La Presse Bisontine 270 - Décembre 2024
4 L’interview du mois
La Presse Bisontine n°270 - Décembre 2024
DROIT
François Molins
François Molins, après 46 ans en tant que magistrat, s’attache à transmettre et partager son expérience.
“Il ne faut pas état du droit et Fin octobre, François Molins, magistrat désormais à la retraite, connu comme le procureur ayant géré la vague d’attentats depuis 2012, était à Besançon. Devant les étudiants du master droit pénal et sciences criminelles, dont il est parrain de la promotion, l a livré une conférence sur l’état de droit.
L a Presse Bisontine : François Molins, aujourd’hui à la retraite, vous avez été magistrat pendant près de 46 ans. Après la sortie du ministre de l’intérieur Bruno Retailleau dans les médias, décrétant que “l’état de droit n’est ni intangible ni sacré”, doit-on craindre pour l’état de droit ? François Molins : Vous savez ce qu’on dit en latin ? Verba volant, scripta manent (les paroles s’envolent, les écrits restent, N.D.L.R.). L’état de droit existe en France. Il ne peut pas y avoir de système démo cratique qui ne soit pas fondé sur un état de droit. L’état de droit est immuable. L’état du droit, c’est autre chose, il peut s’adapter. Il peut coller à l’évolution de la société. Bien sûr que le droit doit chan ger. Mais derrière les propos des poli tiques, dans leur esprit, il y a une forme de confusion entre état de droit et état du droit. Il ne faut pas confondre état de droit et état du droit. Pour rappel, l’état de droit est le socle de règles supé rieures qui constituent le fondement de notre démocratie. L.P.B. : Au moment de partir en retraite, la presse nationale vous avait qualifié de “héraut de la justice moderne.” Quel regard portez-vous sur votre carrière et l’évolution de la justice ? F.M. : J’ai eu parcours long, difficile, j’ai
eu des dossiers très compliqués, j’avais un côté un peu chat noir. Je suis heureux d’avoir exercé un métier qui m’a pas sionné au Parquet. Pourtant, étudiant, mes matières préférées étaient le civil et le commercial. Pendant toute ma car rière, j’ai toujours cultivé une certaine liberté de ton, d’indépendance. Je me suis toujours autorisé et même contraint à dire ce que je pensais. J’ai lutté quand ce en quoi je croyais était menacé, comme l’indépendance de la justice, ou l’état de droit. L.P.B. : C’était donc important pour vous de donner cette conférence aux étudiants. Pourquoi avoir accepté de parrainer une promotion à Besançon ?
F.M. : Pendant 46 ans, j’ai participé à la justice. À l’heure de la retraite, il me semblait bien de transmet tre et partager. Parrainer un master, c’est une très belle occasion pour avoir des échanges un peu pri vilégiés avec un petit groupe d’étudiants pour transmettre le mieux pos sible ce que j’ai pu connaî tre. Et pourquoi Besançon ?
“J’avais un côté un peu chat noir.”
Zoom Morceaux choisis de la conférence de François Molins l “La justice est un service public à valeur constitutionnelle. Il n’y a pas simplement une notion de contre-pouvoir à l’État mais aussi une réponse à des exigences de contenus. Dans la justice, il y a une adhésion à un ensemble de propos et de valeurs fondés sur les droits de l’homme et du citoyen.” l “Dans la conception française de la séparation des pouvoirs, la justice n’est pas un pouvoir mais une autorité. Elle est dans une position de relative infériorité. Mais aujourd’hui, cette perspective s’inverse et génère une tension. On voit une réelle judiciarisation de la vie publique, le juge s’est vu confier de nouveaux pouvoirs, le juge participe aujourd’hui à la production du droit.” l “75 % des Français n’ont pas confiance en la justice. Il faut restaurer cette confiance car l’institution judiciaire reste la meilleure arme contre l’arbitraire, l'autorité, la tyrannie.” l “La justice est attaquée pour son laxisme. Alors que les prisons n’ont jamais été aussi pleines, 78 000 détenus pour 63 000 places. La moyenne des peines correctionnelles n’a jamais été aussi élevée.” l “Il y a une crise du service public de la justice qui peine à remplir son rôle et ses missions dans des délais raisonnables. Pour ses détracteurs, les juges ne sont pas légitimes car ils ne sont pas élus au suffrage universel. Le juge tire sa légitimité de la constitution, il exerce la souveraineté (ne la possède pas) par délégation de la constitution et donc par délégation de la volonté populaire. La justice est rendue au nom du peuple français.”
L’état de droit, c’est quoi ?
un rôle clé dans la protection de l’état de droit, ce dernier étant une des conditions de la démocratie et du vivre ensemble. L’état de droit garantit que tous respectent les règles de droit adoptées par les repré sentants élus et par le gouvernement qui en émane. n
L’
état de droit en France repose sur trois piliers : le respect de la hiérarchie des normes, l’égalité des citoyens devant la loi et la
mise en place de la séparation des pou voirs exécutif, législatif et judiciaire. Il assure la prééminence du droit sur le pouvoir politique. Le conseil d’État joue
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