La Presse Bisontine 246 - Décembre 2022
4 L’interview du mois
La Presse Bisontine n°246 - Décembre 2022
SANTÉ
Le Professeur Laurent Thinès, neurochirurgien et lanceur d’alerte
“L’hôpital n’est pas en difficulté, il C’est un cri du cœur. Un cri du désespoir.
Mais aussi un cri de mobilisation lancé à tous les citoyens. Face à la situation des hôpitaux en France qui ne cesse de se dégrader, le Professeur bisontin Laurent Thinès appelle à un sursaut citoyen pour sauver le système de santé français qui, jadis, a été l’un des meilleurs au monde.
L a Presse Bisontine : Quel élément déclen cheur vous a décidé à lancer cet appel à un sursaut citoyen ? Laurent Thinès : Ce sont les difficultés du quotidien. On voit depuis septem bre 2021 une dégradation qui s’accélère à vitesse grand V. Les soignants la constatent avec amertume et décou ragement chaque jour. Avant l’été, il y a eu des fermetures de lits. Là, on est de nouveau dans le rouge. On n’est même plus capable d’absorber une simple épidémie de bronchiolite. S’il y a un plan blanc, on ne saura pas gérer. On ne s’en sort plus, on n’arrive pas à faire face. Le système hospitalier est vraiment à l’os à cause d’une poli tique économique d’austérité. Le seul moyen de faire des économies est de réduire la masse salariale. Mais aujourd’hui, on a tellement réduit les effectifs que l’on n’a plus aucune marge de manœuvre. On ne peut plus rem placer les soignants qui se blessent ou tombent enceintes, ou partent en burn-out, sans compter les vacances et les formations. À l’heure actuelle, on leur refuse des formations. La santé n’a pas à être rentable. Le seul critère doit être : comment on répond aux besoins de la santé de la population ? L.P.B. : Vous citez notamment le cas d’un patient porteur d’une hernie discale. Il s’est passé 42 heures entre son entrée dans un hôpital de la périphérie et son arrivée sur une table d’opération du C.H.U. Les conséquences de ce délai sont terribles : paralysie des mem bres inférieurs et de la vessie. Aujourd’hui, la santé de la population est-elle en danger ? L.T. : Maintenant, ça se paie cash par de la mortalité, des pertes de chance, des handicaps. Quand on transfère des bébés dans un autre hôpital par manque de lits, comme ça s’est fait à
Bio express l 1974 : Naissance à Arras l 2015 : Il est nommé professeur des Universités à Besançon et chef de service. Il a auparavant fait des études de médecine à Marseille. Il poursuit sa formation neurochirurgicale au C.H.R.U. de Lille puis au Toronto Western Hospital (Canada) où il se perfectionne en neurochirurgie vasculaire. Novembre 2018 : Laurent Thinès enfile son gilet jaune et s’insurge notamment contre les lésions causées par les armes sublétales. l Janvier 2019 : il s’engage au sein du Collectif Inter Hôpitaux pour la défense du service public de Santé puis démissionne avec 120 chefs de service de ses fonctions administratives pour dénoncer l’inaction gouvernementale. Il lance à la même période une pétition nationale pour demander l’arrêt de l’usage des armes sublétales (Flash-balls, L.B.D., grenades) contre les manifestants en France. l Novembre 2022 : Il appelle à un sursaut citoyen face à l’agonie de l’hôpital et au manque criant de moyens. Médecin et poète, il publie en même temps son sixième recueil de poésie (aux éditions Pré-Cheyenne).
Le Professeur Thinès lance l’alerte sur l’état d’agonie des hôpitaux et appelle les citoyens à se mobiliser pour faire bouger les lignes.
l’A.P.H.P. pour l’épidémie de bronchiolite, c’est 6 % de mortalité en plus. À un moment, les gens meurent. La situation de Besançon n’est pas la pire. À Lyon, Sur 10 blocs opératoires, 3 seu lement sont ouverts. À Minjoz, il y a entre 20 et 40 %de vacations opé ratoires selon les périodes. Toutes les semaines, il manque jusqu’à 30 à 50 % d’in firmières, 25 % d’aides soignantes. L.P.B. : En 2020, vous avez fait partie des 1 200 chefs de service qui ont démis sionné de leur fonction admi nistrative. Sur le terrain pour-
“On ne s’en sort plus,
on n’arrive pas à faire face.”
Franche-Comté. Depuis 7 ans, nous avons restructuré notre équipe pour optimiser les soins. Dans toutes les filières de la neurochirurgie, nous avons un plateau technique très performant. Et nous sommes bons élèves. Selon l’A.R.S., nous avons généré plus de 500 000 euros de “bénéfices”. Mais tous ces efforts depuis 2015 sont mis en péril par la destruction du système de santé et de l’hôpital. Notre
équipe de neurochirurgiens est complète avec 8 médecins. Mais nous faisons face à une pénurie d’internes. Pour pallier ce manque, nous allons devoir prendre des gardes d’internes. L.P.B. : Vous dénoncez la mise en danger des patients mais également des soignants. L.T. : Le collectif Inter Hôpitaux dont je fais partie réclame 120 % des effectifs
pertise de la spécialité. Le turn-over per manent ne permet pas de les former cor rectement. Sans compter qu’on a 2 infir mières pour 3, c’est très dur pour les paramédicaux. Il y a des rappels la nuit, sur les vacances, les week-ends. On ne peut pas travailler dans l’incertitude per manente. Pour le service de neurochirurgie, Besan çon est le centre de recours pour la
tant, vous remplissez toujours cette mission. Comment arrivez-vous à gérer le fonctionnement du service vu le manque d’effectif ? L.T. : C’est un problème commun à tous les services, à tous les hôpitaux. Il y a un service d’intérim intra-C.H.U. mais ce n’est pas pérenne. Il y a un pool d’in firmières. Mais chaque service a ses spé cificités. La plupart des personnels sont très compétents mais ils n’ont pas l’ex
Made with FlippingBook - Online Brochure Maker