La Presse Bisontine 90 - Juillet-Août 2008

ÉCONOMIE

La Presse Bisontine n°90 - Juillet-août 2008

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INTERVIEW

Entreprise Thévenin-Ducrot “On peut parler de choc pétrolier” Nicolas Ducrot est à la tête de la société Thévenin-Ducrot, basée à Pontarlier, qui gère près de 450 stations-service en France. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les distributeurs de carburants subissent aussi de plein fouet le phénomène actuel.

Nicolas Ducrot est le directeur général de la société Thévenin- Ducrot Distribution. Il est assisté d’Émeric Marin, res- ponsable des achats pétroliers.

L a Presse Bisontine : Les augmentations successives des tarifs de l’essence paraissent incontrôlables. Que se pas- se-t-il ? Nicolas Ducrot : Quand je suis arrivé dans la société, à l’automne 1998, le baril de dollar était à moins de 10 dollars. En dix ans, son prix a presque été mul- tiplié par 15 et pire, il a été multiplié par 2 en à peine un an. En janvier 2007, il était à 60 dollars. Le phénomène nouveau, c’est la vola- tilité des prix à l’intérieur même d’une journée. Lematin, le pétrole peut perdre 10 dollars et en gagner 40 l’après-midi. Ces mouvements incessants sont dus en partie à la spéculation et à une géo- politique instable : la moindre annon- ce d’un dirigeant entraîne des varia- tions des cours. Enfin, l’émergence des pays comme la Chine, l’Inde et d’autres, très demandeurs dematières premières, participe à l’envolée des cours. Si tous les Chinois se mettaient à consommer sur le rythme des Américains, on esti- me qu’ils absorberaient l’intégralité de la production mondiale de pétrole. L.P.B. : Le pétrole est également devenu un produit de spéculation ? N.D. : Oui, comme toutes les matières premières, y compris agricoles. Jus- qu’à il y a trois ans, les investisseurs se consacraient au marché-actions. Peu à peu, ces investisseurs, et notam-

ment les fonds de pension américains, se sont repliés sur les matières pre- mières car les valeurs traditionnelles étaient moins fiables. La crise améri- caine des subprimes n’a fait que ren- forcer cette crainte des valeurs tradi- tionnelles et ce repli vers les matières premières.Ajoutons à cela les menaces d’attentats, les déclarations des uns et des autres…Tout est réuni pour fai- re augmenter les prix. Désormais, je crois que l’on peut parler de choc pétro- lier. L.P.B. : À qui profite le “crime” ? N.D. : D’abord aux pays producteurs qui

L.P.B. : Et pour une société comme la vôtre, c’est une bonne nouvelle ces augmentations successives ? N.D. : C’est une très mauvaise nouvel- le car on est également des acheteurs de matière première, à notre niveau. On arrive en bout de chaîne car on achète sur les marchés des produits raffinés. En ce moment, on essaie d’acheter tous les jours pour essayer d’écrêter les pics et les creux. Ce qui compte pour nous, c’est d’arriver à équilibrer nos gains et nos pertes. Cet exercice est très difficile en ce moment. L.P.B. : Vous qui gérez 443 stations-service en France, quelles sont les conséquences de cette conjoncture ? N.D. : Nous subissons énormément ces augmentations. Concernant le gasoil, nous avons un seuil psychologique à 1,50 euro. On a longtemps “tiré” pour ne pas le dépasser jusqu’à ce qu’on n’ait plus le choix. Nous sommes obli- gés de réagir au jour le jour sur les prix à la pompe. Il y a dix ans, on chan- geait les prix une fois par mois, il arri- vait que les prix ne changent pas pen- dant six mois. En ce moment, c’est tous les jours. Dans nos stations situées à la sortie de Pontarlier en direction de la Suis- se, nous avons enregistré une baisse de 40 % de notre volume. Globalement, fin mai, la consommation de super 95

ont très bien renégocié leurs contrats avec les compagnies pétrolières qui exploitent les gise- ments et également à ces compagnies dont les profits explosent. En matière pétrolière, c’est surtout l’extraction et le raffinage qui rapportent le plus. La distribution, ce n’est que 3 à 4 % du prix final. Pour les com- pagnies, les coûts d’extraction sont les mêmes que ces dernières années. Du coup, leurs profits s’envolent.

chers de se chauffer.Certaines personnes qui s’étaient mises au granulé bois en sont revenues. L.P.B. : Peut-on tenter de tracer l’évolution des cours du pétrole pour les prochains mois ? N.D. : C’est impossible. Certains obser- vateurs affirment que ça va baisser grâ- ce à l’éclatement de cette bulle spécula- tive actuelle. D’autres disent que le prix du pétrole, du fait de la demande qui ne baissera pas au niveau mondial et des tensions géopolitiques internationales, ne pourra pas baisser. Nous essayons de nous débattre dans ce contexte. Propos recueillis par J.-F.H.

et 98 était en baisse de 6,6 % par rap- port à fin mai 2007. L.P.B. : Vous réalisez 65 % de votre activité dans la distribution de carburants et donc un tiers dans le fioul domestique dont vous êtes le 5ème distributeur national. Comment réagis- sent vos clients qui se chauffent au fioul ? N.D. : Beaucoup de gens avaient com- mandé 300 litres en mars, pensant que les beaux jours allaient s’accompagner d’une baisse des prix. De plus en plus, nous faisons deux ou trois voyages auprès de chaque client qui ne veut plus ou ne peut plus remplir sa cuve en une seule fois. Malgré tout, les gens s’aperçoivent que finalement, le fioul reste un des moyens les plus simples et les moins

“Dans certaines de nos stations, c’est moins 40 %.”

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