La Presse Bisontine 222 - Octobre 2020

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Bisontine n°222 - Octobre 2020

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POLITIQUE

La nouvelle adjointe bisontine à la Culture

“La culture doit participer pleinement à la relance économique” Aline Chassagne a été choisie par Anne Vignot

pour mener la politique culturelle de Besançon pour les six prochaines années. Quelle est la vision de la culture de cette nouvelle élue issue des rangs de la société civile ? Entretien.

L a Presse Bisontine : D’abord un mot sur votre parcours, vous qui venez d’entrer en politique ? Aline Chassagne : Après mon Bac passé au lycée Pergaud, je sou- haite me diriger vers la psycho mais ayant besoin de gagner ma vie, je vais en école d’infirmières. Je fais plusieurs stages au C.H.U., puis à Novillars. Je m’in- téresse alors beaucoup à la psy- chiatrie, je côtoie également le public S.D.F., ce qui enrichit mon bagage. Et c’est après avoir com- mencé dans la vie active que je choisis de repartir en fac où je fais un Master en socio-anthro- pologie avec option criminologie. Mon objectif à travers ce cursus est de mieux comprendre l’hu- main et ce qui fait société. Je souhaite ensuite faire une thèse mais je n’ai pas de financements. C’est alors que le C.H.U. cherche un ingénieur de recherche pour aller dans les prisons afin de faire une étude auprès des pro- fessionnels, et des détenus malades. C’est à ce moment-là que je rencontre le professeur Régis Aubry et ses équipes. Je suis aujourd’hui ingénieure de recherche salariée du C.H.U. et je donne des cours à l’Université en sociologie-anthropologie. L.P.B. : Comment est né le souhait de vous engager en politique ? A.C. : Dans les différentes acti- vités professionnelles que j’ai occupées, il y a un lien, c’est la santé. Et la façon dont on gère la santé, les malades, pour moi, c’est de la politique. En m’enga- geant depuis plusieurs années dans des groupes de réflexion et des instances de l’hôpital, je considère que c’est déjà de l’en- gagement politique. Les ques- tions éthiques relèvent aussi de la politique. Je n’ai jamais été encartée dans un parti et ce, même si j’ai été cooptée pour cette électionmunicipale en tant que membre de la société civile, par le Parti communiste. C’est la première fois en effet que j’ai eu envie de m’engager sous une autre forme.Mais je n’ai aucune ambition de carrière politique pour autant ! Si ça s’arrête dans six ans, ce ne sera pas la fin du monde pour moi ! J’ai déjà beau- coup de satisfaction et de recon- naissance dans mon travail, je ne ressens aucun besoin de me mettre en avant ou d’écraser les autres, ce qu’on reproche souvent au monde politique. L.P.B. :Comment vous êtes-vous retrou- vée en charge de ce gros morceau qu’est la culture ? A.C. : La culture est évidemment

un secteur qui me passionne mais je n’aurais jamais imaginé hériter de ce gros dossier. Fina- lement,mon profil a semblé faire consensus même s’il y avait sans doute pas mal d’autres préten- dants à ce poste d’adjoint ! J’ai une forte envie de comprendre et de soutenir les politiques cul- turelles sur cette ville, j’ai com- mencé à faire une analyse appro- fondie du paysage culturel avec beaucoup de rencontres. Je sou- haite rencontrer les acteurs de la culture et surtout faire avec eux. Dans cette ville, la culture compte beaucoup : 800 emplois directs sont liés à la culture, entre les musées, les biblio- thèques, la Citadelle, le patri- moine, etc.Dans cette délégation, on passe de l’archéologue au soi- gneur de la Citadelle, c’est un domaine très large et varié, pas- sionnant. L.P.B. :À très court terme, vous devrez gérer les conséquences de la crise sanitaire dans les milieux culturels bisontins. Quelle est votre approche de ce dossier sensible ? A.C. : C’est en effet la première mission à laquelle je m’attelle. Il est important d’abord d’avoir une vision d’ensemble des effets d la crise Covid sur les structures culturelles bisontines. Les ser- vices sont justement en train de recueillir des informations par différents biais. Notre idée est de réajuster nos critères de sub- ventions au regard des effets de la crise pour chaque structure. Car on est bien conscients que la culture doit participer plei- nement à la relance économique. Pour soutenir le milieu artis- tique, je serais également favo- rable à la mise en place d’un

Aline Chassagne, la nouvelle adjointe à la Culture à Besançon. Dans la vie, elle est ingénieure de recherche en sociologie- anthropologie.

vaille depuis plusieurs semaines. L.P.B. : Quid de la situation des bars de nuits ? A.C. : Nous sommes en dis- cussion avec des lieux comme le Bar de l’U ou l’Antonnoir. On réfléchit avec eux pour propo- ser des concerts dans les parcs de la ville, notamment Pla- noise et Clairs- Soleils. C’est

déjà, c’est tout l’enjeu. Des ini- tiatives menées par le collectif B.B.R.B.U., c’est par exemple quelque chose qui nous parle. C’est peut-être la base d’une bonne idée à développer. Mais sur ce point, on n’est pas dans l’urgence, mais dans une vision constructive et à plus long terme. Cette idée de grand événement est aussi à travailler avec les gens de Détonation et du festival international. Les musiques de rues sont sans doute un bon concept. D’ailleurs, les Bisontins n’avaient pas bien compris pour- quoi le concept avait été aban- donné au profit de Sonorama… L.P.B. : D’autres projets en tête ? A.C. : Je pense qu’il y a dans cette ville la place pour y créer un lieu de mémoire de la culture ouvrière, industrielle et sociale. Ce patrimoine immatériel très riche est à mon sens insuffisam- ment mis en valeur. L’idée d’un musée associé à ces questions, qui mêlerait aussi l’art urbain, le numérique, la photographie, est sans doute à réfléchir. L.P.B. : Combien de temps consacrez- vous à votre mandat d’adjointe ? A.C. : Je prends trois demi-jour- nées par semaine pour ça, sans compter les soirées et c’est qua- siment tous les soirs de la semaine. Cette délégation à la culture mérite du temps. La cul- ture, l’art, c’est la vie. Et comme le disait Sénèque : “Vivre, ce n’est pas attendre que l’orage passe, mais c’est apprendre à danser sous la pluie.” Je me retrouve très bien dans cette idée. n Propos recueillis par J.-F.H.

pour créer de la scénographie. Mon idée principale est de décloi- sonner les disciplines, partager les espaces. C’est comme cela qu’on fera de la culture pour tous. Car il faut bien avouer que certains spectacles ne s’adressent qu’à une certaine catégorie de population. Il faut éviter abso- lument l’entre-soi qui règne encore trop souvent en matière de culture. Mon travail consis- tera aussi à me mettre en rap- port avec mes collègues adjoints de quartier et leur dire que ça a du sens de présenter telle créa- tion dans tel quartier. C’est cela aussi le décloisonnement. L.P.B. : La gratuité des musées cet été a-t-elle été une expérience concluante ? A.C. : Cette mesure a permis que la fréquentation ne baisse pas par rapport à l’année précédente. Il y a même eu plus de visiteurs que l’an dernier au Musée du Temps. On s’est aperçu qu’il y a une vraie attente du public et notre ligne politique qui consiste à rendre l’art accessible au plus grand nombre ne s’en trouve que renforcée. Sur ce point, il ne faut rien s’interdire. L.P.B. : Avec la nouvelle équipe muni- cipale, verra-t-on ressurgir l’idée d’un grand événement festif sur Besançon. On se souvient encore du lancement, et de l’échec du festival Sonorama il y a une douzaine d’années… A.C. : Oui, on y réfléchira. Mais l’objectif ne sera pas de plaquer un concept qu’on nous vendrait, mais de s’appuyer sur le vivier qu’on a sur le territoire. Créer un grand événement sans pour autant fragiliser ce qui existe

ment ? A.C. : En plus du patrimoine, je veux clairement mettre en avant le “matrimoine” de cette com- mune. On sait qu’ici aussi l’his- toire des femmes a été écrite par les hommes, donc déformée. Il me paraît assez légitime de ren- dre un juste hommage aux femmes qui ont fait l’histoire de cette ville. Je pense notamment à Jeanne-Antide Thouret, à Jenny d’Héricourt… Le matri- moine, c’est aussi le devenir de la Maison Colette. Un travail a été engagé sur ce site, il faut le poursuivre et le renforcer. Je voudrais faire de cette maison un lieu d’émulation artistique. L.P.B. : Vous restez optimiste sur la santé des structures culturelles de cette ville ? A.C. : Les arts, c’est la vie. Quand on voit que les Livres dans la Boucle, le festival international et d’autres manifestations reprennent, tout cela c’est de l’espoir. Cela permettra de com- mencer à revivre des émotions collectives positives.Maintenant, pour que la machine reparte, je souhaiterais que le gouverne- ment se réveille enfin sur la question des spectacles enmode debout. Quand on voit le nombre de personnes qui peuvent s’en- tasser dans les gares ou dans le métro et qu’on n’ait toujours pas su régler la question des spec- tacles debout, les directives gou- vernementales paraissent pour le moins critiquables. Il faut approfondir rapidement le tra- vail notamment avec le monde desmusiques actuelles.ÀBesan- çon, c’est un sujet que l’on tra-

“Mon idée principale est de décloisonner les disciplines.”

une idée que l’on peut imaginer mettre en place au printemps prochain. L.P.B. :Votre programme de campagne mettait en avant l’accès à la culture pour tous. Qu’y aura-t-il derrière ce mot un peu fourre-tout ? A.C. : C’est tout simplement le fait de créer des espaces culturels accueillant différents publics. Beaucoup de belles initiatives sont nées à Besançon ces der- nières années comme la Friche artistique, les ateliers Vauban ou le collectif HôpHopHop,mais ce genre de lieux doivent se géné- raliser ailleurs dans la ville et doivent devenir autant de petites salles de diffusion, dans les quar- tiers de cette ville. On doit aussi développer l’interdisciplinarité, mélanger pratiques culturelles et pratiques sportives, s’appuyer pourquoi pas sur des recycleries pour récupérer des matériaux

fonds d’acquisi- tion d’œuvres pour les bâti- ments munici- paux, le C.H.U., etc., un nouveau fonds de com- mande publique qui participerait lui aussi à dyna- miser le secteur artistique local. J’ai notamment l’idée de statues qui pourraient rendre hom- mage à des femmes qui ont fait l’histoire de Besançon, et il y en a beau- coup. L.P.B. : Pour des femmes unique-

“Je veux mettre en avant le “matrimoine” de cette commune.”

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