La Presse Bisontine 223 - Novembre 2020

DOSSIIER

La Presse Bisontine n°223 - Novembre 2020

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l Belgique Là où l’euthanasie est autorisée “Ceux qui demandent la mort sont souvent ceux qui ont croqué la vie”

où comme présidente de l’association, elle a conduit une jeune femme origi- naire du sud de la France dans “son” dernier voyage à Bruxelles. Elle était accompagnée de ses parents, grands- parents, sa sœur, son beau-frère. Sur- tout, n’utilisez pas le terme de “tou- risme de la mort” , cela énerve Jacqueline Herremans : “C’est faire insulte à la personne.” Selon elle, c’est la France qui doit se poser les bonnes questions sur la fin de vie. “ J’ai un regard étonné lorsque j’analyse le cas français, dit-elle, car la France est habituée à être plus proche des Droits de l’Homme et de la fin de vie. Nombre de médecins chez vous sont contraints dans l’exercice de leur fonction à arrêter des soins qui aboutissent au décès. Lorsqu’ils décident d’envoyer plus de morphine, ils savent que cela va conduire à la mort…” Comme les autres adhérents de l’A.D.M.D., la présidente estime que le droit à mourir doit être inscrit au niveau des Droits de l’Homme. “Les patients ne sont pas des suicidaires. Ceux qui demandent la mort sont sou- vent des personnes qui ont croqué la vie mais ne souhaitent plus souffrir.” De l’autre côté des Ardennes, cela ne choque plus que revienne au médecin le dernier acte. C’est selon l’A.D.M.D. le dernier soin qu’il apporte à son patient et non une aide à mourir.Vaste débat. n E.Ch.

pour l’euthanasie doit être une démarche volontaire, réfléchie et réi- térée, sans pression extérieure de la part du patient qui se trouve dans une situation médicale sans issue et fait état d’une souffrance physique ou psy- chique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui résulte d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable” détaille l’avocate et présidente de l’A.D.M.D. belge. En 2019, 2 356 personnes ont demandé la mort en Belgique. Un chiffre en augmentation. Jacqueline Herremans utilise l’exemple du Premier ministre belge Wilfried Martens décédé le 19 octobre 2013 par euthanasie à la suite d’un cancer du pancréas : “Mem- bre du parti démocrate-chrétien, il était opposé à l’euthanasie. Lorsqu’il a estimé que ses souffrances devenaient insupportables, il a demandé l’eutha- nasie” relate la présidente. De très nombreux Français vont en Belgique pour ne jamais en revenir. Ils doivent respecter les mêmes condi- tions que les Belges. “Nous ne sommes pas demandeurs pour accueillir des étrangers, poursuit l’avocate. Cela demande du temps et sur le plan émo- tionnel, c’est une charge importante. En Belgique, il n’y a pas de condition de résidence mais une relation théra- peutique avec le médecin… qui ne peut pas se faire par Skype. Il faut se dépla- cer plusieurs fois.” Jacqueline Herre- mans se souvient d’un moment difficile

L a Belgique est reconnue comme le pays d’Europe le plus libéral en matière de sui- cide assisté. C’est en partie vrai. Là-bas, c’est le médecin qui peut mettre fin à la vie de son patient contrairement à la Suisse où c’est la personne qui fait elle-même le dernier geste. Les enfants peuvent également avoir recours dans le cadre de maladies incurables depuis février 2014 à l’eu- thanasie, donnant à la Belgique le “titre” de premier pays au monde à légaliser l’euthanasie des mineurs, sans limite d’âge, en étendant la loi de 2002. Les conditions sont plus strictes que pour l’euthanasie des adultes. Avocate à Bruxelles, Jacqueline Her- remans s’implique dans les questions d’éthique notamment en tant que pré- sidente de l’A.D.M.D. Belgique (Asso- ciation pour le Droit de Mourir dans la Dignité). Membre de la Commission fédérale d’évaluation et de contrôle de la loi relative à l’euthanasie depuis son entrée en vigueur, elle sera pré- sente samedi 14 novembre à Besançon pour la conférence de l’A.D.M.D. Son rôle : “démystifier” ce qui se déroule dans son pays. “La condition essentielle

Jacqueline Herremans démystifie l’euthanasie en Belgique jugée trop facile selon certains. Ce que dément cette avocate, prési- dente d’A.D.M.D. et membre du comité consultatif de bioéthique.

Jacqueline Herremans est avocate en Belgique, membre de la Commission fédérale d’évaluation et de contrôle de la loi relative à

l’euthanasie (photo J.-M. Quinet - Reporters).

l Le point de vue de l’Église Observatoire de bioéthique

Veilleurs, et éveilleurs de conscience On pourrait croire l’Église campée sur des positions inflexibles sur la question de la fin de vie. Elle est au contraire ouverte au dialogue et prône les échanges autour de ce débat qui touche aussi à la dimension religieuse.

C ’ est à l’initiative de feu Monseigneur André Lacrampe, l’ancien archevêque de Besan- çon qu’est né en 2004 l’observa- toire de bioéthique au sein du Diocèse de Besançon. Soin but originel : nourrir les réflexions des législateurs qui préparaient alors la grande loi bioéthique de 2005 connue sous le nom de loi Léonetti. Cet observatoire est aujourd’hui animé par Bénédicte Groslam- bert. Il est composé de personnes venues de divers horizons : un professeur de droit public, un chercheur en génétique à l’I.N.S.E.R.M., un prêtre, un ancien professeur de médecine, un thérapeute de couple, un enseignant en philosophie et, depuis, peu, une sage-femme consultante en aide médicale à la procréation. Son animatrice est cadre de santé et formatrice en gérontologie. “Cet observatoire se réunit tous les deux mois envi- ron au centre diocésain à Besan-

çon. Notre mission, c’est d’être des veilleurs et des éveilleurs de conscience.Nous sommes là pour aider les personnes qui le sou- haitent à essayer de comprendre tous les enjeux. Nous ne sommes en tout cas pas là pour affirmer des dogmes sur ces questions bioéthiques. Mais l’Église a tou-

tal à la vie et à l’inviolabilité de celle-ci” note M me Groslambert qui estime que “la loi Léonetti- Claeys se suffit sans doute à elle- même, même si elle ne règle pas tout. Le respect de la vie implique aussi le soulagement de la souf- france” nuance l’animatrice. L’Église soutient de ce fait “le développement des soins pallia- tifs. Nous sommes donc favora- bles évidemment aux progrès des techniques scientifiques en la matière.Mais tout ce qui est pos- sible techniquement est-il recom- mandable d’un point de vue éthique ?” interroge la cadre de santé qui complète : “Il est impé- ratif que la technique demeure au service de la personne. La main qui soigne ne peut pas être une main qui tue.” À travers ses interventions, l’ob- servatoire de la bioéthique du Diocèse de Besançon cherche à “faire en sorte que la loi française soit mieux comprise et mieux connue. La voie française est sans doute la bonne. Si les direc-

Bénédicte Groslambert est l’animatrice de l’observatoire de bioéthique pour le Diocèse de Besançon depuis 2017.

jours été présente au débat sur la dignité humaine, c’est bien nor- mal” relève Bénédicte Gros- lambert. Si l’observatoire de la bioéthique n’a pas un avis tranché sur la question de la fin de vie et affirme “ne pas être dans le militantisme comme certaines associations” , l’Église défend avant tout “le droit fondamen-

“La main qui soigne ne peut pas

être une main qui tue.”

sensibilisation à la bioéthique à l’attention de tous les bénévoles du Diocèse qui exercent dans le champ de la santé. La question de la fin de vie fera évidemment partie des débats. “La bioéthique n’est pas réservée qu’à des experts. C’est essentiel de donner des clés

de compréhension au plus grand nombre sur ces sujets” estime M me Groslambert qui fait en sorte, à travers l’observatoire qu’elle anime, d’aborder toutes ces questions “sans tabous” dit- elle. n Propos recueillis par J.-F.H.

tives anticipées ou la désignation de la personne de confiance étaient mieux connues, on n’au- rait peut-être pas vécu une affaire Vincent Lambert…” En avril prochain, l’observatoire animé par Bénédicte Groslam- bert organisera une journée de

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