La Presse Bisontine 257 - Novembre 2023
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La Presse Bisontine n°257 - Novembre 2023
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POLITIQUE Abdel Ghezali “Il est plus facile de parler d’immigration que d’emploi ou d’insertion” Lassé par la polémique sur l’abaya déclenchée à l’occasion de la dernière rentrée Abdel Ghezali, premier adjoint à la mairie de Besançon, fustige la trop grande place prise par le thème de l’immigration dans les médias ou dans les débats politiques. Au détriment des questions de justice sociale ou d’égalité des chances.
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L a Presse Bisontine : Pourquoi avez-vous voulu, aujourd’hui, prendre la parole sur le thème de l’immigration ? Abdel Ghezali : Tout d’abord, ce n’est jamais simple de le faire. Je suis un élu de la République qui a une histoire et qui n’est pas là pour mettre en avant ses croyances. Pour autant, je suis un élu de la République, avec mes origines, avec mon histoire et l’islam en fait partie. L’immigration est un sujet qui cristallise et qui a, au niveau local, des impacts sur le lien social, le lien économique. Mais aussi sur notre manière de penser l’éducation, la cul ture, le sport. Et le vivre ensemble même si le terme me paraît un peu trop générique. Nous sommes dans un L a Presse Bisontine : Comment réagis sez-vous face à l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre et face à ce nouvel embrasement du conflit israélo-pales tinien? Abdel Ghezali : Je condamne fermement cette attaque barbare du Hamas sur des civils israéliens. Rien ne justifie ces actions inhumaines qui ne règlent rien. J’apporte tout mon soutien à toutes les familles et à la communauté juive de Besançon. Tous les reportages faits dans les médias sur ce massacre sont légitimes. Néanmoins, je constate que pour les Palestiniens qui sont colo nisés, expropriés et tués dans ce conflit qui dure depuis si longtemps, on n’en fait pas tant. On ne fait pas tous les jours, matin, midi, et soir des reportages sur Gaza. Je fais la différence entre le peuple israélien, et son gouverne ment d’extrême droite qui n’a jamais cherché à tendre la main et à travailler avec le Fatah de Mahmoud Abbas. Le gouvernement israélien de Benyamin Netanyahou, avec ses ministres d’ex trême droite, était plutôt conciliant avec le Hamas et plutôt dur avec un modéré comme Mahmoud Abbas du Fatah.Aujourd’hui, Gaza est une prison à ciel ouvert, sans gaz ni eau. On punit un peuple qui est puni depuis long temps. Au moment où l’on se parle, il y a plusieurs milliers de morts pales tiniens. Il y a aussi de la barbarie côté
pays où l’on parle matin, midi et soir, de laïcité, un principe républicain qui protège la liberté des cultes. Nous nous devons de le respecter. Mais à chaque fois que l’on parle de laïcité, c’est sous jacent, on veut opposer la laïcité à l’is lam. De mon côté, l’école de la Répu blique (école de Montrapon, collège Montjoux et lycée Pasteur), m’a tout apporté. J’ai des amis de toutes confes sions et nous participons à Besançon à faire vivre le dialogue inter-religieux avec des représentants des cultes. Et tout se passe de manière apaisée. Il faut créer du lien, maintenir un dia logue avec toutes les forces vives de la ville. C’est dans la culture de Besan çon, dans la lignée des visions de Jean
Minjoz, Robert Schwint, Henri Huot, Paulette Guinchard, Jean-Louis Fous seret et aujourd’hui la maire de Besan çon Anne Vignot, qui ont mis un cadre précis. Notre seule boussole est la République. L.P.B. : Êtes-vous agacé par la place, sans cesse grandissante, prise par la question de l’immigration dans les médias ? A.G. : Je tiens d’abord à souligner que nous avons la chance d’être dans une démocratie et d’avoir cette pluralité de médias. Néanmoins, il y a une sur enchère médiatique sur cette question qui prévaut sur des questions de fond comme la justice sociale, l’emploi ou l’égalité des chances. C’est plus facile de balancer des punchlines sur l’im migration que d’avoir une réflexion en profondeur sur le sujet. L.P.B. : Dans la sphère politique aussi, la question de l’immigration vous paraît-elle exagérément présente ? A.G. : Certains hommes politiques tien nent des discours populistes et c’est un danger pour notre cohésion sociale. En tant qu’homme de gauche, je me sens blessé par certains propos et cer tains discours. Il faut se battre contre cette banalisation tout en se disant qu’on peut traiter de différents sujets, dont la place de l’islam en France. Voilà 4 ou 5 ans que l’on met au cœur de tous les débats, l’islam et l’immi gration. C’est plus facile de jouer sur les peurs que de parler emploi ou inser tion. Je ne dis pas qu’il n’y a aucun problème d’immigration en France mais il est en priorité à relier à la démographie et à l’emploi. Néanmoins, c’est inadmissible d’entendre certains discours anti-musulmans, comme ceux d’Éric Zemmour, tellement indécents qu’ils ont été condamnés par la justice. Ces discours ambiants me blessent et blessent de nombreux Français de confession musulmane. J’en connais qui en ont assez et qui s’interrogent à l’idée d’aller vivre ailleurs, dans des pays où le climat est plus apaisé sur ce sujet. L.P.B. : C’est le récent débat sur l’abaya qui fut un élément déclencheur de votre volonté Abdel Ghezali tire la sonnette d’alarme sur la sur-médiatisation de la question de l’immigration dans les domaines politique et médiatique.
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où les jeunes noirs ou arabes ont 20 fois plus de risques d’être contrôlés… A.G. : Pour commencer je veux dire heu reusement que la Police est présente au quotidien. Elle fait un bon travail à Besançon pour assurer la sécurité de nos concitoyens et plus particuliè rement des plus vulnérables. J’en pro fite pour saluer toutes nos forces de sécurité, Police, Gendarmerie et Pom piers. Alors forcément, la pancarte “Un flic, une balle” que l’on a vue à Besançon à l’occasion d’une manifestation contre les “violences policières” m’a choqué. C’est pour cela que le groupe socialiste dont je fais partie n’avait pas appelé à participer à cette manifestation. Pour revenir aux contrôles au faciès, ils sont une réalité. La question de la formation au niveau de la Police est un vrai sujet. Il y a des chiffres qui montrent que quand on est noir ou arabe, on a plus de chances de se faire contrôler et moins de chances d’avoir accès à un emploi, un stage ou un logement… À Besançon, nous travaillons sur ces questions avec l’État dans le cadre du Contrat de ville. L.P.B. : Un mot suite à la mise à l’abri, en urgence, des migrants du parking d’Arènes au local du S.A.S. d’accueil de la place de l’Europe à Besançon ? A.G. : Besançon a toujours été une terre d’accueil alors je salue la gestion de cette situation par Anne Vignot. Je veux aussi saluer le travail de Carine Michel, la présidente de Loge.G.B.M. L.P.B. : Pour finir, quelle a été votre réaction quand, en mai dernier, une vingtaine de néo nazis venus de toute la France ont paradé dans les rues de Besançon. Et quand l’ultra droite nationaliste réinvestit la capitale comtoise et le fait savoir, notamment sur les réseaux sociaux ? A.G. : On n’en parle pas beaucoup mais ces groupes néo-nazis existent et ils doivent être combattus par la justice. La Police est attentive sur ce sujet. Il faut faire en sorte que ces gens soient mis hors d’état de nuire. La violence, qu’elle soit verbale ou physique, n’a jamais rien apporté de bon dans une société. n Propos recueillis par A.A.
de rappeler que notre pays avait d’autres prio rités que celui-là ? A.G. : Tout à fait, car l’Éducation natio nale a d’autres dossiers à traiter en priorité avant celui de l’abaya qui n’a concerné que quelques centaines d’élèves en France. Il y a des problèmes de manque de professeurs, de moyens. Les parents, c’est l’avenir de leurs enfants qui les préoccupe. Les gens de culture musulmane n’ont pas moins de droits que d’autres. Moi j’ai 52 ans et on me questionne encore parfois sur mes origines. Je dis que je suis “d’origine franc-comtoise.” Il y a des difficultés sociales liées à l’inflation, au pouvoir d’achat, des problématiques de santé mais on ne parle que d’immigration. Sur CNews, un journaliste est quand même arrivé à faire le lien entre le sujet des punaises de lit et celui de l’immigration. C’est lamentable et into lérable. Certains secteurs comme l’hô tellerie ou la restauration, des métiers en tension, font appel de plus en plus à des personnes issues de l’immigration pour pallier la pénurie de personnel de ce secteur d’activité. Pour moi, l’im migration est une force pour la France. L.P.B. : Le 6 novembre, un projet de loi “pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration” sera examiné par le Sénat. Quelle est votre réaction ? A.G. : Il y a de l’opportunisme dans ce projet de loi alors qu’il faut au contraire être pragmatique. Et se demander comment, par exemple, la France peut prendre sa part, en Europe, dans l’ac cueil de populations en détresse, comme les réfugiés de pays en guerre ou les réfugiés climatiques. La France a tou jours été une terre d’immigration avec l’arrivée de Polonais, d’Italiens, d’Es pagnols… Dire que les Portugais et les Espagnols ont su s’intégrer mais pas les musulmans, c’est un cliché qu’il faut cesser de répandre. En tant que membre du Parti socialiste, ma position est celle du parti actée dans le cadre de la N.U.P.E.S. Au niveau du P.-S., nous souhaitons régulariser les per sonnes qui ont vocation à s’intégrer. L.P.B. : Votre avis sur les contrôles au faciès, une pratique systémique reprochée à l’État,
“Je condamne fermement l’attaque barbare du Hamas” Le premier adjoint bisontin réagit également au drame qui se noue depuis quelques jours en Israël et dans la bande de Gaza.
israélien.
L.P.B. : À qui incombe la faute ? A.G. : La responsabilité incombe au gouvernement israélien qui n’a pas su travailler pour trouver des solutions dans la région. Je n’attends rien d’un gouvernement d’extrême droite israé lien qui parle d’animaux en parlant des Palestiniens. Et puis en France, je trouve normal que l’on ait illuminé la Tour Eiffel avec le drapeau d’Israël mais on n’a jamais illuminé la Tour Eiffel avec le drapeau palestinien. L.P.B. Redoutez-vous, à Besançon, des actions contre certains lieux de culte (synagogues, mosquées, églises…), des rassemblements, des débordements ? A.G. : Malheureusement, on peut s’at tendre à tout mais j’espère que ça ne sera pas le cas. J’ai confiance. J’ai apporté tout mon soutien à Marc Dahan, le représentant de l’association culturelle israélite de Besançon, et fais confiance à la responsabilité des uns et des autres. Nous sommes dans une ville de dialogue, qui favorise le lien entre ses communautés. La violence n’a jamais rien réglé. Elle ne ferait que renforcer les extrêmes. Nous avons la chance de travailler ensemble grâce à la section bisontine de l’association Judéo-Musulmane de France. n Recueilli par A.A.
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