La Presse Bisontine 245 - Novembre 2022

24 Le dossier

La Presse Bisontine n°245 - Novembre 2022

l Suisse voisine Le système en vigueur chez nos voisins Le nombre de suicides assistés est en augmentation constante

À l’échelle de la Suisse romande, l’association Exit-Romandie présidée par le Chaux-de-Fonnier Jean-Jacques Bise a accompagné l’an dernier 421 personnes dans une procédure de suicide assisté.

La tendance est toujours à la hausse cette année. Exit-Roman die devrait dépasser en 2022 le cap des 500 accompagnements. Les bénévoles de l’association Exit s’attendent à être entendus dans le cadre de la convention citoyenne que la France s’apprête à ouvrir sur le sujet du suicide assisté. “Nous avons déjà reçu récemment des parlementaires français. Je pense que chez vous en France, la législation pourrait évoluer” suppose, et espère Jean Jacques Bise. n J.-F.H. Ce que dit la loi suisse Depuis 1937, le Code pénal suisse dispose en son arti cle 1151 : “Celui qui, poussé par un mobile égoïste, aura incité une personne au suicide, ou lui aura prêté assistance en vue du suicide, sera, si le suicide a été consommé ou tenté, puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire.” A contrario , il tolère donc l’aide au suicide si le mobile égoïste de l'assistant n’est pas établi. n

urgentes, émanant de personnes non-membres de l’association, sont également en hausse : elles représentaient un tiers des dos siers l’an dernier. “Le délai le plus court qu’on ait eu, c’est trois semaines. Il y a quelques cas extrêmes comme ceux-là” constate M. Bise. 95 % des accompagne ments effectués par Exit se pas sent au domicile du patient. La possibilité de recourir au sui cide assisté en Suisse découle d’une interprétation souple de l’article 115 duCode pénal suisse qui pénalise le recours à l’assis tance au suicidemais demanière assez floue (s’il est demandé pour un motif égoïste), laissant donc une large place à cette possibilité. Comme la loi sur le suicide assisté n’existe pas en tant que telle, ce sont les associations qui se sont emparées du sujet. Et

(hormis la cotisation annuelle). Une nuance : “Une personne qui fait appel à nomdans des délais plus urgents, et qui donc n’a pas encore cotisé, paie un forfait de 350 francs” note Jean-Jacques Bise. Les étrangers qui souhai tent recourir au suicide assisté ne peuvent pas faire appel à Exit et n’ont d’autre choix que de se tourner vers d’autres associations type Dignitas (basée à Zürich), Life Circle (à Bâle) ou Ex-Inter national (Berne),moyennant un coût compris entre 9 000 et 10 000 euros.Exit reçoit pourtant à son secrétariat deGenève, “tous les jours des appels venant de France. Absolument tous les jours…” constate Jean-Jacques Bise qui préside (en tant que bénévole) Exit-Romandie depuis 2018. Globalement, les demandes sont en constante hausse. En 2021, Exit-Romandie a accepté 641 dossiers qui ont donné lieu à 421 accompagnements. “Ce qui signi fie qu’un tiers des dossiers accep tés n’ont pas été menés au bout. Quand une personne va très mal et qu’elle sait que son dossier est accepté, il y a une forme de sou lagement car elle sait qu’elle peut demander, ou pas, notre aide” note le président. Le suicide assisté représentait en Suisse romande 1,8 % des décès en 2021. Et les demandes

P entobarbital de sodium. Ce nom barbare, c’est le produit que les can didats suisses au suicide assisté ingèrent pour en finir avec la vie, accompagnés dans ce geste ultime par un proche, et suivis au préalable par une des associations habilitées à la

faire. Exit-Romandie est l’une de celles-là.L’association présidée par Jean-Jacques Bise, un habi tant de La Chaux-de-Fonds, compte 33 000 membres qui paient une cotisation de 40 francs suisses par an. C’est cette asso ciation qui a notamment accom pagné vers lamort le réalisateur

franco-suisse Jean-Luc Godard récemment. Son homologue dans la partie alémanique, Exit Deut sche Schweiz compte, elle, 140 000 membres. Condition sine qua non pour faire appel aux services de l’association Exit : être résident en Suisse… L’avantage : la gratuité du service

chaque associa tion encadre la pratique selon ses propres règles : le discer nement, la fin de vie inéluctable et des souf frances extrêmes, l’ac compagnement obligatoire, le jugement de

On devrait dépasser en 2022 le cap des 500 accompagne ments.

Jean-Jacques Bise, installé à La Chaux-de Fonds, préside l’association Exit-Romandie depuis 2018.

médecins conseils…

l Religion

Monseigneur Jean-Luc Bouilleret L’archevêque de Besançon hostile à l’évolution de la loi

Monseigneur Jean-Luc Bouilleret ne se dit pas favorable à l’autorisation du suicide assisté qu’il met au même rang que l’euthanasie. Il explique sa position.

C omme dans tout débat de société, l’Église catholique participera sans doute au grand débat autour de la fin de vie. À titre personnel, l’archevêque de Besançon Monseigneur Bouilleret, craint que l’éventuelle évolution de la loi et l’ouverture vers le suicide assisté, voire l’euthanasie, soient “une rupture des fondamentaux qui structurent la vie sociale, à savoir le refus du meurtre, le refus de l’inceste et le refus du men songe. Ouvrir la porte au faire mourir serait selon moi une rupture fonda mentale dans le contrat social” estime l’archevêque. L’homme d’Église avance des argu ments d’ordre philosophique en se demandant si “la société est là pour protéger la vie dans sa plus grande fragilité ou pour amener la décision de faire mourir ?” ,mêlant dans le même rejet le suicide assisté et l’euthanasie. Pour étayer sa position, Jean-Luc Bouil leret en appelle également à l’éthique médicale. “Le médecin est-il là pour aider àmourir ou pour préserver la vie ?” , faisant référence au contenu du serment d’Hippocrate qui appelle les soignants à rétablir, préserver ou

promouvoir la santé. “J’entends parler de la possibilité qu’il y aurait pour un polyhandicapé de faire entendre sa volonté de mourir par un clignement des yeux. Je crois qu’on marche sur la tête quand on en est à trouver des moyens techniques pour se dégager de la responsabilité de faire mourir quelqu’un” ajoute le prélat franc-com tois, réfutant au passage ce risque que se généralise pour les gens parfois dits “inutiles” (grabataires, polyhandica pés…) la possibilité d’avoir accès au suicide assisté. “Une société qui n’est plus capable de prendre en charge les plus fragiles est en danger” , opposant

Monseigneur Jean-Luc Bouilleret réfute la tendance à vouloir mettre la liberté de l’individu au centre de tout. “Et la fraternité ?” demande-t-il.

donc la fraternité à la liberté que prônent les pro-suicide assisté. Monseigneur Bouilleret estime qu’avant de faire évoluer la loi “pour quelques cas particuliers” , il serait d’abord nécessaire de généraliser l’existence d’unités de soins palliatifs sur tout le territoire. “26 départements en sont encore dépourvus. Qui dit que ces soins palliatifs se

D’abord nécessaire de énéraliser les soins palliatifs.

doctrine catholique qui prône le “Tu ne tueras point !” Que le religieux bison tin ne distingue pas d’un éventuel “Tu ne te tueras point.” “Le respect de la vie humaine est essentielle, de sa concep tion à sa fin naturelle” estime Jean Luc Bouilleret. “Est-ce que c’est la res ponsabilité de l’État de répondre systématiquement à tous les désirs de

l’individu au motif que la technique le permettrait ? Je ne le crois pas.” Rétrograde l’Église sur cette nouvelle question de société ? “N’est-on pas au contraire en avance en attirant l’atten tion sur les plus fragiles ? C’est plutôt cela qui fait le lien social, et pas l’in dividualisme” répond l’archevêque. n J.-F.H.

développeraient une fois le suicide assisté autorisé ?” , estimant que dans la société actuelle, “le juridique prend le pas sur l’éthique. On s’est battu pen dant deux ans pour les gens atteints du Covid n’en meurent pas et là on va ouvrir cette porte à ce que je pense être une rupture sociétale et anthropolo gique !” , revenant aux sources de la

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