La Presse Bisontine 98 - Avril 2009

La Presse Bisontine n° 98 - Avril 2009

20 DOSSIER

Les détenus condamnés peuvent se porter volontaires pour travailler. Un atelier est aménagé spécifiquement dans la maison d’arrêt où se fabriquent des pièces pour des entreprises locales. Mais la crise actuelle fait fondre les effectifs… Travailler pour ne pas perdre pied ATELIER Une vingtaine actuellement

I ls assemblent, montent, bricolent, percent. Actuellement, derrière les grilles de ce vaste local bien éclai- ré, une vingtaine de prisonniers

prestataire privé, la société S.I.G.E.S., lui-même en lien avec plusieurs entre- prises du Grand Besançon qui lui confient des tâches de sous-traitance. En ce moment, c’est une société bison- tine de fabrication de stands, un fabri- cant de ressorts et une société de com- posants électroniques qui donnent du travail à ces détenus. Mais la crise frappe aussi l’atelier de la maison d’arrêt de Besançon. Au lieu

des 40 travailleurs qu’il occupe habi- tuellement, l’atelier en emploie une petite vingtaine en ce moment. “C’est dur pour tout le monde” confirme le responsable d’atelier. Pour ces détenus, travailler est une impérieuse nécessité. Pour ne pas perdre le lien avec la “vraie vie”, mais surtout pour vivre un peu plus décem- ment leur incarcération. Ou encore pour contribuer à faire vivre sa famil- le à l’extérieur. Le problème, c’est que le travail est insuffisant pour assurer une occupation à tous les prisonniers. Les autres, qui sont en liste d’attente, rongent toujours leur frein dans leur cellule. J.-F.H.

s’affairent. Du matin à l’après-midi 16 heures, sous le regard plutôt bienveillant de gar- diens, ces détenus volontaires travaillent pour le compte d’un

“C’est dur pour tout le monde.”

Témoignages

Ils parlent de leurs conditions

Paul*, condamné à six ans : “C’est le système démerde” “O n est obligé de travailler parce que les gens ignorent que la prison, ça coûte cher. Certes on est nourri, mais tout le reste est payant si on veut améliorer l’ordinaire. Ne serait-ce que pour avoir du sham- pooing. Voilà six mois que je suis ici, on ne m’en a donné qu’une seule fois ! Alors on est obligé d’en acheter. La télé aussi coûte cher, 16 euros par mois par détenu et même si on est deux dans une cellule, c’est 16 euros multipliés par deux. Et la prison sans télé, ce n’est pas tenable. On est obligé de tra- vailler. Il y a aussi pour certains à payer l’indemnisation des victimes, cer- tains envoient de l’argent à leur famille et une autre partie est bloquée pour notre libération. En prison, c’est le système démerde. Mais il ne faut pas fai- re croire que l’on gagne bien sa vie pour autant. Selon les gars, c’est entre 80 et 250 euros par mois, pas plus. On est pire que des petits Chinois. Mais pour moi, travailler, c’est indispensable, obligatoire.” Steeve, condamné à 19 mois : “On trouvemieux le sommeil après” “M oralement, le travail, c’est vital pour moi. Et bien sûr pour vivre, car je ne reçois que très peu de mandats, ma famille n’a pas de moyens. Je ne pourrais pas me passer de travailler. Après une journée de travail, on trouve mieux le sommeil. Et ça permet de payer le nécessaire, le tabac, un peu de nourriture, des produits frais, la télé… Sur- vivre quoi ! Celui qui bosse et qui en veut, il n’a aucune raison d’être déclas- sé, dans la division 2 par exemple, où c’est le plus chaud avec les détenus les plus bordéliques.” * les prénoms ont été changés pour respecter strictement l’anonymat des détenus

L’atelier de la maison d’arrêt emploie une vingtaine de personnes actuellement, contre plus de 40 avant la crise.

L’ancien huissier installé dans le Haut-Doubs parle de son expérience de la prison. Après avoir été déchu de ses fonctions, il a dû purger une peine à la maison d’arrêt de Besançon. “On sort forcément moins bon d’un séjour en prison” TÉMOIGNAGE Un ancien détenu

L a Presse Bisontine : Vous avez été condamné en juin dernier pour détournement de fonds, à trois ans de pri- son (dont deux avec sursis) et à une interdiction d’exercer l’activité d’huissier pendant cinq ans. De votre peine, vous avez déjà purgé quatre mois de prison à la Butte à Besan- çon. Comment s’est passé cet épisode ? Olivier Saillard : J’ai été emprisonné du 15 octobre 2002 au 13 février 2003. J’y suis entré le jour de mes 50 ans, ça ne s’oublie pas. En 2000, j’avais changé de vie en descendant dans le Sud de la France jusqu’au jour où on m’a convoqué au commissariat de Besan- çon. Il manquait certaines pièces à mon dossier, j’ai passé 48 heures en garde à vue avec la brigade finan- cière. Le soir même, on m’a emmené à la Butte.

L.P.B. : On ne ressort pas indemne d’un tel séjour derrière les barreaux ! O.S. : Se retrouver nu dans un couloir, ça ne fait plai- sir à personne. Ensuite, ça a été très dur de retrou- ver des gens que j’avais côtoyés dans un autre contex- te car quand j’étais plus jeune, je venais souvent à la Butte pour signifier des actes de procédure. Sinon, je n’ai rien à redire du système pénitentiaire fran- çais. À part la saleté, je n’ai rien à reprocher. Ceci dit, on sort forcément moins bon d’un séjour en pri- son. La prison détruit des vies complètes. En même temps, on en sort quand même enrichi. J’y ai ren- contré des gens hors du commun. L.P.B. : Comment avez-vous vécu ce statut d’homme de jus- tice condamné par la justice ? O.S. : Je ne me suis pas laissé aller. Dès le départ, j’ai été pris en charge par l’aumônier de la prison. Puis j’ai été “cantinier”, c’est-à-dire que je m’occupais de la gestion des comptes de prisonniers qui met- tent de l’argent de côté pour s’acheter des choses pour améliorer l’ordinaire. J’ai eu la chance d’avoir ce boulot et que le courrier me parvienne rapide- ment à la Butte, venant d’une quinzaine d’amis qui me sont restés fidèles. Les autres m’ont dit ensui- te qu’ils avaient perdu mon adresse… Propos recueillis par J.-F.H.

Olivier Saillard a été condamné en juin dernier à trois ans de prison, dont deux avec sursis.

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