La Presse Bisontine 245 - Novembre 2022

22 Le dossier

La Presse Bisontine n°245 - Novembre 2022

l Interview

Le Professeur Régis Aubry “Il ne peut pas y avoir une commercialisation de la mort”

Membre du conseil national consultatif d’éthique, le Professeur bisontin Régis Aubry estime que la loi peut évoluer, mais estime indispensable que les débats soient éclairés, dépassionnés et ne résument pas à une position pour ou contre le suicide assisté.

Le Professeur Régis Aubry, médecin chef du département douleurs soins palliatifs du C.H.U. de Besançon, est membre du comité consultatif national d’éthique.

L a Presse Bisontine : Était-il nécessaire de relancer le débat autour de la fin de vie ? P r Régis Aubry : Je pense qu’il y a une utilité à relancer le débat si ce débat est bien organisé. Si on réduit ce débat à la question pour ou contre l’euthanasie ou le suicide assisté, alors non. Depuis quelques années dans notre société, et même si c’est discutable, on investit beaucoup la question de l’autonomie de la personne, les citoyens sem blent ne plus avoir envie qu’on décide pour eux, dans toutes les sphères de la vie. Parallèlement, le corollaire des progrès de la médecine, c’est qu’on fabrique des situations de longue fin de vie et qu’on confronte la per sonne à sa propre finitude pen dant de longs mois. Tout cela crée donc de nouvelles questions qu’on ne peut pas nier et en cela, le débat qui va s’ouvrir est utile. L.P.B. : Que pensez-vous de la méthode avec une convention citoyenne com posée de 150 citoyens, qui doit se mettre en place en décembre ? R.A. : Cet échantillon de 150 citoyens représentatifs sera nécessaire, mais pas suffisant. Notre rôle au conseil national consultatif d’éthique sera jus tement d’éclairer les débats afin

varie beaucoup et ils changent de position beaucoup plus que les bien portants. Plus on s’ap proche de leur fin de vie, et plus les gens changent d’opinion. C’est la raison pour laquelle il ne faut surtout pas se baser uni quement sur une opinion des bien portants. L.P.B. : Pour vous, la législation suisse à laquelle on se réfère parfois est-elle un exemple à suivre ? R.A. : Cette législation se base sur un défaut du droit, et pas sur le droit positif. Ensuite, ces pratiques reposent sur des asso ciations, et ce droit est payant et souvent très cher. Pour moi, ce n’est pas admissible d’un point de vue éthique. Il ne peut pas y avoir une commercialisa tion de la mort, ce n’est pas envi sageable. Il est plus intéressant de s’intéresser à ce qui s’est passé dans l’État de l’Oregon aux États-Unis qui a ouvert la porte au suicide assisté. On s’aperçoit qu’une partie des patients ne sont pas venus cher cher le produit létal,même après l’autorisation, et qu’une partie des patients qui l’ont acheté ne l’activent pas. Les citoyens de cet État se satisfont de la pos sibilité d’y avoir accès.

que le plus grand nombre se sai sisse des enjeux et de la com plexité de cette question. Des débats doivent donc avoir lieu dans les régions, via les Espaces de réflexion éthique sur la base de l’avis que nous avons rendu récemment. Il est également capital que les parlementaires, ceux qui voteront une éventuelle nouvelle loi, soient eux-mêmes éclairés sur cette question. Et dans le contexte actuel d’hys térisation des débats, j’avoue que c’est un peu ma crainte. L.P.B. : Dans les enquêtes d’opinion, il apparaît de plus en plus que les per sonnes interrogées sont favorables pour choisir leur fin de vie. Les men talités ont donc bien évolué ?

on se doit de les penser avec beaucoup de respect. L.P.B. : Les soins palliatifs sont-ils assez développés et connus en France ? R.A. : Il y a encore une mauvaise connaissance de cette question alors que le mouvement des soins palliatifs est justement à l’origine des lois qui interdisent l’acharnement thérapeutique. Les soins palliatifs surviennent toujours quand les traitements conventionnels sont finis. Selon moi, on ne peut donc réfléchir à une évolution éventuelle du droit que si on investit en même temps le champ des soins pal liatifs et la question de l’auto nomie des personnes âgées. Or, je crains que la loi autonomie

ait été mise de côté pour l’ins tant. L.P.B. : ça en dit long sur l’évolution de notre société ? R.A. : C’est un symptôme inquié tant en effet. Je pense qu’on est désormais dans une société qui n’a pas compris qu’il était néces saire de protéger les personnes vulnérables. Cette petite musique qu’on entend selon laquelle les plus vulnérables ne sont pas importants est dange reuse. Si l’espèce humaine a per duré à travers les millénaires, c’est justement parce qu’elle s’est toujours occupée des plus vulnérables de ses membres. Si l’espèce humaine oublie cela, elle va dans le mur... n Propos recueillis par J.-F.H.

ne se suffit plus à elle-même ? R.A. : Les dispositions actuelles de cette loi sont suffisantes pour la plupart des cas, en tout cas pour toutes les situations de fin de vie à court terme (c’est-à-dire de quelques heures à quelques jours). Mais l’analyse de l’évo lution des situations de fin de vie fait qu’on voit émerger des demandes d’aide active àmourir qui appellent dans un premier temps les soins palliatifs et de fait, quand on écarte la douleur, on s’aperçoit que la grande majo rité de ces demandes disparais sent. Un certain nombre per dure, qui font appel à une question existentielle du patient et pour qui la sédation profonde et continue ne fonctionnera pas. Ces cas sont exceptionnels mais

“Si la société ne s’occupe plus des vulnérables, elle va dans le mur…”

R.A. : C’est un fait. Pour autant, il faut analyser cela de plus près et se rappeler d’abord que les sondages ne s’adressent pas aux personnes concernées mais à des bien portants. Des travaux de recherche ont été menés qui mon trent que quand on s’intéresse aux patients, leur avis

L.P.B. : L’actuelle loi Claeys-Léonetti

l Parlement Suicide assisté et euthanasie Le député Éric Alauzet favorable à une évolution de la loi Le parlementaire bisontin défend l’idée de faire évoluer la loi actuelle et de l’ouvrir, sous de strictes conditions, au suicide assisté voire à l’euthanasie.

Zoom La présidente des L.R. Annie Genevard exprime “de grandes réserves” P our la députée du Doubs, avant de légiférer à nouveau, il serait opportun que “le plus grand nombre de personnes s’approprient les détails de la loi existante. Cette loi qui autorise la sédation profonde, renforce les directives anticipées et interdit l’acharnement thérapeutique, adoptée il y a quelques années seulement, n’est pas encore suffisamment connue” estime l’élue mortuacienne. Annie Genevard met un deuxième corollaire à l’éventuelle évolution de la législation : avant de légiférer, “il faudrait aussi s’interroger sur l’absence de services de soins palliatifs dans certains territoires.” Réservée sur l’éventuelle évolution de la loi, Annie Genevard estime également qu’un être humain, dans quelque état qu’il soit, “ne perd jamais sa dignité.” Pour elle, “la grandeur d’une société se mesure aussi dans sa capacité à prendre en charge la vulnérabilité et la fragilité. Au regard de mes convictions et de mes valeurs, de grandes réserves et de profondes interro gations sur le plan éthique concernant l’éven tualité du suicide assisté et de l’euthanasie.” n

Si la question arrive devant le Parlement, le député bisontin Éric Alauzet se prononcerait sans doute

pour une évolution de la loi.

M édecin et parlemen taire, Éric Alauzet affirme avoir “toujours été favorable à des dis positifs d’accompagnement à une aide active à mourir. Cela nécessite en revanche d’aborder ce sujet avec beaucoup de précautions, de prudence et de respect.” Le député Renaissance estime en effet “qu’on continue à mourir mal en France. La loi actuelle est loin de régler tous les problèmes et elle est très peu appliquée. Le cas de Paulette Guinchard est un bel exemple des carences de cette loi. Dans le cas de sa maladie, elle n’au rait pas pu bénéficier de la sédation profonde car sa maladie était trop longue. La loi Claeys-Léonetti s’ap plique exclusivement en phase ter

minale.” S’il se dit favorable à ce que la loi évolue vers la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie (les deux notions devront être mises en débat selon lui), le député Alauzet estime que “ces dispositifs seraient utilisés de façon rare, de manière très enca drée. Il est impératif que ces dispositifs ne deviennent pas une facilité de la société face au vieillissement” Pour lui, si elle est accordée par l’évolution probable de la loi, cette “ultime liberté de chacun” devra obligatoirement s’accompagner “de son pendant, c’est à-dire la solidarité, en apportant des réponses en termes de soins palliatifs dans les secteurs qui en sont dépour vus. L’un ne peut pas aller sans l’au tre.”

virent à la foire d’empoigne, mais je me dis que ce sujet est tellement grave qu’on pourra compter, j’espère, sur la responsabilité de chacun pour que les parlementaires soient à la hauteur de l’enjeu.” Même si cette question sociétale ne donnera sans doute pas lieu à des consignes de vote par groupes, la sensibilité générale des députés du groupe Renaissance auquel Éric Alauzet appartient semble pencher, selon le député bisontin, vers une évolution de la loi. “Je pense que le président de la République estime aussi qu’il faut que la loi évolue” confie le parlementaire bisontin. n J.-F.H.

Sur la méthode, si Éric Alauzet approuve le lancement de cette convention citoyenne et des débats qui l’accompagneront, il ne se dit pas favorable à un référendum pour

valider une éven tuelle évolution de la loi. “Vu la complexité de ce sujet, je suis plu tôt favorable à un parcours législatif. Je ne pense pas qu’un référendum soit adapté à cette ques tion. Dans le contexte actuel, on pourrait craindre que les débats au Parlement

“On continue à mourir mal en France.”

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