La Presse Bisontine 214 - Novembre 2019

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Bisontine n°214 - Novembre 2019

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RELIGION

Jean-Luc Bouilleret, archevêque de Besançon

“Il faut que l’Église s’ouvre mieux au monde contemporain” L’archevêque de Besançon prend part au débat sur la

bioéthique, relancé par la question de la P.M.A. pour tous actuellement en débat au Parlement. Il livre sa vision de la vie confrontée aux progrès de la technique.

L a Presse Bisontine : Comment expli- quez-vous votre opposition à la P.M.A. ouverte aux femmes seules et aux couples de femmes ? Ces dernières n’auraient pas les mêmes droits qu’un couple hétérosexuel ? Monseigneur Jean-Luc Bouilleret : Le fond de la question, c’est quelle société vou- lons-nous ? Que veut-on privilégier ? La société basée sur liberté et le désir, sur la suprématie de la technique, de l’économique, ou une recherche du bien commun et de la dignité de l’être humain ? Indépendamment de la tech- nicité de la procréation se pose la ques- tion de décider a priori de l’absence du père. L’inquiétude que je soulève est que la technique l’emporte sur tout le reste. Le gouvernement assure que la société est prête à ce genre de progrès. Je n’en suis pas du tout sûr, au contraire. Si on en croit certains son- dages d’opinion, les Français souhaitent au contraire que le père soit présent dans le processus de l’arrivée aumonde d’un enfant. Décréter dès l’origine de l’enfant que celui-ci n’aura pas de père est une décision grave que je ne peux pas partager. Lors du vote en première lecture à l’Assemblée nationale début octobre, j’ai été stupéfait de constater le manque d’implication des parlemen- taires sur cette question. L.P.B. : Vous opposez la science à la dignité de l’être humain ? M gr J.-L.B. : Ce qui m’interroge, c’est que dans de nombreux domaines de l’évo- lution de la planète, en matière d’éco- logie, de pollution, il est fait appel au principe de précaution. Pourquoi dans le domaine de l’humain et de son ori- gine, ce principe n’est nullement mis en exergue ? La procréation est l’acte le plus authentiquement humain d’un homme et d’une femme. Le projet de loi de bioéthique ne va-t-il pas instaurer la primauté de la science et de la tech- nique au détriment de la dignité de l’être humain et de sa venue aumonde ? On sait par exemple que pour de nom- breux enfants adoptés, le passage de

la technique soit, a priori , systémati- quement éthique. On est en train de faire en sorte que la nature n’ait plus la parole. Où seront les limites ? L.P.B. : Les progrès techniques ne seraient donc pas toujours des progrès… M gr J.-L.B. : Prenez par exemple le numé- rique qui est une technique fantastique. En même temps, on commence à s’in- terroger sur les effets des ondes, sur l’addiction que le numérique peut pro- voquer, notamment chez les jeunes. Cette forme addictive peut ne pas s’ap- parenter en effet à un progrès, peut- être plus à un danger. L.P.B. : En parlant de danger, vous évoquez aussi le risque que la P.M.A. glisse rapidement vers l’autorisation de la G.P.A. ? M gr J.-L.B. : Comment en effet penser que l’ouverture de la P.M.A. aux femmes seules et aux couples de femmes n’ou- vrira pas, au nom de l’égalité, sur la gestation pour autrui pour les couples d’hommes ? Nous entrerons encore davantage dans la marchandisation du corps humain. L.P.B. : L’Église s’était déjà vigoureusement opposée au mariage pour tous et celui-ci semble aujourd’hui admis par tous,ou presque. On peut accuser aujourd’hui encore l’Église d’être rétrograde en matière sociétale ? M gr J.-L.B. : L’Église serait-elle rétrograde, ou prophétique ?… De manière géné- rale, l’Église est toujours là pour défen- dre les plus fragiles. Ici, il s’agit de l’enfant. Beaucoup de hauts respon- sables de la société nous remercient d’ailleurs pour nos prises de parole. Car ils pensent eux aussi certainement plus qu’elles sont prophétiques que rétrogrades. L.P.B. : Dans la société, la question de la P.M.A. semble moins polémique que ne l’avait été cette question de mariage pour tous. Comment l’expliquez-vous ? M gr J.-L.B. : Sans doute parce que le citoyen français est un peu perdu aujourd’hui, qu’on est désormais dans une certaine forme d’ultralibéralisme, y compris sur les questions d’éthique et que ce qui prime avant tout, c’est la liberté. Puisque je peux faire quelque chose, alors je le fais ! L.P.B. : Quid de la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes ? M gr J.-L.B. : La question de l’anonymat des donneurs est aussi soulevée : dans le cadre de la P.M.A. légale ou de la G.P.A. pratiquée à l’étranger, de nom- breuses personnes demandent à connaî- tre leurs géniteurs. Comment alors préserver l’anonymat du don de gamètes ? Et si un donneur est d’accord pour lever l’anonymat, des enfants auraient alors le droit de connaître meurs origines et d’autres non ? Ima- ginons aussi qu’arrivé à l’âge de 18 ans un jeune soit désireux de connaître ses origines et qu’il découvre que ses deux parents sont dumême sexe. Peut- on penser qu’il n’y aura pas de consé-

Monseigneur Jean-Luc Bouilleret a également déclaré la clôture du synode qui a occupé l’Église locale durant deux ans.

s’ouvre mieux au monde contemporain. Le synode a abouti à la promulgation de 13 décrets, de 14 articles et à plusieurs chan- tiers de réflexion à mener à plus long terme. Après ce synode, j’entame la tournée de tous les doyennés du Diocèse afin de mettre en pra-

du nombre de fidèles. Et si dans le futur, on ne se retrouve plus qu’avec une vingtaine de prêtres, il faudra que l’Église vive autrement, en envisageant par exemple des questions d’itinérance. L.P.B. : Le mariage des prêtres n’est toujours pas une solution envisagée ? M gr J.-L.B. : Nos frères protestants, avec des pasteurs qui ont le droit de se marier, rencontrent les mêmes diffi- cultés que nous pour former de nou- veaux pasteurs. L.P.B. : Une autre religion, l’islam, semble, elle, connaître son essor. M gr J.-L.B. : L’islam est bien sûr dans une dynamique plus forte en France car c’est une religion plus récente et nouvelle dans notre pays. Les relations ici avec nos frères musulmans sont d’ailleurs très bonnes. La béatification en 2018 des frères de Tibéhirine a beaucoupmarqué la communauté algé- rienne. L.P.B. : Cette actualité chargée vous laisse-t- elle le loisir de pratiquer le trail et le vélo, vos sports de prédilection ? M gr J.-L.B. : Le dernier trail que j’ai fait est celui des Forts de Besançon cette année mais j’avais une ordination l’après-midi, je n’avais pas le droit de prendre beaucoup de risques…Quant au vélo, j’aime toujours autant, mais faute de temps, j’ai à peine 1 500 km au compteur cette année. Mais la pra- tique de ces sports est pour moi une question d’équilibre de vie. n Propos recueillis par J.-F.H.

quence sur lui ? On sait que la question de nos origines structure notre per- sonnalité de manière forte. L.P.B. : Certains de vos détracteurs avancent qu’un homme d’Église n’est pas le mieux posi- tionné pour parler de la famille et de la paternité. Que répondez-vous à ce genre d’arguments ? M gr J.-L.B. : Ce genre d’arguments est à mon sens un peu court… Ce n’est pas parce qu’on n’a pas l’expérience dans un domaine qu’on ne peut pas avoir la réflexion. Sinon on n’aurait le droit de parler de rien. L.P.B. :L’autre actualité du Diocèse de Besançon, c’est la fin du long synode qui a duré deux ans et que vous avez conclu le 6 octobre dernier par la promulgation des actes synodaux. Que faut-il retenir de cette large consulta- tion ? M gr J.-L.B. : L’idée de ce synode est que tout le monde puisse donner son avis sur la façon dont l’Église doit fonction- ner. Plus de 300 délégués synodaux ont centralisé les avis, il y a eu une vraie et belle dynamique. L.P.B. : Cette dynamique doit aboutir à quelles décisions concrètes ? M gr J.-L.B. : Certaines choses sont très simples à mettre en place. Je souhaite par exemple qu’à court terme, les chré- tiens se réunissent en petites commu- nautés, que dans un village, ils se retrouvent à 10 ou 15 personnes autour d’une question de société car il faut impérativement que l’Église pérennise le dialogue avec la société contempo- raine. En somme, il faut que l’Église

“À vélo, j’ai à peine 1 500 km au compteur cette année…”

tique les orientations de ce synode. J’en ai pour trois ou quatre ans à faire le tour. Il s’agit aussi de redonner du souffle aux communautés chrétiennes de ce Diocèse. Je suis optimiste car il y a une jeune génération qui arrive et qui a envie de redonner du dynamisme à son Église. L.P.B. : Pour cela, vous ne comptez pas que sur les laïcs ? Et en même temps, le nombre de prêtres ne cesse de diminuer. M gr J.-L.B. : Non, l’époque où l’Église pensait que les laïcs allaient remplacer les prêtres est révolue, et c’est tant mieux. Sur le Diocèse, nous comptons 150 prêtres incardinés, mais une cin- quantaine seulement en activité régu- lière. Nous avons eu trois ordinations cette année, encore deux jeunes sont en études. Depuis mon arrivée, une dizaine de jeunes ont cheminé pour devenir prêtres. Même si évidemment il y a beaucoup moins de prêtres qu’avant - il y avait unmillier de prêtres dans les années soixante - il y a autant de vocations aujourd’hui en proportion

l’adolescence à l’âge adulte est souvent déli- cat. Sans figure pater- nelle présente, on peut penser que pour des enfants, les consé- quences peuvent tout autant être compli- quées. La décision prise actuellement manque à mes yeux de pru- dence. De nombreuses questions se posent encore au sujet de la filiation. Le mode de filiation n’est plus basé sur la femme qui accouche mais sur la volonté des femmes concernées. Comment ne pouvons-nous pas entrevoir un grand dan- ger ? Je ne suis pas de ceux qui pensent que

“La question de nos origines structure notre personnalité.”

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