La Presse Bisontine 245 - Novembre 2022

Le dossier 21

La Presse Bisontine n°245 - Novembre 2022

l Exclusif

Le mari de Paulette Guinchard

“Paulette aimait profondément la vie, sa décision n’est en rien contradictoire”

L a Presse Bisontine : Le 4 mars 2021, votre épouse Paulette Guinchard décédait par suicide assisté en Suisse. Vous répondez pour la première fois à une interview. Pourquoi ? Denis Pagnier : Ce n’est pas facile pour moi parce que je ne suis pas un habitué des médias ni un grand communicant. Mais le fait que le débat sur la fin de vie soit bientôt relancé me donne cette occasion de dire que c’est une bonne chose que ce débat ait lieu. Quand on a été confronté à cette question et qu’on sait que beaucoup de personnes le sont, il m’a semblé opportun de parler de ce sujet. Depuis la mort de Paulette, je reçois régulièrement des appels de per sonnes qui veulent en savoir plus sur la réglementation actuelle. Qu’on soit obligé de partir en Suisse n’est pas facile et en rajoute encore à la douleur. Je pense qu’il est nécessaire que la loi française évolue. L.P.B. :Vous avez été immédiatement en phase avec la décision prise par Paulette Guinchard ? D.P. : Quand vous avez été confronté comme moi plus tôt à la violence d’un suicide, vous voyez forcément les choses autrement. Toutes les personnes peu vent avoir un avis sur la question, mais quand on n’y est pas confronté, je pense qu’on ne sait pas vraiment de quoi on parle. Quand on a le choix entre mourir calmement, dans la sérénité, en étant entouré, en tenant la main de ses proches, en se souriant jusqu’au bout, l’apaisement est beaucoup plus fort que quand vous êtes confrontés à quelqu’un qui se tranche les veines ou qui se jette à l’eau parce qu’il n’a pas d’autre choix. C’est la raison pour laquelle je me demande comment on peut être contre le suicide assisté… Bien sûr il ne faut pas légiférer n’im porte comment,mais pour les personnes en fin de vie, le suicide assisté n’est qu’une délivrance, il ne sert à rien d’en rajouter avec de la violence. L.P.B. : Paulette Guinchard a souhaité elle même que sa décision soit connue. Pourquoi ? D.P. : Ce n’était pas vraiment prémédité d’en parler. C’est dans les jours précé dents qu’elle a eu l’idée de le faire. Trois jours avant, au cours d’un de ces moments privilégiés où je l’aidais à s’habiller, nous nous sommes dit que ce n’était pas normal de devoir aller en Suisse pour un tel acte. Après un long silence, elle a réalisé que d’en par de son épouse Paulette Guinchard, l’ancienne secrétaire d’État, Denis Pagnier témoigne. En mémoire de celle qu’on appelait affectueusement Paulette, avec émotion, et pour faire avancer la cause. Pour la première fois depuis la mort par suicide assisté

Denis Pagnier a accepté de témoigner pour que la cause que défendait Paulette Guinchard avance.

D.P. : Je ne parlerais pas de faille, je pense juste qu’elle ne va pas assez loin. La loi française est encore très restric tive. Paulette n’était pas éligible au processus de sédation profonde que permet la loi et ç’aurait été évidemment mieux qu’elle le soit. Y a-t-il besoin d’être malade uniquement physique ment pour avoir droit au suicide assisté ? Je ne le pense pas non plus. Dans ce débat, les psychiatres auront sans doute aussi leur mot à dire.Atten tion, il ne faudrait pas que le suicide assisté devienne banal et automatique, il serait nécessaire de l’encadrer stric tement. L.P.B. : Le système suisse est-il le bon selon vous ? D.P. : Les Suisses s’entourent d’un tas de précautions, de l’avis d’un médecin évidemment et les associations qui s’occupent du suicide assisté garan tissent bien sûr que l’acte demandé ne l’est pas sur un coup de tête. L.P.B. : Le coût d’un tel accompagnement peut tout de même être un obstacle ? D.P. : Cet acte s’accompagne d’un service complet comme dans des obsèques en France qui coûtent aussi un certain prix. Mais bien sûr que pour certains, notamment ceux qui sont éloignés de la Suisse, c’est un obstacle supplémen taire. L.P.B. : Paulette Guinchard était issue d’un milieu agricole, elle a fait partie des Jeunesse agricoles catholiques et se situait dans la mouvance de Témoignage Chrétien. Son geste

ler, ce serait peut-être utile pour faire avancer les choses. C’est là que nous avons décidé de passer le message à Marie-Guite Dufay sa grande amie pour qu’elle puisse évo quer les circonstances du décès de Paulette. Une poignée de personnes seu lement étaient au courant. C’est sans doute un der nier message politique que Paulette a voulu envoyer. Et si elle ne m’avait pas dit qu’il fallait faire avancer le débat, je n’aurais pas accepté d’in terview (sourire).

ment perturbant… Comment l’avez-vous vécu ? D.P. : On l’a su une quinzaine de jours avant, par un coup de téléphone de l’association qui proposait une date. Paulette a souhaité que cette date soit calée le plus vite possible. Alors on vit ces quinze derniers jours sans s’en ren dre compte, on continue à s’occuper d’elle comme toujours, et c’est seule ment après qu’on réalise… Paulette aimait profondément la vie, sa décision n’est en rien contradictoire. Elle ne pouvait plus marcher, parler, faire la couture qu’elle adorait faire…Certains peuvent penser que sa décision est dif ficilement compréhensible. Je l’ai com prise tout de suite. L.P.B. : Paulette Guinchard aura marqué par son parcours personnel et politique jusqu’au bout. Vous ressentez de la fierté aujourd’hui ? D.P. : (ému) Bien sûr… Je remarque aussi que son souvenir est entretenu avec vivacité par ceux qui l’ont connue. Une fois par an par exemple, je retrouve avec des proches de Paulette les mem bres de son cabinet ministériel quand elle était à Paris. Nous nous retrou verons notamment début décembre en région parisienne chez un de ses anciens collaborateurs qui organise un colloque sur la fin de vie. Ils viennent également régulièrement chez moi à Chaux-Neuve. Je ne connais aucun cas semblable d’une équipe d’un ancien ministre qui continue à se voir régu lièrement ! Paulette a laissé une trace qui perdure. n Propos recueillis par J.-F.H.

peut paraître en contradiction avec les dogmes de l’Église ? D.P. : Elle n’y a vu aucune incompati bilité avec le côté religieux. J’ai eu en effet quelques retours de gens surpris, voire choqués, mais encore une fois, toujours de la part de gens qui ont la chance de ne jamais avoir été confrontés à ces questions. Je peux garantir que l’expérience personnelle, ça vous blinde ! L.P.B. : Ce 4 mars 2021, vous l’avez vécu évi demment avec une immense intensité. Com ment les choses se sont-elles déroulées ? D.P. : Paisiblement, comme à la maison. Elle était entourée de son fils et de moi-même. Tout s’est passé dans la sérénité, le calme, l’amour. L.P.B. : Le consentement de la personne est réitéré jusqu’au bout ? D.P. : Les personnes de l’association expliquent précisément comment ça

“Je pense qu’il est nécessaire que la loi française évolue.”

L.P.B. : Cette décision de recourir au suicide assisté, Paulette l’avait prise depuis long temps ? D.P. : Oui, ça fait très longtemps qu’elle savait qu’elle ferait comme ça. Avant même qu’on se connaisse. Elle savait qu’elle ne voulait pas subir ce qu’avaient subi son père et sa grand mère avec la même maladie dégéné rative qui touchait le cervelet qu’on appelle les syndromes cérébelleux. Elle m’avait dit que si elle était un jour atteinte de cette maladie, elle ne pour rait pas subir les mêmes souffrances. C’est un choix que j’ai compris et res pecté immédiatement. Si ce genre de maladie me touchait, je ferais pareil. L.P.B. : Selon vous, la loi française devrait donc évoluer et comporte encore des failles ?

se passera. Et à chaque étape, Paulette donnait son consentement, au moment de la perfusion, de la pose du soluté, etc. Et c’est elle qui maîtrisait les choses jusqu’au bout, jusqu’aumoment d’action ner la perfusion elle même. Paulette a été déterminée jusqu’au bout, elle n’a pas souffert, elle était en communion avec nous… L.P.B. : Connaître la date du décès d’un proche est forcé

“Elle ne voulait pas

subir ce qu’avait subi son père.”

Made with FlippingBook Digital Publishing Software