers. La répartition spatiale des professions intellectuelles et des cadres se superpose aux grandes agglomé- rations : Genève, Lausanne, Neuchâ- tel, Bâle ainsi que Belfort et Besan- çon. Dernier angle qui corrobore ces échanges entre lieu de vie et bassin d’emploi : les flux de frontaliers. On retrouve au cœur du massif, la région de Morez à Pontarlier, qui arrose le Jura Vaudois ainsi que l’axe Morteau- Maîche où la moitié des actifs traver- sent la frontière pour aller travailler dans l’agglomération du Locle-La Chaux-de-Fonds. F.C.

L’originalité du modèle transfrontalier jurassien repose sur des raisons historiques et géographiques selon Martin Schuler, le rédacteur de cette étude.

la vitalité démographique française et le dynamisme industriel suisse. Qu’en pensez-vous ? M.S. : Cette région partage déjà un patrimoine industriel commun. On retrou- vait les mêmes branches d’activités de part et d’autre de la frontière, notam- ment du côté du Pays horloger. L’industrie de l’Arc jurassien suisse a connu une croissance assez incroyable de 2000 à 2008. C’est unique en Suisse. L’ampleur du phénomène et sa rapidité nécessitaient de recruter de la main- d’œuvre étrangère car l’outil de formation n’était pas adapté à ce boom industriel. Pourquoi cette situation proche de la frontière est-elle si avan- tageuse pour l’industrie ? Au-delà des raisons historiques d’une production tournée essentiellement vers l’exportation, la région est située de façon rela- tivement périphérique par rapport aux grandes villes des piémonts juras- siens. Avec cette petite protection de distance, il n’y a pas de concurrence directe sur la pendularité. L.P.P. : Cette étude soulève-t-elle d’autres thématiques à approfondir ? M.S. : On s’est limité à une approche analytique sans aller vers des projec- tions démographiques ou économiques. Il serait intéressant de connaître la provenance de la main-d’œuvre frontalière. De savoir aussi comment s’organisent les recrutements dans les entreprises suisses. Propos recueillis par E.Ch.

densité et des fré- quences nettement supérieures au réseau français qui n’a jamais été reconstitué après les lourdes destruc- tions subies pendant la seconde guerre mondiale. Les deux axes autoroutiers qui traversent l’Arc juras- sien sont l’axe de la Transjurane presque terminé côté français mais pas encore ache- vé côté suisse et l’axe Vallorbe-Pontarlier- Besançon qui n’est achevé que côté suis- se. Le développement

Une surreprésen- tation des actifs âgés

de 15 à 39 ans.

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