La Presse Bisontine 249 - Mars 2023
12 Besançon
La Presse Bisontine n°249 - Mars 2023
SOCIAL
F.JT. Les Oiseaux
Ils sont jeunes travailleurs… et pauvres
I ls s’appellent Zohra, Alexis, Youssef ou Dylan. Ils préfè rent ne pas donner leur nom de famille. Sentiment de honte, discrétion légitime, volonté inconsciente d’efface ment par rapport à cette société du paraître ?… Toujours est-il qu’ils ont tout de même souhaité parler, crier leur désespoir sans pourtant hausser jamais le ton, peut-être désabusés de voir que personne ne semble prendre conscience de leur situation. Le Foyer des jeunes travailleurs (F.J.T.) Les Oiseaux regroupe les profils les plus divers : des jeunes en C.D.D., en alternance, des étudiants aussi, des jeunes de l’Aide sociale à l’enfance, des personnes à mobilité réduite ou des stagiaires. Aucun d’entre eux n’aurait la possibilité de se loger dans le parc privé. Beau coup sont en rupture familiale ou n’ont plus de parents pour les aider. La goutte d’eau qui a fait débor der leur colère, c’est cette toute récente augmentation de loyer que leur a imposé le F.J.T. Les Oiseaux où ils ont fait leur nid depuis plusieurs années. Ils s’y plaisent tous, y trouvent un cadre d’épanouissement social et y entretiennent des relations solides, voire des amitiés, mais leur quotidien reste miné par cette seule question : “Comment je vais faire pour boucler la fin dumois ?” Zohra a 33 ans, elle est travail leuse reconnue handicapée. Elle a bien enchaîné quelques petits boulots, notamment aux ateliers Prolabor de l’A.D.A.P.E.I., mais désormais, son handicap la décourage trop pour avoir l’éner gie de continuer. Elle vit donc avec les 956 euros mensuels de son Allocation pour adultes han dicapés (A.A.H.). Avec un loyer d’environ 400 euros, certes dimi nué des A.P.L., elle ne peut pas joindre les deux bouts. Son astuce pour économiser ? Sauter le repas du midi. “Le midi, je me mets au lit pour m’endormir, ça m’évite de penser au repas. Je ne mange donc que le soir” déplore-t-elle. Depuis son arrivée au F.J.T. en 2018, le prix du repas au self (formule 1, c’est-à-dire sans entrée) est passé de 4,25 à 5,80 euros. Pour la formule complète, il faut débourser aujourd’hui 7,15 euros. Trop cher pour elle qui en plus a Mais n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Ces jeunes précaires en appellent au préfet pour les aider. Ils ont entre 20 et 30 ans, ont pour la plupart d’entre eux un métier.
De gauche à droite et de haut en bas : Alexis, Zohra, Dylan et Youssef. Pour eux, à la fin du mois, il ne reste rien.
quer l’indice de régulation des loyers. Au grand dam des jeunes travailleurs qui estiment que “ce n’est pas à nous de payer l’augmentation générale des prix !” Alors pour tenter de donner un écho à leur mécontentement, les jeunes du F.J.T. ont fait circuler une pétition qui a été signée par plus de 80 résidents. Mais à qui l’adresser au final, au-delà de Claude Koestler, le président de l’association qui gère le foyer ? “ C’est à l’État d’entendre notre situation. Les élus ne peuvent rien faire, c’est donc au préfet que nous nous adressons aussi. Il faut que l’État prenne conscience que dans la situation actuelle où l’inflation progresse encore, on s’appauvrit. Il faut qu’on ait plus d’aides de la C.A.F. ou de l’État” lancent les quatre jeunes. “Pourquoi nous les jeunes travailleurs ne pourrions-nous
quelques arriérés à régler à la C.A.F. Alexis a 26 ans. Il travaille pour l’Éducation nationale en tant qu’assistant d’éducation dans un collège de Besançon. Mais comme il n’est qu’à mi-temps, ses revenus mensuels ne dépas sent pas les 700 euros. Son loyer était jusqu’ici de 396 euros. Depuis le 1 er janvier, il doit débourser
pas bénéficier de boucliers tari faires comme l’État les avait mis en place pour l’essence au béné fice des particuliers ou des entre prises pour l’énergie ?” interroge Alexis. Tous ces jeunes travailleurs engagés dans cette action de lanceurs d’alerte sont bien déci dés à créer une prise de conscience des pouvoirs publics. “Notre démarche est collective, elle n’est pas individualiste. En plus, nous sommes très attachés à ce foyer, on veut y rester. Mais si on alerte sur nos conditions, c’est aussi parce qu’on pense à ceux qui vont arriver après nous” disent-ils. Leurs préoccupations sont sans doute aussi effacées derrière le débat qui focalise en ce moment l’actualité : la réforme des retraites. “La retraite ? On n’en parle même pas !” finissent ils par sourire. n J.-F.H.
vais faire mes courses.” Youssef habite depuis trois ans au F.J.T. de la rue des Oiseaux. À 24 ans, il est intéri maire dans l’in dustrie. Un statut a priori enviable, sauf que, à l’image de Dylan, Youssef était presque mieux loti quand il était apprenti.
conduire, encore moins d’avoir une voiture.” Dylan, qui est aussi le président du conseil de vie sociale repré sentant des résidents au sein du F.J.T., a la chance d’avoir décroché un C.D.I. Mais para doxalement, sa situation ne s’est pas améliorée par rapport au temps où il était en alternance. “Je touchais plus au final en alternance avec les aides que je percevais, qu’aujourd’hui en C.D.I. Avant, j’avais de quoi met tre un peu d’argent de côté. Aujourd’hui, c’est fini…” sedés ole le jeune travailleur qui ne cache plus son désabusement. “On veut trouver des solutions car à notre âge, on est l’avenir du pays ! Hélas, j’ai l’impression que je ne suis pas l’avenir de ce pays.” Depuis qu’il est en C.D.I., Dylan est imposable. La double peine. “Je suis toujours obligé de sortir la calculette quand je
“On est l’avenir du pays et on n’a pas de solutions…”
“Pour ne pas penser au repas lemidi, je dors.”
409 euros. “Ces 13 euros d’aug mentation, pour moi, ça représente la moitié d’une semaine de courses…” Chaque jour, il doit prendre le bus pour se ren dre à son travail. “Je n’ai pas les moyens de passer le permis de
“J’ai été amputé de 70 euros d’A.P.L. depuis que je suis passé intérimaire. Je ne demande pas la charité, mais juste de vivre correctement de mon travail.” L’augmentation de leurs loyers, fût-elle de 13 euros, les locataires du F.J.T. la prennent donc de plein fouet. Néolia, le bailleur social gestionnaire des 140 loge ments du foyer ne fait qu’appli
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