La Presse Bisontine 237 - Mars 2022

4 L’interview du mois

La Presse Bisontine n°237 - Mars 2022

FÉMINICIDES

Avec le Docteur Dominique Frémy

“Être le plus amont possible pour recueillir la parole des victimes” Loi des séries ou engrenage funeste ? En seulement deux mois à Besançon, deux femmes ont perdu la vie sous les coups de leur conjoint et une autre a été blessée. France victimes 25 avait tenté d’accompagner l’une d’elles, qui a refusé de porter plainte. Un sentiment d’impuissance auquel l’association ne veut pas se résoudre. Le point avec le Docteur Dominique Frémy, pédopsychiatre et présidente de l’association France Victimes 25.

L a Presse Bisontine : Depuis le début de l’année, deux femmes ont été tuées par leur conjoint à Besançon, une autre a été grièvement blessée. Comment l’expliquer ? Dominique Frémy : Les associations, la justice, la police, font lemaximum pour éviter d’en arriver là ! Le point de butée, c’est la volonté de la femme de s’extraire de l’emprise qu’exerce le conjoint violent sur elle. Pour que quelqu’un puisse la protéger, il faut que la victime passe par une dénon ciation des faits, c’est-à-dire qu’elle dépose plainte. L.P.B. :Pourtant, peu de femmes franchissent ce cap alors qu’elles ont déjà été battues. Elles passent sous les radars de la protec tion ? D.F. : Elles sont sous l’emprise de leur mari, une emprise qui consiste

à les isoler, à les disqualifier, à leur demander des injonctions contra dictoires qui sont déstabilisantes. La violence fait partie d’un cycle. Souvent, elle s’accompagne une fois que l’acte a été commis d’un repentir de la part du conjoint qui demande pardon, qui semble être apaisé, et qui fait penser à sa concubine que c’est unmalentendu, que c’est acci dentel. Isolée, la femme ne peut pas confronter ce qu’elle vit, ce qui aug mente son sentiment de culpabilité. Elle se sent responsable de la colère de son mari. L.P.B. : À quel moment votre association intervient-elle ? D.F. : À tous les stades de la procédure, et même en l’absence de plainte dans une démarche proactive auprès de la victime : intervenir avec huma nité et bienveillance pour écouter, reçues pour viols ou agressions sexuelles, 647 pour violences volon taires, 246 pour menaces, injures, harcèlements.En 2020, 91 auteurs ont été suivis dans le cadre de la prévention des violences de couple. 82 mesures de composition pénale ont été prononcées, soit une aug mentation de 49 à 60 %. Ces chif fres augmentent chaque année. n

accompagner, informer sur les droits grâce à une équipe pluridisciplinaire composée de la directrice, de quatre juristes, d’un psychiatre et d’un psy chologue, d’une assistante sociale, et d’écoutants. L.P.B. : Le commissaire de Police de Besançon lance un appel aux victimes de violence suite à la dernière tentative d’homicide qui a eu lieu à Besançon (lire par ailleurs). Il leur demande de porter plainte. D.F. : Ce n’est pas si simple que cela. Encore une fois, des femmes sont tel lement isolées qu’elles n’osent pas aller frapper à la porte du commis sariat de Besançon… bien qu’elles habitent au centre-ville. D.F. : Lorsqu’elles se rendent à l’hôpital pour se faire soigner par exemple. Souvent, elles racontent au médecin qu’elles se sont cognées contre un meuble. Ce dernier n’est pas dupe et remarque qu’il s’agit de coups. Il est important qu’il tende des perches afin de recueillir une parole ! Cela implique une formation des professionnels. L.P.B. : Cette formation n’existe-t-elle pas ? D.F. : Si, elle a progressé mais il faut la développer à tous les services des urgences, de l’interne jusqu’au per sonnel du S.A.M.U., aux pompiers. La première marque de ras-le-bol chez ces femmes, c’est de déposer unemain courante. Nous nous appuyons dés L.P.B. : Comment détecter ces victimes poten tielles ?

Historique l Le 29 décembre

2021, une femme de 51 ans est égorgée par son mari rue de Dole, à Besançon. l Le 17 janvier 2022, c’est une femme de 20 ans qui meurt, poignardée de 18 coups de couteau, à Battant. l Le 1 er février 2022, c’est une jeune femme de 18 ans qui appelle la Police à 2 heures du matin. Son conjoint de 33 ans qui est aussi le père de son enfant a tout cassé dans l’appartement. La Police arrive rapidement sur les lieux. Elle lui demande de s’enfermer et de ne pas ouvrir. À 3 heures, elle appelle à nouveau les policiers. Elle a ouvert la porte. Son conjoint lui a assené plusieurs coups de couteau. Elle a été prise en charge à l’hôpital de Besançon, ses jours ne sont plus en danger.

Dominique Frémy, pédopsychiatre et présidente de l’association France victimes 25, au chevet des femmes violentées.

une prise en charge sociale de la per sonne parallèlement au traitement par le gendarme ou le policier de la situation l’ayant conduite à solliciter les autorités d’enquête. Notre inter venante sociale intervient auprès de toute personne, majeure ou mineure confrontée à des violences de couple, violences intrafamiliales ou d’autres situations de vulnérabilité ou de détresse. Elle propose de rencontrer la victime, éventuellement de porter plainte. L.P.B. : Dans son travail, l’intervenante a d’ail leurs appelé une victime tuée par son conjoint quelques semaines plus tard à Besançon. D.F. : Effectivement. La victime n’a pas donné suite à nos appels. C’est cela

ormais sur ces dernières pour être le plus en amont possible afin de recueil lir cette parole qui nous permettra de les protéger. L.P.B. : En quoi les mains courantes peuvent elles aider puisqu’elles ne sont qu’une simple déclaration de faits ? D.F. : Depuis un an, l’assistante sociale de France victimes intervient dans les commissariats de police de Besan çon et de Pontarlier, dans les brigades de gendarmerie deMorteau,Pontarlier, Valdahon, Besançon, Saint-Vit, École Valentin, Ornans. La mise en place de l’intervenant social en commissariat et en gendarmerie (I.S.C.G.) au sein même des locaux de l’unité de gen darmerie et du commissariat assure

France Victimes 25 en chiffres E n 2020, 2 695 personnes ont été accompagnées par l’as sociation située rue Delavelle

à Besançon, dont 1 936 nouvelles victimes d’infractions. Plus de 60 % des situations sont des atteintes aux personnes, 50 % sont des vio lences volontaires. 30 % des infra ctions se produisent dans le cadre du couple. 162 personnes ont été

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