La Presse Bisontine 265 - Juillet 2024

4 L’interview du mois

La Presse Bisontine n°265 - Juillet 2024

LAURE HUBIDOS

Collectif national des Maisons de vie

“Le déploiement des Maisons de vie est une nécessité, arrêtons de tergiverser” En l’espace de quelques semaines, Laure Hubidos est passée d’une intense joie au désarroi et à l’incertitude. La présidente du col lectif national des Maisons de vie est restée sidérée à l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin, stoppant net les travaux sur le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie. Projet de loi dans lequel un article adopté actait le déploiement des maisons d’accompagnement, dont la première a été expérimentée à Besançon grâce à Laure Hubidos.

L a Presse Bisontine : Qu’avez-vous res senti le soir du 9 juin en découvrant la dissolution de l’Assemblée nationale et donc l’arrêt de tous les travaux par lementaires dont ceux sur la loi relative à l’ac compagnement des malades et de la fin de vie ? Laure Hubidos : On est tous tombés de haut. Il y a eu un sentiment mitigé. D’une part, du découragement. Se dire qu’à 48 heures près, la loi aurait été votée. De l’incertitude aussi, et Dieu sait si j’en ai eu ces dernières années, qu’est-ce qui va se passer maintenant ? Et en même temps, j’ai ressenti de la motivation. dans tous les cas, il faut que les Maisons de vie, quoi qu’il arrive, puissent se développer. J’ose espérer qu’on peut quand même faire confiance au monde politique pour réaliser que les enjeux sont bien au-delà de tous les clivages politiques. En tant que présidente du collectif, je ne rentre pas dans un débat politique à proprement

loppement. Et les Maisons de vie sont bien sûr complémentaires aux unités de soins palliatifs, le Docteur Régis Aubry m’a d’ailleurs toujours soute nue. L.P.B. : Lors des débats à l’Assemblée nationale, avant l’adoption de l’article actant le déploiement des maisons d’accompagnement le 31 mai, un député de l’opposition a qualifié ces struc tures de maisons de la mort, car l’aide à mourir peut y être pratiquée au même titre qu'à domi cile. Que répondez-vous ? L.H. : Je pense qu’ils ne savent pas de quoi ils parlent. Pour être très sincère et en toute humilité, depuis 20 ans, tout ce que j’ai dû affronter comme épreuves pour mettre en œuvre cette maison, la faire vivre et dans l’accom pagnement de ces personnes, la chose que j’ai apprise en premier lieu, c’est l’importance de rester humble. Et aujourd’hui, la seule qui sait vraiment ce qu’est une Maison de vie, c’est moi,

dit. Ce qui compte, c’est que chacun vote en conscience en se mettant à la place des personnes qui ont besoin de ces structures. Car on est tous concer nés. L.P.B. : Comment appréhendez-vous l’avenir ? L.H. : Je reste confiante sur le fond. Avec le collectif, on va suivre de très près les évolutions. Mais à un moment donné, ça suffit. 20 ans après, le déploie ment des Maisons de vie est juste une

pagnement ? L.H. : Une Maison de vie est une nouvelle solution d’accueil, d’accompagnement et de répit. Les Maisons de vie sont destinées aux personnes gravement malades et à leurs proches aidants. Elles s’inscrivent en complémentarité du domicile et de l’hôpital. Elles per mettent d’apporter des solutions d’aval afin de désengorger les services hos pitaliers saturés, proposent des solu tions de répit au domicile, favorisent un accompagnement à dimension humaine et génèrent également des économies pour le système de santé. Le coût d’un séjour hospitalier est en moyenne de 1 500 euros quand le prix d’une journée à la Maison de vie est de l’ordre de 250 euros par jour. Mais l’écueil majeur réside dans le fait que ces structures sont à la croisée des champs sanitaire et médico-social. Et n’ont pas de cadre réglementaire propre. C’est toute la difficulté pour leur déve

nécessité, il n’y a plus à tergiverser. Arrêtons de se poser 1 000 ques tions sur un concept qui a fait ses preuves. Il faut qu’il y ait une hauteur de vue avec une vision humaine. L.P.B. : Pouvez-vous expliquer ce qu’est exactement une Maison de vie et d’accom

“C’est une question de bon sens et d’humanité.”

La Bisontine Laure Hubidos se bat depuis plus de 20 ans

pour le déploiement des Maisons de vie.

Témoignages La Maison de vie vécue de l’intérieur

R achel a été aide médico psychologique à la Maison de vie. Cela a d’ailleurs été son dernier emploi dans ce métier. Arrivée trois mois après l’ouver ture de la Maison de vie, elle retient de son expérience la pro fonde humanité qui nourrissait la Maison de vie. “On aidait les gens dans leur souffrance, se souvient Rachel. Avant, j’étais en maison de retraite, c’était complètement différent. À la Maison de vie, c'était humain, j’avais deux toilettes le matin, on avait le temps de rester avec eux, de discuter, ce sont des choses qu’on ne voit pas ail leurs. Les plus belles années pour moi sont les cinq ans passés à la Maison de vie. On était en civil, on partageait tout. Aujourd’hui, j’ai complètement changé de métier. Il faut prendre du recul mais c’est dur, on s’at tache aux gens. Il y avait un rela tionnel très très fort. Les familles

étaient très présentes et très proches des soignants.” Cela a été le cas de Monique. Sa fille Nadine, atteinte de la maladie de Charcot, a pu profiter des bienfaits de la Maison de vie. Diagnostiquée en 2005, Nadine est revenue par la suite vivre chez sa mère. “Tant que j’ai pu, j’ai fait, souligne Monique. Nadine avait fait quelques séjours aux Salins de Bregille mais ça devenait dif ficile pour les soignants. Elle faisait quelques séjours à l’hôpital aussi pour que je puisse me reposer. Nadine savait que Laure allait ouvrir une Maison de vie, elle voulait y aller. Elle y est entrée en 2011, elle s’y plaisait beau coup. C’était une petite structure, familiale, elle aimait partir à la Maison de vie. Et ça me donnait du répit pour faire autre chose. Elle est restée à la Maison presque jusqu’au dernier moment, elle ne voulait pas mourir dans

L’équipe soignante et les bénévoles prenaient le temps de chouchouter les personnes, qui trouvaient à la maison de vie en moment de répit (photo D.R.).

une autre structure.” En 2016, après un mois en soins palliatifs, Nadine décède. Sa per sonnalité a laissé un souvenir indélébile, tant à Rachel qu’à Laure Hubidos. “Pour la lever, il

fallait deux heures. Où peut-on faire ça à part dans une Maison de vie ? s’interroge Laure. Ce lieu permettait à l’équipe de pra tiquer le soin tel qu’elle le voulait.” “Je n’oublierai jamais Nadine,

c’était quelqu’un d’exceptionnel, souffle Rachel. Les gens en fin de vie ne se plaignent pas. ça m’a permis de voir la vie autre ment.” La Maison de vie pouvait accueillir

7 personnes lors de la phase expérimentale. Puis, une fois l’ex périmentation validée, la Maison de vie a pris place dans un bâti ment plus grand pouvant accueillir 12 personnes. n

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