La Presse Bisontine 238 - Avril 2022
L’événement 7
La Presse Bisontine n°238 - Avril 2022
l Banque La Nef répond aux critiques “On finance tout, sauf l’armement, le nucléaire, le charbon, le pétrole” La banque coopérative se défend de guider ses financements dans des projets en lien avec l’anthroposophie. Elle met en avant sa transparence, les nombreux projets qu’elle accompagne dans des domaines aussi vastes que l’agriculture biologique, les énergies renouvelables, sans nier son passé ou le soutien à des écoles Steiner.
L a Presse Bisontine : La Nef se définit comme une banque éthique et coo pérative. Qu’est-elle vraiment ? Arthur Vaillant (conseiller grands comptes et institutionnels) : Nous sommes un éta blissement bancaire créé dans les années quatre-vingt sous la forme d’une association, puis sous une forme coopérative. Nous sommes identifiés comme une banque verte dont la seule ressource est l’épargne qui lui est confiée par 41 000 sociétaires dont le but est de construire une société plus juste et plus durable. Notre volonté est de financer des projets positifs, montrer que le secteur bancaire peut être transparent. Pour cela, la totalité des projets que nous finançons sont publiés chaque année depuis notre création. A.V. : Parce que la partie scolaire rentre dans les critères de la coopérative. Si Besançon était venue nous voir pour un projet de vidéosurveillance ou pour rénover des routes sans impact écolo gique, nous ne serions pas intervenus. L.P.B. : Malgré sa transparence affichée à tous les étages, la Nef est régulièrement citée pour ses financements en lien à l’anthroposophie. Pourquoi ? A.V. : Historiquement, les deux fonda teurs (N.D.L.R. : Jean-Pierre Bideau et Henry Nouryt) possédaient des liens avec l’anthroposophie. De mon côté, je n’ai jamais lu un de leurs livres, ça ne reflète pas tout le quotidien des salariés de la banque. On peut financer par exemple des écoles Steiner, à hauteur de deux par an sur les 500 projets que nous aidons. Nous avons par exemple financé davantage d’écoles Montessori. Il y a près de dix ans, aucune autre banque ne voulait suivre.Aujourd’hui, le système Montessori est encensé. Nous sommes le seul établissement L.P.B. : Pourquoi avoir financé le projet bison tin ?
petit à petit l’identité propre.
bancaire français à publier chaque année, depuis notre création en 1988, la liste complète de nos financements. Présentant une dizaine de projets il y a 30 ans, cette publication annuelle détaille aujourd’hui près de 500 prêts et est accessible à tous, clients, socié taires, emprunteurs, partenaires ou simplement curieux. L.P.B. : Cette étiquette vous colle malgré tout à la peau. Pourquoi ? A.V. : Tout a commencé par un rapport d’enquête parlementaire d'un député sur les sectes où le nom de la Nef s’est retrouvé là (1999) ! La Commission d’enquête parlementaire sur les sectes, et en particulier le député qui en était président à l’époque, Jacques Guyard, a été attaqué en justice pour diffama tion. Lors du procès et de l’appel qui a suivi, la diffamation a été reconnue par la cour, bien que M. Guyard ait été acquitté, au bénéfice de sa bonne foi, puisqu’il s’appuyait dans ses propos sur le rapport parlementaire dont la qualité gouvernementale empêche qu’il puisse être jugé. Régulièrement sur les réseaux sociaux apparaît ce rac courci alors que chacun peut vérifier tous les projets que nous finançons. Dire que la Nef est le berceau d’une logique complotiste nous dépasse. Dans tous les secteurs de l’économie, il peut y avoir des anthroposophes comme des francs-maçons. Ce n’est pas quelque chose qui se claironne,mais je le répète, cela ne guide pas notre conseil de sur veillance. Dès que la Nef a commencé à se développer (elle est passée de 700 sociétaires en 1988 à plus de 41 000 en 2021), des partenaires issus de mou vements écologistes, de l’économie sociale et solidaire, ou portant une pen sée humaniste, ont rejoint la Nef en très grand nombre. Ils ne faisaient aucunement partie du milieu de l’an throposophie. C’est avec ces personnes, devenues majoritaires, que s’est formée
L.P.B. : Comment expliquer que vous financez en majorité des projets en lien avec la biody namie, un secteur connu pour ses liens avec l’anthroposophie ? A.V. : La biodynamie est intégrée au marché du bio, je n’ai pas d’ a priori sur cette technique. Nous avons été les premiers à accompagner des agri culteurs qui se lançaient dans le bio, là où aucune autre banque ne voulait aller par le passé. Aujourd’hui, on a prouvé que ces projets étaient finan çables donc forcément, la concurrence arrive ! On aide tous les projets sauf ceux qui ont des liens avec l’armement, le nucléaire, le charbon, le pétrole. On refuse également de travailler avec des entreprises dont le capital n’est pas détenu par une personne physique. On peut en revanche financer comme nous venons de le faire une activité d’ébénisterie parce qu’elle possède un mode de gouvernance très ouvert, avec une approche environnementale et sociale qui intègre des personnes loin de l’emploi ou qui ne cherchent pas le profit à tout prix. On soutient égale ment les activités dans les énergies renouvelables, les méthaniseurs, le photovoltaïque, un peu l’éolien car ce secteur nécessite des financements plus importants. L.P.B. : Que répondez-vous à vos détracteurs ? A.V. : Nous restons ouverts à la contes tation. À ceux qui nous accusent, on leur répète qu’il n’y a aucune surprise dans ce que l’on finance.Tout est trans parent. Dans notre équipe, nous avons tous des convictions pour faire de la banque différemment. J’ignore si mes collègues sont de droite ou de gauche. Ce que je sais, c'est que nous voulons que la finance soit un outil au service de l’évolution pour davantage de soli darité, d’écologie, de bienveillance. n Propos recueillis par E.Ch.
La Nef se définit comme une banque verte et éthique (photo D.R.).
Explications L’anthroposophie, c’est quoi ? On pourrait définir l’anthroposophie comme un mouvement de pensée qui se veut proche de la nature et qui voit le monde comme mû par des forces spirituelles ou ésotériques. Il a été fondé par un Autrichien, Rudolf Steiner (1861-1925). Il ne s’agit pas d’une secte. L’organisme qui surveille les sectes (Miviludes) pointe toutefois un goût pour l’occultisme. Concernant les dérives ? La situation est plus complexe. Car bien que considérées comme fantaisistes par les scientifiques, les théories anthroposophiques ont eu une postérité importante, dans la médecine, l’agriculture, l’éducation et la banque. Dans le monde de l’éducation, l’anthroposophie a directement inspiré les écoles Steiner qui fournissent une pédagogie alternative. C’est dans ce domaine que la polémique est la plus vive. Ancien élève et enseignant d’une de ces écoles, Grégoire Perra dénonce “l’en doctrinement des élèves” aux théories anthroposophes. Pour le domaine médical, ce dernier a également dénoncé son expérience de la médecine anthroposophique qu’il juge comme “une médecine réactionnaire qui dissimule sa haine de la science moderne.” Cela lui a valu une plainte déposée par deux médecins anthroposophes pour diffamation et injures publiques. Le tribunal de Strasbourg (octobre 2021) lui a donné raison. Concernant l’agriculture, les thèses anthroposophes ont influencé la biodynamie, notamment utilisée dans le secteur viticole. En enterrant par exemple des cornes de bovins dans le sol, en fonction de la lune et des astres, des énergies cosmo-telluriques seraient capturées. Les marques Weleda (cosmétiques bio) et Demeter (biodynamie) sont par ailleurs proches de ce mouvement de pensée, révélait un article du Monde Diplomatique. Bien que controversé, le mouvement a donné naissance aux Biocoop, A.M.A.P. (association pour le maintien d’une agriculture paysanne), banques éthiques. Leurs adhérents ou clients sont bien loin de souscrire aux théories anthroposophes. n
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