La Presse Bisontine 262 - Avril 2024
18 Besançon
La Presse Bisontine n°262 - Avril 2024
SANTÉ
Trois ans après la crise sanitaire Que sont devenues les suspendues du Covid ? Près de trois ans après les faits, trois soignantes suspendues pour avoir refusé de se faire vacciner contre le Covid 19 témoignent du bouleversement que cette période a provoqué dans leurs vies. À l’époque, elles avaient
dénoncé un abus d’autorité et une extorsion du consentement. Depuis, certaines ont suivi un chemin professionnel différent.
D es soignantes du C.H.U. de Besançon ou d’autres établisse ments de santé qui ne demandaient qu’à tra vailler. Mais qui, faute de n’avoir pu justifier de l’obligation vac cinale du 15 septembre 2021 contre le Covid-19, en ont été empêchées. Au 15 septembre 2021 au C.H.U. de Besançon, 40 soignant(e)s ont été sus pendu(e)s et 200 se sont mis en arrêt-maladie. Et ceci dans toutes les catégories : aides-soi gnantes, infirmières, médecins, secrétaires médicales, person nels de cuisine, technique, infor matique, blanchisserie… Près de trois ans après les faits et alors que la situation sani taire s’est détendue, les consé
Paroles de soignantes Leurs colères et leurs blessures sont différentes mais Élodie* et Marianne* ont en commun d’avoir voulu résister pour des valeurs qui leur sont chères. Pour des principes de liberté. l Élodie : “Après l’annonce de l’obligation, il y a eu une réunion d’information où on nous a littéralement “vendu” cette vaccination. Ce qui m’a dérangé, c’est que le message qui était passé était que les réfractaires au vaccin étaient des ignorants qui ne voulaient pas se renseigner. Mais on aime notre travail. Nous ne sommes pas des antivax mais nous voulions simplement du recul pour ce vaccin car il était expé rimental. D’habitude, il faut au moins 10 ans de recul pour lancer un vaccin. Il ne faut pas oublier que des médecins (l’ancien médecin des soins palliatifs de Lons-le-Saunier par exemple) ont été suspendus aussi car ils avaient des doutes. On nous répétait que la vaccination était la seule solution. Mais moi je suis en bonne santé. Je ne voyais pas le bénéfice de cette vaccination mais plutôt son risque. Dans un soin, il faut toujours mesurer le bénéfice-risque ! Certains se faisaient des tests pour prouver qu’ils étaient négatifs. Et ils payaient ces tests de leur poche : c’était mon cas. En résumé on peut dire que cette période aura ressemblé au meilleur plan social de France pour les soignants ! On nous obligeait à nous vacciner en nous disant que cela empêchait la transmission et la contamination. Mais il n’en est rien puisque des gens vaccinés étaient tout de même positifs. Les soignants suspendus français n’ont été réintégrés qu’en mai 2023, souvent dans des services qui n’étaient pas les leurs. Et la France a été un des derniers pays du monde à réintégrer. De notre côté, nous avons dû enfin trouver un avocat à Besançon. Maître Fabien Stucklé a accepté de reprendre notre dossier. Ce qui nous a permis de passer rapidement devant le tribunal administratif de Besançon le 11 octobre 2021. Le juge a bien pris en compte notre dossier mais le C.H.U. avait un avocat teigneux qui nous a accusés d’être des sous-soignants irresponsables. Notre requête a été rejetée et l’hôpital nous a demandé des dommages et intérêts (1 500 euros par personne). Mais comme nous n’avions aucun salaire…” l Marianne : “Moi, je travaillais en E.H.P.A.D. à Bellevaux. Un jour on m’a demandé mon schéma vaccinal complet. Bien sûr comme j’y suis opposée, je ne l’ai pas et n’ai pas pu le présenter. Il n’était pas question que je me fasse vacciner de manière expérimentale. J’ai constaté qu’il y avait plus de risques que de bénéfices au vaccin. J’ai eu une grosse période d’angoisse. Pourtant, ce métier est une vocation. Néanmoins j’ai dû me résigner à le quitter. En avril 2022, je suis partie travailler en Suisse. La seule question qui me vient à l’esprit quand je repense à cette période c’est : à qui profite le crime ? Moi je pense que la destruction de l’hôpital public est programmée. On va vers du privé.” n
Camille* et Élodie*, deux infirmières du C.H.U. de Besançon suspendues le 15 septembre 2021.
ciellement suspendue mais dans l’esprit, c’est pareil ! En subs tance, on nous a dit si vous ne prenez pas ce produit-là, vous perdez votre job. C’est brutal.” D’autant plus brutal pour cette infirmière qui avait travaillé dans le service Covid depuis 2020 et qui en un instant se sentait devenir une “antivax” debase. “Pourtant nous n’avions tué personne. Il faut se rappeler qu’au début on nous félicitait dans la rue, on nous faisait livrer des pizzas pour nous remercier, des cadres ont eu la Légion d’honneur. Et puis du jour au lendemain, nous qui avons décidé de ne pas nous faire vacciner, nous sommes devenues des pestiférées. Sans parler que nous avions un compte à rebours sur l’ordina teur qui affichait tous les jours le temps restant avant le 15 sep tembre, c’était l’angoisse.” Encore plus perturbant pour elle qui justifiait sa position après avoir vu de près la situa tion. “J’ai vu des gens venir aux Urgences après la vaccination, j’ai trouvé ça étrange.” Aujourd’hui, au-delà des consi dérations sanitaires, elle pèse encore les conséquences finan cières. “Même si elles étaient à 0, il a fallu réclamer nos fiches de paye. Certaines personnes ont dû travailler en usine, en supermarché pour s’en sortir. Nous avons reçu des dons ali mentaires de la part de proches, de Gilets jaunes, de syndicats.” Une situation dégradante pour des soignantes qui étaient applaudies tous les soirs à 20 heures un an auparavant. n A.A. La mobilisation pour les soignants suspendus s’est étendue dans toute la ville de Besançon.
quences psychologiques se font encore sentir pour plusieurs soignantes suspendues de Besançon et de l’agglomération. “À l’approche du 15 septembre 2021, date à laquelle il fallait présenter un schéma vaccinal en cours, j’ai vu monter chez
moi des angoisses alors que je n’avais jamais été absente pen dant 15 ans” se souvient Camille* qui tra vaille au C.H.U. depuis 20 ans et qui s’était mise en arrêt de tra vail pour notifier son refus de se faire vacciner. “Je n’étais pas offi
“Avant cela, onnous faisait
livrer des pizzas…”
Les soignantes suspendues digèrent d’autant moins leurs sanctions que peu de temps auparavant elles étaient applaudies aux fenêtres, une situation qui peut paraître tristement risible aujourd’hui.
Certaines soignantes suspendues ont dû travailler en usine ou en supermarché pour s’en sortir financièrement (*les prénoms ont été modifiés).
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