La Presse Bisontine 224 - Janvier 2021

L’ INTERVIEW DU MOIS 4

La Presse Bisontine n°224 - Janvier 2021

JUSTICE

Les avocats de Jonathann Daval

“Le phénomène d’empathie envers Jonathann existe bel et bien” Les avocats bisontins Ornella Spatafora et Randall Schwerdorffer ont été pendant trois ans sous le feu des projecteurs avec l’affaire Daval. Maintenant que les feux sont éteints, comment analysent-ils, à froid, ce tourbillon médiatico-judiciaire ?

L a Presse Bisontine : Sort-on humainement indemne d’une telle affaire ? M tre Randall Schwerdorffer : C’est une affaire que nous avons traitée comme n’importe quelle autre affaire criminelle, et qu’on a préparée comme n’importe quel autre dossier, avec les mêmes interrogatoires, les mêmes plaidoiries. La seule différence a été l’extrême médiatisation de cette affaire, c’est la raison pour laquelle nous nous sommes astreints à faire abstraction de ce qui se passait à l’extérieur, nous ne lisions pas les comptes rendus dans la presse, nous restions concentrés sur le dossier, l’audience et les jurés avec un seul objectif en tête : éviter la perpétuité pour Jonathann Daval alors que beau- coup le présentaient comme un monstre. C’était compliqué dans ce contexte de travailler normalement, mais on s’en sort sans séquelles. L.P.B. : Vous partagez ce sentiment ? M tre Ornella Spatafora : Je dirais tout de même que ce procès a été assez éprouvant et plus que le procès, tous les à-côtés. On avait conscience que les médias s’in- téresseraient à ce procès, mais pas à ce point-là. Et encore, on était en période de Covid. B.F.M.-T.V. avait prévu d’en- voyer dix personnes sur place ! C’est aussi la raison pour laquelle pendant les suspensions de séances, nous sommes restés très en retrait et nous ne sommes O n sait que la politique le tente, il ne l’a jamais caché. Adhérent L.R.E.M. jusqu’à sa démission du parti au moment où la référente départementale, Alexandra Cordier en a été exclue pour cause de candidature dissidente aux der- nières municipales à Besançon, Randall Schwerdorffer a mis un premier pas dans la politique locale sur cette liste Cordier en mars dernier. Cette fois, il veut prendre son destin poli- tique en main. “Oui, j’y pense sérieusement. J’envisage une candidature aux législatives de 2022 en candidat indépendant, hors des partis.”

coup de procès d’assises et avoir obtenu près de 40 acquittements. L.P.B. : Vous ne prétendez pas être le nouvel “Acquittator”, alias Éric Dupond-Moretti, bien que vous en ayez la carrure physique ! R.S. : Non, naturellement. Éric Dupond- Moretti n’est pas un modèle pour moi, mais il faut reconnaître que c’est un avo- cat hors du commun. L.P.B. : Pensez-vous que cette médiatisation à l’extrême ait influencé jusqu’au verdict de ce procès Daval ? O.S. : C’est une question très compliquée. On est arrivés à ce procès avec l’idée que les jurés connaissaient déjà tous les détails de cette affaire. On avait donc le sentiment que ce jugement ne serait pas en notre faveur. Avec les qualificatifs qui avaient été employés à l’encontre de Jonathann Daval (manipulateur, men- teur, mâle dominant, etc.), la pression existait d’emblée contre nous. Tout notre travail pendant une semaine a été de sortir les jurés de leurs préjugés. L.P.B. : Les jurés avaient donc déjà tranché avant même le procès ? R.S. : C’est une des premières fois qu’aucun des jurés ne s’est désisté avant le procès, ce qui arrive fréquemment aux assises d’habitude. C’est dire si ce procès était attendu même par le jury populaire. J’ai

pas intervenus à tout bout de champ devant les médias. On ne voulait pas sortir de notre dynamique. Cette média- tisation a évidemment ajouté une autre dimension inhabituelle.Une petite phrase lâchée risquait de prendre des proportions incontrôlables et de provoquer un cata- clysme. C’est pourquoi on se devait de rester bien concentrés sur l’audience. L.P.B. : Votre rôle n’était pas facile à porter ? R.S. : Les avocats des parties civiles, on

d’ailleurs reçu avant le procès copie d’un S.M.S. d’une jeune femme qui échangeait avec un des membres du jury et à qui ce juré lui confirmait, avant même le procès, qu’il allait se prononcer en faveur de la perpétuité. C’est dire si l’ambiance de la salle d’audience les premiers jours ressemblait à celle d’une salle d’exécution. Cette adrénaline fait partie de notre métier. L.P.B. : Quelques mois plus tôt, vous aviez été personnellement mis en cause pour violation du secret de l’instruction lors de la garde à vue de Jonathann Daval en janvier 2018. Un jugement rendu il y a quelques semaines vous a relaxé. C’est un soulagement ? R.S. : Bien sûr, c’est un vrai soulagement d’avoir été relaxé dans un procès dont j’ai d’ailleurs appris l’existence par la presse ! Je n’en veux aucunement au procureur Étienne Manteaux qui a fait

son travail et le tribunal a jugé qu’il n’y avait aucune faute de ma part. On me reprochait d’avoir parlé aux médias pen- dant la garde à vue de Jonathann Daval, ce qui n’est ni illégal, ni interdit. Le Conseil Constitutionnel dans une décision de mars 2018 a même confirmé ce droit alors qu’à l’époque de cette garde à vue on m’avait littéralement descendu en flamme, notamment certains avocats parisiens. Jusqu’au grotesque : j’ai vu un avocat spécialisé en propriété intel- lectuelle, qui n’a donc jamais mis les pieds dans une cour d’assises, venir me descendre sur un plateau de télévision. L.P.B. : Les médias, vous-mêmes ne les fuyez pas ! R.S. : Cet environnement médiatique ne nous dérange pas mais si vous saviez le nombre de plateaux qu’on a refusés depuis le procès. Si on avait accepté, on continuerait à nous voir partout, ce qui n’a pas été le cas. Les médias sont ainsi : quand on refuse, ils insistent, et quand on dit oui, on nous reproche de trop nous montrer…La même chaîne de télévision qui nous avait harcelés pendant trois mois pour qu’on accepte une émission nous accusait elle-même d’aimer l’expo- sition médiatique. C’est un peu para- doxal… La vraie dérive, ce sont les P.V. d’audition qui sortent désormais quasi- ment en direct dans les médias. L.P.B. : Revenons au procès Daval : comment passe-t-on d’un jour à l’autre, presque d’une minute à l’autre, de la position d’avocat d’un mari éploré qui a perdu sa femme à celle d’avocat d’un assassin présumé ? R.S. : Cette situation est assez fréquente en matière d’assises. Pour refaire une allusion à Éric Dupond-Moretti, c’est la même chose quand il avait dû défendre ce professeur d’université qui avait tué sa femme et au final, il avait d’ailleurs

leur passe tout alors que quand c’est l’avocat de la défense qui s’exprime, il représente forcément le mal, le monstre, et on a très peu de marge de manœuvre pour s’expri- mer. Certains s’atten- daient sans doute à ce qu’on dise les pires hor- reurs sur Alexia, et beau- coup ont été surpris que ce ne soit pas le cas. On a tout de même senti lors de ce procès un certain mépris de la part du milieu parisien qui se rend compte qu’en matière judiciaire, tout ne se passe pas à Paris. On n’a pas attendu le pro- cès Daval pour faire beau-

“L’ambiance ressemblait à celle d’une salle d’exécution.”

Randall Schwerdorffer candidat aux prochaines législatives

Le futur candidat se définit “centre-droit- centre-gauche.” Donc plein centre ! Il ne sait pas encore s’il jettera son dévolu sur la première circonscription du Doubs (qui comprend la zone Lafayette où se trouve son cabinet) ou la deuxième où il a son domicile personnel. Il assure aussi “ne pas vouloir faire de carrière politique.” n

Randall Schwerdorffer confirme ses intentions politiques pour 2022. Ornella Spatafora, elle, estime que “la politique, ce n’est pas mon truc.”

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