La Presse Bisontine 257 - Novembre 2023

24 Le dossier

La Presse Bisontine n°257 - Novembre 2023

l Syndicat

Plan de lutte contre le harcèlement scolaire

“Sans moyens supplémentaires,

le plan du gouvernement n’est qu’une opération de communication” Amélie Lapprand est enseignante en école primaire et représentante du syndicat Snuipp-F.S.U. Doubs. Si elle n’est pas foncièrement contre le plan interministériel de lutte contre le harcèlement à l’école, elle dénonce encore et toujours des manques de moyens.

l Association Prévention Une prise de conscience du harcèlement par le théâtre

L a Presse Bisontine : En tant qu’enseignante et syndicaliste, que pen sez-vous du plan de lutte contre le harcèle ment scolaire, annoncé par le gou vernement ? Amélie Lapprand : Le harcèle ment, c’est quelque chose qu’on observe et connaît depuis tou jours. Ce sont des comporte ments récurrents pour lesquels nous sommes déjà mobilisés avec les cours d’éducation morale et civique, le travail de réflexion sur la violence, etc. Mais la lutte contre le har cèlement scolaire, c’est du long terme, pas du coup par coup. Et ce qu’annonce le ministère, s’il n’y a pas de moyens sup plémentaires, ce n’est qu’une opération de communication. J’ai l’impression qu’il y a tou jours une sur-réaction à une actualité malheureuse avec les drames que l’on connaît. On met un pansement sur une jambe de bois. L.P.B. : Qu’entendez-vous par moyens supplémentaires, concrètement ? A.L. : Il faut du personnel qua lifié en plus des enseignants, qui est formé sur la question. Le personnel Rased (réseau

formations, mais il faut donner les moyens. L.P.B. : Que pensez-vous des cours d’empathie qui ont été annoncés ? A.L. : Déjà, il n’y a aucune for mation prévue et c’est en plus du programme scolaire. Depuis dix ans, on fait une fixation sur les matières fondamen tales, les maths et le français au détriment de toutes les autres matières, pourtant tout aussi fondamentales. Une étude aux États-Unis a montré que ce qui crée chez les enfants la notion d’empathie, les com pétences dans la gestion des émotions pour ne pas rentrer dans la violence, ce sont les arts visuels, des matières délaissées jugées inutiles et non prioritaires. Alors qu’elles permettent de construire les notions essentielles d’empathie et d’altruisme. Il faut donner les moyens d’avoir de vrais cours d’arts pour la construc tion de l’enfant de manière générale. Ça peut sembler une évidence mais pas pour ceux qui décident. Le plan n’est pas ambitieux, on n’est pas dans la construction et une vision de l’école émancipatrice. n Propos recueillis par L.P.

d’aides spécialisées aux élèves en difficulté), ne compte qu’un seul enseignant spécialisé sur la difficulté d’apprentissage dans le Doubs, un enseignant spécialisé sur la gestion du comportement, et on sait qu’un harceleur peut être déviant sur les comportements. Il manque 6 psychologues sco laires dans le Doubs, une de leur mission est la prévention mais ils n’en font plus car ils n’ont plus le temps, ils sont trop peu nombreux. Aucun enseignant n’est contre le plan, mais la mise en œuvre pose problème. Les enseignants n’ont jamais eu de formation sur le proto cole à mettre en place pour reconnaître un enfant harcelé, un harceleur. J’enseigne depuis 20 ans, j’ai eu ma pre mière formation début octobre qui présentait le projet P.H.A.R.E. (plan global de pré vention et de traitement des situations de harcèlement entre élèves), tout ça pour nous dire qu’on aura les billes pour l’appliquer l’année prochaine. Et puis, une formation, ça coûte cher, il faut des rempla çants, or, il n’y en a plus. Je veux bien qu’on annonce des

Depuis plusieurs années, la Cie Les Trois sœurs propose un théâtre forum sur le harcèlement scolaire “Je dis rien”. Une manière collective de prendre conscience de ce fléau pour les élèves. Le spectacle sera prochainement joué au collège des Clairs-Soleils.

tions, gestes obscènes, violence, etc., comment gérer ces com portements ? Interactif, le théâ tre forum fait intervenir le public pour débloquer une situation. “Ils interviennent parce que ça se passe mal, ils énoncent pour quoi ils ont arrêté la scène et font une proposition pour trouver une solution, poursuit la comé dienne et metteure en scène. Nous n’apportons pas de réponse, on les amène à réfléchir et à pro poser une alternative jusqu’à ce que le public estime que la situa tion se passe mieux.” Fondé sur le collectif, le théâtre forum a pour objectif un mieux vivre ensemble au sein de l’éta blissement scolaire. Sur les deux heures que dure la séance, les enseignants ont remarqué une vraie prise de conscience du har cèlement. Depuis 2018, année de création du spectacle, “Je dis rien” est régulièrement demandé par les collèges. Il sera prochainement joué au collège des Clairs-Soleils et à Baume-les-Dames. n L.P.

S ous la forme de trois saynètes, ce sont leurs histoires, leurs témoi gnages qui sont mis en scène. Le théâtre forum “Je dis rien”, de la Cie Les Trois sœurs, est inspiré de témoignages d’élèves ayant subi du harcèle

ment ou ayant été témoin. “C’est important qu’ils puissent se reconnaître, souligne Maryline Pape de la Cie. Sous couvert d’un personnage, ils peuvent exprimer des choses et jouer avec nous.” Gros mots, insultes, humilia

LaCie Les Trois sœurs propose le théâtre forum “Je dis rien” sur le harcèlement scolaire.

L’approche “bienveillante” de l’enseignement privé l Enseignement catholique La formation du personnel Plus que de harcèlement, c’est de la maltraitance et de la bientraitance que veut traiter l’enseignement catholique qui a édité son programme de protection des personnes fragiles

demandes l'année dernière. Et trois élèves ont changé d’établis sement” précise Mireille Bes seyre. L’enseignement privé travaille depuis plusieurs années à amé liorer la prévention. Notamment par la désignation dans les classes d’élèves médiateurs. “On forme également beaucoup les adultes, et pas que les ensei gnants, à la gestion de conflits. Cette année, tout le personnel a été formé à la gestion des émo tions.” Et comme le rectorat a ses référents harcèlement, la D.I.E.C. a nommé des personnes référentes chargées de recevoir les appels des chefs d’établis sements, de la famille ou du rectorat suite à un appel au 39 08, le désormais seul et unique numéro à composer par les

plusieurs années d’un guide, sorte de programme de protec tion des publics fragiles qui est en quelque sorte la Bible de la communauté éducative privée. “Avec cet outil, nous avons une plateforme baptisée “Boussole” qui permet à chaque membre de la communauté éducative de se saisir de cette problématique du harcèlement” note la directrice. Comme dans le public, le har cèlement n’épargne pas l’ensei gnement privé, évidemment. “Au niveau de la direction interdio césaine, nous avons traité 15

Mireille Besseyre, directrice interdiocésaine de l’enseignement catholique.

L a direction interdiocé saine de l’enseignement catholique (D.I.E.C.), représentée par sa directrice Mireille Besseyre, ce sont près de 60 établissements pour 115 unités pédagogiques, 90 chefs d’établissements, 2 000 enseignants, 25 000 élèves et

800 apprentis répartis sur l’en semble des quatre départe ments francs-comtois concer nés. La question du harcèlement est englobée par la hiérarchie édu cative dans un concept plus glo bal de bientraitance et de mal traitance qui fait l’objet depuis

Mireille Besseyre. La co-édu cation avec les familles est une notion qui nous est chère.” La directrice estime aussi que “le Covid a affirmé ou révélé des fragilités.” n J.-F.H.

élèves ou leurs familles en cas de harcèlement. L’enseignement privé met enfin un point d’honneur à travailler avec les familles sur ces ques tions. “On donne beaucoup de place aux parents, confirme

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