La Presse Bisontine 50 - Décembre 2004

L’ÉVÉNEMENT

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Une entreprise récemment ins- tallée dans une commune proche de Besançon suscite la colère de la profession dumeuble. Dis- crètement installée, elle n’en uti- lise pas moins des méthodes de vente particulièrement agres- sives basées sur le démarchage téléphonique. Sans publicité, elle réussit à attirer de nombreux clients alléchés par les cadeaux promis. Mais les prix affichés sur place ont de quoi effrayer. Cet- te pratique à la limite de la léga- lité n’est pas nouvelle mais fait toujours de nombreuses vic- times. Les services administra- tifs assurent qu’ils veillent. De leur côté, les professionnels du meuble tentent de se protéger. Et les clients lésés ne peuvent que regretter d’avoir cédé au discours particulièrement affû- té de ces vendeurs sans scru- pule. Témoignages. Soupçons d’arnaque au meuble dans le Grand Besançon

L’ÉVÉNEMENT

C ANTON D ’A UDEUX

Des salons à près de 15 000 euros

Cuir plus cuir = arnaque ? L’enseigne “Cuir plus cuir” est installée depuis quelques semaines dans un local commercial à Champagney, dans le canton d’Au- deux. Les pratiques commerciales de ce magasin spécialisé dans les salons en cuir font grincer les dents des consommateurs et des marchands de meubles de la région. Enquête.

C omme dans une véritable fourmilière, les vendeurs s’activent. Téléphone por- table à l’oreille pour l’un, bon de com- mande en main pour celui-ci, vifs palabres entre deux autres vendeurs pendant qu’un dernier entreprend des négociations avec un couple de futurs clients. Devant le magasin, un camion de location est prêt à être chargé de quelque salon en cuir. Pour un mercredi soir, l’ambiance est plutôt agitée dans ce magasin de meubles perdu au milieu des champs, au bout d’un chemin à Champagney. Cette commune du canton d’Audeux abrite depuis plusieurs semaines dans un hangar pri- vé, les activités commerciales d’une enseigne d’ameublement : “Cuir plus cuir”. Jusque-là, rien d’anormal, si ce ne sont l’empressement et la nervosité apparente des employés. On ne trouvera nulle part dans les journaux locaux, une quelconque publicité pour cette nou- velle enseigne. Pourtant, on s’y bouscule toutes les fins de semaine, les jours d’ouverture du magasin. La recette est simple. “Cuir plus cuir” ne pra- tique que le démarchage téléphonique. Lamétho- de est éprouvée, simple et apparemment effi- cace. Basée sur le démarchage téléphonique, à coups de cadeaux promotionnels, la technique

de vente est construite pour attirer le badaud, l’invitant à venir retirer le cadeau promis au téléphone, cafetière pour madame ou perceuse pour monsieur. Règle d’or : il est impératif de venir en couple. Une fois le couple sur place, il est pris en charge par un premier vendeur puis un deuxième. Au terme d’une technique de ven- te très bien rôdée, le bon de commande est sur la table, n’attendant plus que la signature du client. Seulement, les prix affichés ont de quoi effrayer : plus de 14 000 euros (soit près de 100 000 F) pour ce salon canapé 2 et 3 places en cuir, plus de 12 000 euros pour cet autre ensemble. “Même le plus cher de mes produits n’atteint pas ce prix” commente un professionnel dumeuble de Besan- çon. Le client ne paiera pourtant pas ce prix. C’est là qu’interviennent dans la discussion d’autres arguments imparables : “d’après votre numéro de cadeau, vous avez encore droit à une réduction de X centaines d’euros” , ou encore “on vous reprend votre ancien salon pour X euros.” Au final, le client a l’impression d’avoir béné- ficié d’une réduction vertigineuse. Il paiera son salon aux environs de 5 000 euros. Certes deux foismoins cher que le prix affichémais aumoins deux fois plus que sa vraie valeur marchande. Quant au salon repris, il finira sa vie derrière

Le magasin se situe au bout d’un chemin, vers la zone artisanale de Champagney.

ment en Italie.” Même entre eux, ils ne sem- blent pas d’accord. La direction régionale de la consommation, concurrence et répression des fraudes (D.R.C.C.R.F.) assure “être sur ce dossier. C’est le troisième cas porté à notre connaissance dans le Doubs. On relève les éventuelles infractions et on les transmet à la justice. Je pense que ces pratiques seront sanctionnées. Mais le temps que la machine administrative et judiciaire se mette en route, ils auront certainement cessé leurs activités dans le secteur et seront repartis ailleurs” commentent non sans une certaine impuissance les services de la répression des fraudes. Le grand souci est de trouver la faille dans un système bien huilé et dans le contexte de la liberté du commerce et des prix. L’étiquetage, la qualité des cuirs, tout semble conforme lorsque l’on visite le magasin. C’est bien le paradoxe de ce genre de pratiques qui se situent aux limites de la légalité mais ce qui est sûr, dans la plus parfaite malhonnêteté intellectuelle. ! J.-F.H.

le hangar. “Ces derniers temps, ils brûlaient sys- tématiquement tous les canapés qu’ils récupè- rent derrière leur hangar. J’ai demandé à la préfecture de leur infliger un avertissement” commente Claude Voidey, le maire de Cham- pagney. Cette pratique qu’on pourrait assimiler à de la vente forcée est également basée sur la loca- tion à bail précaire. C’est ce que les profes- sionnels du meuble ont coutume d’appeler “la politique de la terre brûlée” qui s’appuie sur le principe suivant : des enseignes s’installent à un endroit, sur la base d’un bail précaire, en faisant du battage téléphonique. Puis ils s’en vont au bout de quelques mois après épuisé le terrain. À Champagney, selon la mairie, le bail commercial a été signé en janvier dernier pour une durée d’un an. D’ailleurs,les vendeurs ont confirmé qu’ils cherchaient “un nouveau local plus grand pour la fin de l’année.” L’origine des canapés est tout aussi floue. Selon un des vendeurs, ils seraient fabriqués dans le Sud-ouest (la société a son siège dans la région de Bordeaux), d’après la version d’un autre, “les salons sont achetés dans toute l’Europe, notam-

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