La Presse Bisontine 274 - Mars 2025

6 L’interview du mois

Mars 2025

ÉCONOMIE

Le directeur départemental de la Banque de France

“Recul de l’inflation, baisse des taux et ralentissement économique” C’est le cocktail de l’année 2025 pour l’économie française et les entrepreneurs de la région. D’ordinaire optimiste, le directeur départemental de la Banque de France ne cache pas ses craintes pour nos entreprises cette année. Analyse et commentaires.

Q u’annoncent les experts de la Banque de France pour cette année économique 2025 ? Laurent Quinet : Pour cette année, on annonce quelques bonnes nou velles comme un recul de l’infla tion, une baisse des taux d’intérêt bancaires, mais on craint un vrai ralentissement de l’économie. Tout cela dans un contexte géo politique international qui ajoute du brouillard à ce panorama. Les relations transatlantiques actuelles ont ajouté un rapport nouveau pour l’économie. Et côté français, le problème endémique des déficits publics ajoute encore de l’incertitude. J’ai vu le récent tweet d’un économiste américain, Nassim Taleb, qui pointait la France en disant qu’elle était pas sée “d’un État providence stan dard à un État muséal à forte

dette, avec une économie médié vale axée sur les sacs à main et le vin…” Ce genre de commen taires donne quand même à réflé chir. Sur le plan macroéconomique, quels ont été les faits marquants de l’économie en 2024 ? L.Q. : Dans le concert mondial, la place de la Chine est restée pré pondérante et un autre fait mar quant, c’est le retour des États Unis dans le commerce mondial avec un fort impact positif. En revanche, on déplore une contri bution négative de l’Europe sur ce commerce mondial. En glisse ment annuel, à l’échelle mondiale, le commerce a progressé de 2,5 % en 2024. Au niveau de la produc tion industrielle, on constate un vrai décrochage de la zone euro.

il n’y aura pas de retour de l’in flation.

C’est notamment lié à la situation de l’Allemagne qui est désormais en récession alors qu’en France on se maintient bon an mal avec une faible croissance.

Qu’en est-il des taux d’intérêt bancaires ? L.Q. : On est sorti de ce cycle haus sier, après avoir subi 10 hausses consécutives des taux directeurs. C’est un phénomène sans précé dent depuis la fin de la dernière guerre mondiale. En 2024, on a connu 5 baisses consécutives, la dernière en date le 30 janvier der nier. Entre novembre 2023 et novembre 2024, on a enregistré une baisse de 0,83 %. Et d’ici le 30 juin, je pense pouvoir l’annon cer, on devrait encore avoir trois baisses des taux directeurs. Au final, on reste en France avec une croissance positive. On ne peut pas parler non plus d’une crois sance dynamique, mais on est restés résilients dans un contexte complexe. On peut

L’inflation est-elle un mauvais souvenir ? L.Q. : La baisse de l’inflation se confirme et cette évolution va se poursuivre. Et mal gré les difficultés au Proche-Orient, on n’a pas de résur gence de l’inflation liée à l’énergie. L’in flation agro-ali mentaire est éga lement derrière nous. Aujourd’hui, on peut l’affirmer :

“Il n’y aura pas de retour de l’inflation” assure

Laurent Quinet.

baisse. Sur l’ensemble de l’année 2024, l’activité industrielle régio nale a baissé de 10 %. Contrai rement à l’industrie, les services marchands sont restés plutôt bien orientés, à part un signe d’inquié tude dans le secteur des trans ports. Pour le bâtiment, sans sur prise, depuis le second semestre 2024, on est dans la difficulté, même si le second œuvre se main tient mieux. De manière générale, concernant les carnets de com mandes du B.T.P., on est depuis plusieurs mois en territoire néga tif. Sans surprise, l’activité globale des entreprises a évolué à la baisse, un peu moins cependant en chiffre d’affaires qu’en volumes. Le fait que les trois gros secteurs industriels du Doubs, à savoir l’agro-alimentaire, l’automobile et l’horlogerie aient été en baisse ajoute des difficultés spécifiques à notre département. Les chiffres du chômage sont en hausse, y compris dans des secteurs jusque là préservés comme le Haut Doubs où le nombre de deman deurs d’emploi, même s’il reste bas, a bondi de 25 %. Qu’en est-il des créations, et des dis paritions d’entreprises dans notre dépar tement ? L.Q. : Les créations d’entreprises sont en progression continue. Dans le Doubs, on a enregistré l’an dernier 6 683 créations d’en treprises. Un chiffre très correct, avec une augmentation de 8,3 % par rapport à l’année précédente. Même si, sur le total, il y a une majorité de micro-entreprises, par définition plus volatiles.

se contenter de ce petit 1 % de crois sance si on se com pare avec l’Alle magne, mais on ne peut pas pour autant s’en réjouir. Et vos prévisions pour 2025 ? L.Q. : En 2024, ce qui a soutenu la croissance fran çaise, c’est le retour des exportations d’énergie grâce à la remise en ser vice de plusieurs de nos centrales nucléaires. Ajou

Zoom Le surendettement des ménages repart à la hausse

U ne des missions moins connues de la Banque de France est de traiter les dos siers de surendettement des ménages afin de tenter de trouver des solutions les plus efficaces possibles pour sortir ces derniers de l’ornière. Dans un cas sur cinq, l’effacement de la dette est proposé par la commission de surendettement du Doubs qui se réunit quatre fois dans l’année. “Une dette est faite pour être remboursée, mais dans les cas extrêmes, il n’y a pas d’autre choix que d’effacer cette dette” note Laurent Quinet. La commission a ainsi effacé 11 millions d’euros de dettes l’an dernier, ce qui correspond à 22,2 % du montant total des dettes des 1 307

année” synthétise le directeur de la Banque de France. Avec 247 dossiers de surendettement déposés pour 100 000 habitants, le Doubs se situe bon an mal an dans la moyenne nationale. Beaucoup moins bien classé que la Haute-Savoie avec seulement 150 dossiers pour 100 000 habitants, mais beaucoup mieux que le Pas-de-Calais et ses 400 dossiers pour 100 000 habitants. Le surendettement, c’est-à-dire l’incapacité d’honorer le remboursement de ses dettes, touche logiquement avant tout les personnes à faibles revenus, mais pas que. “Certaines personnes à revenus confortables peuvent se retrouver en situation de surendettement notam ment à cause d’un endettement immobilier important et souvent suite à un accident de la vie ou à des événements personnels.” La somme totale des 1 307 personnes concer nées par un dossier de surendettement en 2024 a atteint 42,3 millions d’euros dans le Doubs. Soit en moyenne une dette de 19 032 euros par ménage surendetté, “avec un poids de la dette immobilière qui pèse plus lourd ici qu’ailleurs en France à cause du prix de l’immobilier plus haut ici qu’en moyenne en France” note le préfet du Doubs. n Laurent Quinet participe aux côtés du préfet du Doubs et d’autres acteurs insti tutionnels aux commissions de surendet tement qui ont lieu tous les trois mois.

personnes concernées par des dossiers de surendettement en 2024. “Le surendettement des ménages est un cycle infernal duquel il est souvent difficile de sortir. Près de 70 % des dos siers étudiés concernent des personnes seules. Cette commission est là pour trouver les meil leures solutions à chaque situation” note Rémi Bastille le préfet du Doubs. Avec 1 125 dossiers de surendettement déposés en 2024, leur nombre est en hausse de + 12,3 % par rapport à l’année précédente. Une tendance haussière après une dizaine d’années de baisse. “Cette tendance est corrélée à la situation éco nomique de notre pays. Et je ne serais pas surpris que cette tendance se confirme cette

“On devrait encore avoir trois baisses des taux directeurs.”

tons à cela, - mais doit-on s’en réjouir ? - la dépense publique en augmentation qui a gonflé le P.I.B. Pour cette année, on craint que ce qui va tirer la croissance, ce ne soit pas, hélas, les investisse ments des entreprises. L.Q. : On a remarqué depuis le milieu de l’année dernière un pic fort d’incertitudes à cause des élections législatives et de la dis solution. Au final, l’industrie régio nale a terminé l’année dans un très mauvais mois de décembre avec des fermetures de sites industriels pour les fêtes de fin d’année plus longues que d’habi tude. On a constaté un petit effet de reprise mécanique en début d’année 2025 mais globalement, la tendance est clairement à la Comment a résisté l’activité des entre prises de notre région ?

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