La Presse Bisontine 236 - Février 2022

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La Presse Bisontine n°236 - Février 2022

LIVRE

Tensions Besançon-Dijon “On en est revenu à une sorte de réaction identitaire régionale” À quoi a servi la fusion de la Franche-Comté et de la Bourgogne il y a six ans ? Avec son double regard de géographe et d’ancien élu, Jean-Claude Duverget tire un bilan objectif de cette réforme territoriale.

L a Presse Bisontine : Six ans après la fusion, quel bilan en tirez- vous ? Jean-Claude Duverget : La fusion a été une décision administrative qui ne fait pas une synthèse parfaite entre la Bourgogne et la Franche-Comté, loin de là. Je dirais même qu’on est revenu à une sorte de réaction identi- taire régionale. L’illustration la plus claire est le dos à dos entre Besançon et Dijon. On retrouve côte à côte deux identités bien distinctes. L.P.B. : Cela se traduit sur quels plans ? J.-C.D. : Les administrations se sont rapidement mises dans le moule de la fusion. En revanche, il y a des domaines comme la culture par exemple qui n’ont pas encore réussi à faire la fusion. On n’a toujours pas d’or- chestre régional, pas plus qu’on a de F.R.A.C. régional car le F.R.A.C. Bourgogne n’a pas

voulu fusionner avec celui de Franche-Comté. Même constat avec les universités où on a créé une fédération des deux univer- sités, qui ne fonctionne pas et qui étale tous ses différends à l’extérieur. Les conséquences de ces mésententes peuvent être très fâcheuses avec la perte récente de 10 millions d’euros à cause de la perte du label Isite- B.F.C. On voit que l’Université de Bourgogne désapprouve le soutien reçu de l’État par l’Uni- versité de Franche-Comté pour

L.P.B. : La fusion a éloigné les citoyens des centres de décisions selon vous ? J.-C.D. : Je constate que la proxi- mité n’y a pas gagné, notamment dans le domaine de la santé où hélas, c’est encore une réalité de voir qu’on a toujours des espaces à plus de 30 minutes d’un service d’urgence ou d’au- tres qui nécessitent encore plus d’une heure de trajet pour trou- ver unematernité.Même constat d’échec sur le plan des trans- ports : on a raté la liaison fluviale il y a 25 ans, on est en train de rater la liaison T.G.V. Avec la fusion, on aurait dû avoir un meilleur levier d’influence pour débloquer des situations. Je constate que ce n’est pas le cas. L.P.B. : Les solidarités entre territoires n’y ont pas gagné selon vous ? J.-C.D. : Avant la fusion, la Franche-Comté était éclatée entre deux espaces : le Nord Franche-Comté et l’axe Besan-

çon-Vesoul-Pontarlier. Avec la fusion, aucune solidarité terri- toriale ne s’est renforcée. Dijon ne reste que la capitale duGrand Dijon. Mâcon ignore Dijon et se tourne clairement vers Lyon. La coupure est évidente entre Dijon et Nevers, et l’Yonne est tournée vers Paris. Besançon ne collabore pas plus avec le Nord Franche-Comté. Depuis six ans, la cohésion intra-terri- toriale ne s’est pas renforcée. On va de plus en plus vers l’ef- facement des frontières admi- nistratives au profit des zones d’influences des métropoles. L.P.B. : La Franche-Comté est-elle la perdante de la fusion ? J.-C.D. : Non, je ne le pense pas. Il y a sans doute un sentiment de frustration avec la perte du statut de capitale régionale pour Besan- çon, mais je pense que la répar- tition des administrations a été faite avec un souci d’équilibre.

Jean-Claude Duverget présente son dernier ouvrage.

tements, les maires des deux grandes villes, et les deux pré- sidents d’Université.Avec moins de dix personnes autour de la table, on pourrait sans doute résoudre pas mal de problèmes. On voit des dossiers avancer par exemple entre Morteau et La Chaux-de-Fonds et on est incapable de faire quoi que ce soit entre Besançon et Dijon. Il n’y a pas de frontière nationale entre les deux ex-régions mais une simple frontière psycholo- gique qui fait beaucoup plus de dégâts. n Propos recueillis par J.-F.H.

L.P.B. : Un bon aspect de la fusion ? J.-C.D. : Avec la loi N.O.T.R.E., le pouvoir économique des régions s’est renforcé et en cela, la Région B.F.C. a un levier d’action qu’elle n’avait pas avant, pour porter certains grands projets stratégiques. Je pense notam- ment à la filière hydrogène. L.P.B. : Et la rivalité Besançon-Dijon reste un vrai problème ? J.-C.D. : Je suis peiné de constater qu’il n’y a jamais eu de rencontre au sommet entre les grands élus de cette région : présidente de Région, présidents des Dépar-

la réfection du campus Bou- loie-Témis. Les rivalités conti- nuent, hélas. L’objectif de cette réforme était rappe- lons-le le rayonnement des nouvelles régions.

“Une frontière psychologique qui fait beaucoup de dégâts.”

Les Francs-Comtois restent Francs-Comtois malgré la fusion ! Par Jean-Claude Duverget - 204 pages, 24 euros Éditions L’Harmattan

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