La Presse Bisontine 223 - Novembre 2020
L’ INTERVIEW DU MOIS
La Presse Bisontine n°223 - Novembre 2020
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BESANÇON
Le contact tracing de la C.P.A.M.
“On a pris un retard énorme sur la prévention et la détection des maladies”
En tant que directeur de la Caisse primaire d’assurance maladie (C.P.A.M.) du Doubs, Lilian Vachon a la lourde tâche d’organiser le suivi le plus précis possible des personnes touchées par le Covid-19 ou exposées à la maladie. Où en est notre département à l’heure où il s’apprêtait à basculer dans le couvre-feu ?
L a Presse Bisontine : Où en est-on, fin octobre, sur le traçage du Covid dans notre département, ce que vous appelez à la C.P.A.M. le “contact tracing” ? ilianVachon : Il s’agit avec cette méthode d’essayer de briser les chaînes de conta- mination. On a affaire à un virus qui a la particularité de se propager très rapidement, dans un contexte où on connaît encore assez mal son mode de transmission. La technique, comme ça s’est pratiqué enAsie, est donc d’essayer de connaître la positivité d’une personne le plus tôt possible afin de pouvoir la contacter ainsi que les personnes qui sont potentiellement à risque, c’est-à- dire les fameux cas contacts en deman- dant à ces derniers de s’isoler pendant sept jours et d’aller faire un test. Nos équipes à la C.P.A.M. disposent de matrices très bien documentées qui leur permettent de donner les bonnes indications aux personnes contactées. Nous organisons leur isolement, nous les accompagnons. Si le télé-travail n’est pas possible pour elles, nous les faisons bénéficier d’un arrêt de travail qu’elles peuvent obtenir directement sur le site A.M.E.L.I. Nous sommes en quelque sorte le niveau 2 du dispositif entre les médecins de ville (niveau 1) qui restent évidemment un maillon très important, et l’Agence régionale de santé (niveau 3) qui elle, à la capacité d’aider à l’isolement via une plate- forme d’appui à l’isolement, et a le pou- voir d’enquêter sur les clusters au-delà de la contamination de 10 personnes dans un même endroit. L.P.B. : Vous avez mis en place un dispositif exceptionnel pour ce tracing ? L.V. : On reçoit les fichiers nationaux de positivité et c’est à partir de là qu’on
nal 40 000 patients zéro en France, et 110 000 fiches quotidiennes avec les cas contacts, soit à peu près un millier pour le Doubs chaque jour. On a donc dûmonter nos effectifs dédiés au tracing à 90 personnes sur la plate-forme dépar- tementale. Pour une moitié, ce sont des collaborateurs de la C.P.A.M., et pour l’autre des renforts en provenance de la C.A.R.S.A.T., de la C.A.F. et de la M.S.A. qui contactent les personnes tous les jours de 8 heures à 19 heures, samedis et dimanches compris. Je met- trais bien une bougie pour que ça n’aille pas beaucoup plus loin que ces chif- fres… L.P.B. : Vous sous-entendez que cette montée en charge est loin d’être terminée ? L.V. : On va finir par atteindre un palier. Sur les trois dernières semaines dans le Doubs, on avait entre 600 et 1 000 fiches à traiter tous les jours. On a les moyens humains de suivre, mais on fait un effort désormais pour augmenter notre “productivité” en automatisant certaines tâches (envoi de S.M.S. préa- lables pour prévenir les personnes qu’elles vont être appelées…). Mais on crée les outils quasiment en temps réel. On doit être aussi dans une logique de traitement attentionné des situations car cela touche une maladie qui peut faire peur pour soi ou pour ses proches. Il y a aussi une part de psychologie dans nos appels. L.P.B. : Cette organisation de vos services au profit de la lutte contre le Covid se fait-elle au détriment de vos autres missions ? L.V. : C’est justement le double challenge qui est face à nous : d’une part monter en compétences par rapport à l’évolution des chiffres et d’autre part arriver à concilier la continuité de notre mission de service public. Sur ce point, nous ne transigeons pas, les délais de trai- tement des dossiers restent dans des standards normaux car on a sanctuarisé ces secteurs. Pour faire face à la montée en charge du contact tracing, nous avons aussi recruté 25 agents en C.D.D. L.P.B. : Vous ferez les comptes plus tard sur ce que coûte ce dispositif ?… L.V. : Clairement, l’enjeu aujourd’hui est de sortir au plus vite de cette situa- tion sanitaire en poursuivant cette stratégie “tester, tracer, isoler”. L.P.B. : On pourrait se poser la question de l’ef- ficacité de la méthode au regard de l’augmen- tation exponentielle des cas de Covid ? L.V. : La montée en charge fonctionne. On avait annoncé l’objectif de réaliser 1 million de tests par semaine, nous sommes aujourd’hui à près d’1,5million sur le plan national. Je rends d’ailleurs
Lilian Vachon est directeur de la C.P.A.M. du Doubs. C’est lui qui coordonne toute la politique de contact tracing de la caisse d’assurance maladie.
pris l’épidémie sans ce travail de tra- cing. Cette méthode aura sans doute un effet positif sur le lissage de la courbe des contaminations. L.P.B. : Comment évolue dès lors la situation dans notre département ? L.V. : Nous étions plutôt, avec le Nord Franche-Comté, dans une évolution modérée par rapport aux départements proches comme le Jura ou la Côte d’Or, mais il est clair qu’on s’est approché rapidement du seuil d’alerte maximal fin octobre. Malgré les mesures res- trictives du gouvernement, la dyna- mique n’est pas encore cassée. C’est la raison pour laquelle il faut sans cesse répéter ce message de la responsabilité individuelle de chacun. Les masques, l’aération des pièces, l’hygiène des mains… Tout cela fait appel à des logiques qu’on connaissait déjà au Moyen-Âge mais qu’il faut sans cesse répéter et rappeler. Tout cela si on veut éviter un nouveau confinement. L.P.B. : Pourra-t-on justement éviter un recon- finement de la population du Doubs ? L.V. : Je ne suis pas à même de répondre à cette question, je sais juste qu’il vau-
drait mieux éviter un reconfinement. Pour des raisons économiques que d’au- tres expliqueraient mieux que moi, mais aussi pour des raisons de santé publique. Les effets sanitaires du pre- mier confinement ont été catastro- phiques pour les conséquences induites qu’il a eu sur la santé. Le taux de vac- cination des enfants était en chute libre, les détections des cancers n’ont pas pu se faire et on a pris un retard énorme sur la prévention et la détection des maladies. Cette période aura eu tout de même un effet, que je qualifie- rais de positif : la montée en régime des télé-consultations. L.P.B. : À quelle échelle pour le Doubs ? L.V. : Leur nombre a littéralement explosé. Dans les premières semaines de l’année 2020, on en dénombrait envi- ron 50 par semaine. Dans la première semaine d’avril, on est arrivé à un total de 10 000 télé-consultations ! En cumulé depuis le début de l’année, nous dépassons les 100 000 télé-consultations dans le Doubs. Actuellement, nous sommes encore à un rythme de près de 1 500 par semaine. n Propos recueillis par J.-F.H.
hommage aux labo- ratoires ici dans le Doubs pour leur engagement. Les chaînes de contami- nation sont-elles pour autant bri- sées ? Non. Sauf qu’on arrive désor- mais à détecter de plus en plus de per- sonnes testées posi- tivement qu’on avait auparavant repérées comme cas contacts. Au printemps et pendant l’été, on se questionnait car on trouvait beaucoup de personnes posi-
prend contact avec les personnes concernées et leurs contacts. Cette méthode a été mise en place fin avril et elle est devenue pour nous une mission d’utilité publique qui repose sur des techniques d’enquê- teurs sanitaires. Nos brigades sanitaires ont été opérationnelles dès la mi-mai, elles comp- taient une trentaine de collaborateurs.Mi-août, ça a commencé à se ten- dre à nouveau et on a réarmé ces plateformes avec une montée en charge progressive, sui- vant le rythme effréné des augmentations.Au 23 octobre, nous comp- tions sur le plan natio-
“Sans doute un effet positif sur le lissage de la courbe.”
“On est désormais
à 1 500 télé- consultations par semaine.”
tives et on ne savait pas d’où elles sor- taient. Aujourd’hui, en travaillant sur les boucles de contamination, si on réussit à détecter un nouveau patient positif au moment où il est cas contact, alors on gagne du temps, et sans doute des contaminations, car ce patient aura été isolé. D’un côté, la pertinence de cette méthode est rassurante. On ne sait pas dire quelle tournure aurait
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