La Presse Bisontine 211 - Juillet-Aout 2019

La Presse Bisontine n°211 - Juillet-août 2019

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l Exposition Des dialogues intimes Le duo qui fait sens Une quinzaine de toiles du peintre contemporain s’affichent en vis-à-vis de celle du maître du réalisme. Le dialogue très harmonieux est pourtant séparé de six générations.

Yan Pei-Ming joue une partition à quatre mains avec Courbet autour de peintures animalières, de paysages et de portraits intimes.

D ans la manière d’être et de peindre, bien des points com- muns rassemblent les deux artistes. Un geste large et sûr, un attrait pour les grands formats et les sujets classiques (portraits, pay- sages, animaux…) “Yan Pei-Ming a défendu tout au long de sa carrière la peinture traditionnelle. À son arrivée en France dans les années quatre-vingt, il va persister dans cette voie passée de mode. Ce sont des gens en dehors du système” , souligne Frédérique Thomas- Maurin, conservatrice du musée Cour-

bet. L’artiste franco-chinois, qui vit aujourd’hui à Dijon, notamment célèbre pour ses immenses portraits mono- chromes de Mao et d’Obama, a été très tôt fasciné par Courbet, qu’il qualifie de “peintre des peintres.” “Toutes les personnes qui font de l’art en Chine le connaissent” , précise-t-il. “Il est surtout présenté comme un artiste révolution- naire, pour son engagement lors de la Commune de Paris.” C’est seulement une fois en France que Yan Pei-Ming redécouvrira l’ensemble de son œuvre

L’exposition d’Ornans est

labellisée d’intérêt national.

cohabitent avec deux crocodiles. Un clin d’œil provocateur comme dans les nombreux autres duos de peintures animalières présentés, où les proies font face aux prédateurs. Des dialogues intimes se nouent aussi au contact des portraits des proches de l’artiste (son grand-père, sa mère et son oncle) mis en regard du père et de la sœur de Courbet. Mais aussi à l’évocation de la terre natale, avec l’op- position de l’urbanité de Shanghai au “Chêne de Flagey”.

et ses grands formats, tels que “L’en- terrement à Ornans” ou “L’atelier du peintre”. “Il faut voir ces œuvres en vrai, elles sont d’une picturalité éton- nante.” Quand on lui a proposé cette exposition en face-à-face au musée d’Ornans, l’ar- tiste n’a donc pas hésité longtemps, imposant pour seule condition de pou- voir résider et travailler dans l’atelier de Courbet. Il s’est consacré durant plusieurs semaines d’avril à la réali- sation de quelques toiles. Un petit nom- bre ont été créées spécifiquement pour l’exposition, les autres ont été peintes antérieurement et sélectionnées par l’artiste. Ainsi, Yan Pei-Ming a-t-il choisi de faire dialoguer sa “Colonne Vendôme” déboulonnée à “l’Autoportrait à Sainte- Pélagie” de Courbet, éclairant la cause et la conséquence de son exil. Ailleurs, le renard blessé de Courbet fait face à des tigres rôdant dans la forêt, et les femmes nues enlacées du “Sommeil”

Les personnalités forte- ment engagées des deux hommes se précisent, enfin, au fur et à mesure des salles : “la femme au podoscaphe” peinte en 1865 par Courbet trou- vant un écho dans l’ac- tualité avec la représen- tation d’un bateau en pleine mer, semble-t-il rempli demigrants. Cette

“Le peintre des peintres.”

exposition montre, s’il le fallait, que le prodige comtois est toujours vivant et qu’il reste une référence pour les artistes d’aujourd’hui. n S.G.

La cohabitation des deux peintres se poursuivra après Ornans, en octobre au Petit Palais à Paris, puis au Musée d’Orsay avec notamment, “Un enterrement à Shanghai”.

l Ornans En cours de restauration L’atelier de Courbet,

une future résidence d’artistes Contraint à l’exil après la Commune, le peintre comtois qui ne se réinstallera jamais dans son dernier atelier, y est aujourd’hui de retour sous la forme d’un portrait signé Yan Pei-Ming.

L’ enfant du pays a repris sa place. Un grand portrait (de 120 sur 150 cm), réalisé d’après un cliché pris avant samort à 58 ans, trône dans son atelier, marquant symboliquement sa présence. L’artiste Yan Pei-Ming a souhaité lui rendre cet hommage lors de sa rési-

dence. Un volet de l’exposition qui le fait dia- loguer avec le peintre comtois (lire par ailleurs) se trouve présenté au sein même de l’atelier.Le portait de Courbet côtoie sur place un autoportrait de l’ar- tiste français d’origine chinoise, lui aussi âgé de 58 ans, ainsi que deux

autres œuvres. Pour les découvrir, le visiteur sera donc invité à y pénétrer. Situé non loin du musée, l’atelier est resté fermé durant plusieurs années. D’extérieur, le bâti- ment se montre plutôt ordinaire. C’est en fait une ancienne fonderie que Cour- bet a achetée en 1860 et qu’il a fait aménager, après avoir nourri un premier projet de construction en entrée de ville. Avant cela, le peintre était contraint de travailler dans le grenier aménagé de lamaison des grands-parents mater- nels, étroit et mal éclairé, si bien qu’il trouvait souvent refuge chez Marcel Ordinaire àMaisières. Ce nouveau lieu lui offrira un cadre adéquat pour sa peinture de 1860 jusqu’à son exil en Suisse. Il sera pillé par l’armée prus- sienne en 1871. Puis, sa sœur, Juliette, y entreprendra la construction d’une extension après son décès pour exposer les œuvres de son frère, et l’édifice sera finalement racheté quelques années plus tard par un négociant en vin, Casi- mir Marguier. Une ancienne activité commerciale dont on retrouve encore

Gustave Courbet vécut et travailla dans cet atelier de 1860 jusqu’à son exil en Suisse en 1873.

aujourd’hui la marque sur la façade. Le Département du Doubs, qui avait racheté l’atelier aux descendants en 2008, vient d’acquérir à son tour la maison attenante. “Une réflexion est en cours pour définir l’usage des lieux” , précise Jean-Pierre Breuillot, architecte départemental. “L’une des orientations est l’aménagement en résidence d’ar- tistes.” Yan Pei-Ming était le tout premier à l’investir. Il y a trouvé un espace propice

à la création, quasiment resté en l’état depuis 1873 avec des peintures murales de Courbet comme ces hirondelles et deux paysages. Après une première intervention sur le plancher, il reste encore beaucoup à faire pour restaurer l’ensemble. Pour l’heure et jusqu’à la fin de l’exposition, plusieurs visites y seront organisées chaque jour (sur réservation obligatoire au musée). n S.G.

Yan Pei-Ming a trouvé dans cet atelier un espace propice à la création.

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