La Presse Bisontine 240 - Juin 2022

8 L’événement l Santé

La Presse Bisontine n°240 - Juin 2022

La directrice à la retraite, dresse un bilan “L’hôpital, même s’il est secoué, a les moyens de réagir” 100 lits sont fermés en raison du manque de personnel, 56 démissions d’agents sont annoncées en 2022, un taux d’absentéisme qui grimpe, la troisième ligne du S.M.U.R. qui n’intervient plus la nuit. La réalité du C.H.U. de Besançon est complexe. Pourtant, sa directrice Chantal Carroger, qui fait valoir ses droits à la retraite, entrevoit des points positifs. L a Presse Bisontine : La page Covid semble être tournée. Cette expérience a-t-elle été la plus difficile à gérer ?

ne recrute pas parce que nous n'avons pas les moyens mais parce qu’il n’y a pas de candidats (N.D.L.R. : le C.H.U. débourse 300 millions d’euros par an en dépenses de personnel, plus 30 mil lions depuis le Ségur). 56 démissions sont annoncées en 2022 et des demandes de mutation, un chiffre en augmentation par rapport à 2021. Nous avons l’impression que les agents, après la crise, veulent changer de métier. La grande inconnue, pour nous, c’est de

ce sont des lits fermés… C.C. : 100 sont fermés au C.H.U., non pas pour le plaisir de les fermer mais parce que nous n’avons pas le personnel. C’est 10 % de notre capacité. Il faut trouver un équilibre pour ne pas accen tuer la pression sur les équipes actuelles et préserver l’intérêt des patients. La situation est fragile. Le personnel ne souhaite plus travailler la nuit si bien que des personnels de jour vont de pas ser de nuit, sans doute en septembre. L.P.B. : Cette contrainte va donc être supportée par ceux qui restent… C.C. : Les personnels ne veulent pas travailler non plus le week-end, nous avons un fort taux d’absentéisme le vendredi. Comment fait-on quand un hôpital fonctionne 365 jours par an ? On développe l’ambulatoire, certes, sauf que nous sommes établissement de recours si bien que nous gardons les malades. La nouvelle génération vit mal les contraintes. Il y a une recon naissance financière par le Ségur mais ce n’est pas suffisant. L.P.B. : Attirer des candidats dans ce contexte tendu, c’est une gageure. Comptez-vous sur

Chantal Carroger : C’est une crise sans précédent que nous avons vécue avec cette anxiété de ne pas trouver de lits supplémentaires. Nous sommes passés au plus fort de la pandémie de 40 à 92 lits de réanimation, c’est gigantesque. C’est aussi la première fois que nous comptions les morts (N.D.L.R. : 500 morts du Covid à Besançon). Ce fut stressant et traumatisant pour les familles ainsi que le personnel qui s’est retrouvé face à ces morts violentes. Le Covid a fait changer l’hôpital de para digme. L.P.B. : L’hôpital d’hier n’est plus celui d’au jourd'hui. Des agents, fatigués, ont démissionné. Combien sont-ils ? C.C. : Personne ne sait comment l’hôpital va se relever de la crise. Tous les éta blissements constatent un absentéisme élevé, à 11,7 % alors que nous étions à 8,7 % avant la crise, 14 % chez les aides-soignants au C.H.U. Comment la situation va-t-elle se modifier dans les mois à venir ? On ne sait pas. On

savoir où ils vont car on ne les retrouve pas dans d’autres structures de notre Groupement hos pitalier de territoire. Cette question se pose au niveau national. Chez les médecins, nous avons peu de départs. Huit postes de médecins urgentistes sont toutefois vacants, ce qui nous oblige à nous réorganiser. En conséquence, la troi sième ligne du S.M.U.R. de nuit ne sort plus.

“Je n’ai pas honte de laisser l’hôpital dans l’état dans lequel il est.”

d’équipements à la hauteur d’un C.H.U. avec de nouveaux scanners, de nou veaux bunkers de radiothérapie, un investissement en cardiologie. Pour les bâtiments, nous allons construire un nouveau bâtiment de réanimation, terminer la rénovation de la Tour Min joz (2027) puis terminer le déménage ment de Saint-Jacques. L.P.B. : Où en est ce dossier de la vente de Saint-Jacques à Vinci ? C.C. : Nous sommes toujours en discus sion. Je n’ai pas accepté de brader le site, je défends mon hôpital. Vinci pro posait 8 millions d’euros, contre 14 mil lions au départ. L.P.B. : Quel sentiment vous anime au moment de votre départ ? Quel message délivrez-vous aux équipes ? C.C. : L’hôpital, même s’il est secoué, a les moyens de réagir positivement. Nous avons des gens de grande valeur qui sont fiers de leur hôpital, de beaux projets, et de l’argent pour les mettre en valeur. Le C.H.U. dispose d’unités de recherches dynamiques, une activité en cancérologie en hausse avec 27 onco logues qui parcourent la région, un service de radiothérapie reconstitué après des difficultés sur la chirurgie thoracique, des services de cardiologie, gynécologie, réanimation…à la pointe.

les sorties au début de l’été des écoles d’in firmières pour renforcer les équipes ? C.C. : On lance des campagnes de recru tement et on communique. On sait que les sorties d’école attendues pour l’été ne nous permettront pas de faire le plein. Cela va poser des problèmes dans les petites structures qui ne pour ront par exemple pas maintenir leur service de soins de suite et de réadap tation. Cela peut paralyser le système. L.P.B. : Une piste pour redonner aux équipes la foi en leur métier ? C.C. : Il faut retravailler les organisations de temps de travail, redonner des temps de pause, que les équipes puissent échanger entre elles, avec les malades. Cela doit être travaillé au niveau natio nal. Il y a 40 ans, lorsqu’il y avait une naissance dans un service, on faisait un événement, des repas, on connaissait son collègue. L.P.B. : Était-ce une erreur de suspendre le personnel non vacciné ? C.C. : J’applique la loi. Sur 7 200 agents, cela représente 10 soignants (4 aides soignantes, 4 infirmières, 1 infirmier anesthésiste, 1 masseur kinésithéra peute) et 8 autres ont été suspendus. L.P.B. : Côté opérations chirurgicales, le C.H.U. retrouve-t-il son niveau d’avant la crise ? C.C. : Nous n’avons pas retrouvé notre rythme. En raison de l’absentéisme, nos blocs fonctionnent à 80 % et nous comptons un retard d’environ 8 000 opérations chirurgicales sur 2 ans. La situation n’est pas catastrophique. Nos blocs d’urgence ont toujours fonctionné, la cancérologie également. L.P.B. : Dans quel état financier laissez-vous le C.H.U. ? C.C. : À l’équilibre depuis 2017 et avons obtenu récemment 68 millions d’euros du Ségur pour la reprise de la dette et l’investissement. J’ai toujours accom pagné les hausses d’activité par une croissance d’agents (+ 615 personnes recrutées). J’en suis fière comme je suis fière de maintenir un niveau

L.P.B. : Moins de personnel,

Je n’ai pas honte de lais ser l’hôpital dans l’état dans lequel il est. On a la chance de travailler dans un établissement qui sert l’humain et son prochain. En 40 ans, je dis que l’hôpital est un beau métier. Il ne faut pas tomber dans le défaitisme car il y a beaucoup de positif. Il y a une nouvelle page à écrire, avec plus de personnel. L’hôpital sera là pour prendre soin d’eux. n Propos recueillis par E.Ch.

“Revoir les organisations

de travail au niveau national.”

Chantal Carroger a officiellement quitté ses fonctions de directrice du C.H.U. le 23 mai. Son remplaçant arrive le 1 er janvier prochain.

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