La Presse Bisontine 214 - Novembre 2019
La Presse Bisontine n°214 - Novembre 2019 21
l Analyse
Laurent Sage “On est dans un changement d’époque”
Directeur des études économiques et territoriales à la C.C.I. du Doubs, Laurent Sage suit de près les soubresauts du marché du travail. Les questions de recrutement sont plus prégnantes que jamais.
certains secteurs d’activité. Nous sommes donc dans notre région en prise avec une économie suisse très performante où on a beaucoup de faci- lités à débaucher et à embaucher.Même si les règles ne sont pas aussi souples chez nous, je pense que mentalement, on est ici aussi dans cet état d’esprit. Les entreprises ont de plus en plus de mal à embaucher et à garder leur per- sonnel parce que la main-d’œuvre est de plus en plus volatile et prompte à bouger. L.P.B. : Quels leviers peuvent actionner les entreprises pour pallier ces difficultés de recru- tement ? L.S. : Je vois plusieurs leviers de recru- tement, d’attractivité et de fidélisation pour les entreprises. Des opérations de communication comme les “semaines de l’industrie” qui malgré tout, portent leurs fruits. Dans le secteur du bâti- ment, certains métiers sont (hélas) confiés à des personnes issues de l’im- migration et qui viennent d’arriver sur le sol français et n’ont d’autres choix parfois que de faire ces métiers que d’autres personnes ne veulent plus faire. L’aspect territorial est un autre levier. Il y a hélas dans notre région des secteurs où il y a du travail mais où les gens ne veulent pas aller tra- vailler, car trop éloignés des grandes villes. Ces territoires peuvent jouer sur de nouveaux leviers comme des logements réservés aux stagiaires et aux apprentis. Les territoires, ruraux notamment, ont un vrai rôle à jouer
sur ce plan-là, ils ne doivent pas rester les bras croisés. Certains d’ailleurs sont en avance sur les centres urbains avec la création de tiers lieux par exem- ple, des lieux de coworking. Il y a enfin l’aspect entreprise avec ce qui se passe dans les start-up. Ce qui aurait pu pas- ser pour une mode ou un gadget encore récemment devient un vrai phénomène. Les dix premières entreprises mon- diales aujourd’hui sont des start-up qui cassent le modèle classique de management. L.P.B. : Elles seraient un exemple à suivre par les entreprises “traditionnelles” ? L.S. : Sans doute sur certains points comme les questions d’intéressement par exemple. Les start-up ont su faire
L a Presse Bisontine : Les besoins en main-d’œuvre semblent être de plus en plus compliqués à satisfaire alors même que le taux de chômage reste à un niveau élevé. Comment l’expliquez-vous ? Laurent Sage : En zone frontalière, on
connaît ce phénomène depuis déjà un certain temps : comment trouver de la main-d’œuvre et faire en sorte de la garder. On peut d’ailleurs aussi consi- dérer le bassin d’emploi de Besançon comme étant en zone frontalière dans
L.P.B. : Le marché du travail devrait donc subir de profondes mutations à cause du changement de modèle économique ? L.S. : On est en effet sur un vrai chan- gement d’époque, nous assistons à une progressive fluidification du marché du travail. C’est un moment compliqué pour les chefs d’entreprise qui étaient habitués à un autre mode de fonction- nement. Ils ont donc deux options : soit ils se disent que c’était mieux avant et ils subissent la situation, soit ils innovent enmatière sociale et se démar- quent. Mais il ne faut certainement pas s’attrister de ces changements. n Propos recueillis par J.-F.H. Laurent Sage est le directeur des études économiques et territoriales à la C.C.I. du Doubs (photo C.C.I.).
comprendre à leurs salariés qu’ils sont directement concernés par la réussite de l’en- treprise. Je prends l’exemple de la société S.I.S. (Valdahon,Avou- drey, Étalans) qui à mon sens, est une start- up car elle a su propo- ser unmodèle différent enmatière d’avantages sociaux, de manage- ment. C’est l’alchimie entre tous ces leviers d’attractivité qui fera qu’une entreprise saura mieux attirer et retenir sa main-d’œu- vre.
“Les start-up cassent
le modèle classique de management.”
Cette année, 15 % d’intentions d’embauches supplémentaires pour les entreprises du Doubs.
l Besançon
R. Bourgeois, 370 salariés à Besançon
Même les plus grands sont touchés Les principales entreprises du bassin d’emploi de Besançon galèrent comme les plus petites. Chez R. Bourgeois, on cherche désespérément plusieurs outilleurs confirmés.
I ls auront tout tenté, jusqu’à la méthode classique d’ac- crocher une banderole sur le mur extérieur du site rue de Trépillot. Sans résultat. Le fabri- cant d’outillage de précision - qui vient de fêter ses 90 ans -, porté par la croissance fulgurante du marché de l’électro-mobilité, peine à trouver lamain-d’œuvre suffisante pour répondre à ses besoins. “Comme nous n’arrivons pas à recruter autant d’outilleurs que nous en aurions besoin, nous faisons appel à de la sous-trai- tance depuis deux ans” indique Olivier Bourgeois, le directeur général délégué du groupe R. Bourgeois. La relative proximité de la Suisse est aussi une préoc- cupation pour l’entreprise bison- tine qui voit régulièrement s’échapper de l’autre côté de la frontière de jeunes outilleurs confirmés, pourtant formés ici
même. “Si demain se présentent 5 outilleurs confirmés, nous les embauchons sur-le-champ” ajoute M. Bourgeois. La direction des ressources humaines a usé de toutes les méthodes pour tenter de convaincre. Les banderoles donc, mais avant cela Pôle Emploi et
mêmes confrontées à la même problématique. “Le coup de fil aux confrères, on le pratique aussi” confirme Danielle Le Port, D.R.H. de l’entreprise qui tente d’innover au maximum pour tenter de séduire : contrat d’in- téressement, prime de fin d’an- née, projet de compte épargne- temps, de P.E.R.C.O., idée d’une crèche inter-entreprises, par- kings à vélo, installation de prises pour les voitures élec- triques, incitation au co-voitu- rage, organisation de la “fête de l’entreprise”, promotion de la mutation interne, etc. “On est même allés rencontrer les migrants arrivés sur Besançon par l’intermédiaire d’une asso- ciation. Mais le barrage de la langue reste un gros souci dans nos métiers.” La dernière opé- ration menée avec Pôle Emploi a fait un flop : sur 800 messages
tous les réseaux sociaux spéciali- sés dans l’em- ploi, de LinkedIn àViadeo en pas- sant par les locaux B.F.C. Job, ou par le canal classique de la branche professionnelle avec l’U.I.M.M., son école de pro- duction et son réseau d’entre- prises, elles-
800 messages envoyés, 8 réponses seulement…
Olivier Bourgeois, directeur général délégué et Danielle Le Port, D.R.H. du groupe R. Bourgeois.
sieurs dizaines de salariés devraient quitter le groupe pour cause de retraite. Pour le groupe R. Bourgeois, le problème du recrutement risque de s’appa- renter à un casse-tête pour la décennie qui s’ouvre. D’autant
envoyés, 8 demandeurs d’emploi ont répondu, aucun n’a donné suite… Les outilleurs ne sont pas la seule profession recher- chée : “Nous recrutons également deux affûteurs en ce moment.” Dans les deux ans à venir, plu-
que les ambitieux travaux en cours d’achèvement donneront à l’entreprise bisontine une capacité de production de 5 000 m 2 supplémentaires. n
J.-F.H.
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