La Presse Bisontine 190 - Septembre 2017

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Bisontine n° 190 - Septembre 2017

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ASTRONOMIE

Aux frontières du système solaire

“L’existence d’une neuvième planète pourrait expliquer pas mal de choses” Il y a un an, l’astrophysicien bisontin Jean-Marc Petit découvrait avec une équipe d’une trentaine de chercheurs internationaux, une

L a Presse Bisontine : Vos recherches s’inscrivaient dans le cadre du pro- gramme O.S.S.O.S. (Outer Solar System Origins Survey)* débuté en 2013, et qui a pris fin en janvier der- nier. Sur quoi cela portait-il ? Jean-Marc Petit : Nous nous intéres- sons aux petits corps du système solaire externe. Il en existe tout une population au-delà de l’orbite de Neptune. Appelés objets trans- neptuniens, ou “objets de la cein- ture de Edgeworth-Kuiper”, leur découverte remonte au début des années quatre-vingt-dix. On sait aujourd’hui que plus ils sont loin du soleil, moins ils évoluent chi- miquement et plus la probabilité qu’ils cognent leurs camarades est faible.À la différence des astéroïdes dont seule une petite poignée est intacte, ce qui rend leur évolution beaucoup plus délicate à modéli- ser. L’idée est d’aller étudier cette zone car il s’y passe beaucoupmoins de choses. O.S.S.O.S. a été conçu pour cartographier la structure orbitale du système solaire exter- ne et déchiffrer son histoire. Les observations ont été réalisées depuis planète naine de 700 km de diamètre au-delà de l’orbite de Neptune. Leurs observations vont servir à en apprendre davantage sur la forma- tion du système solaire.

Jean-Marc Petit est directeur de recherche à l’Observatoire de Besançon C.N.R.S.-U.F.C. - Institut Utinam.

ture et dumatériel pour travailler.

liser la courbe de lumière apportera également des informations sur sa vitesse de rota- tion. Là, nous nous sommes bornés à une classification dynamique. L’idée étant non seule- ment de découvrir ces corps mais aus- si d’être capable de les suivre contrai- rement à ce qui se faisait dans les années 1990-2000. À l’époque, il a été

Brown et Konstantin Batygin, qui ont exclu les effets gravitation- nels intrinsèques à la ceinture de Kuiper, sont biaisés. Je ne dis pas qu’une autre planète n’existe pas, mais qu’il y a des erreurs de trai- tements statistiques. L.P.B. : Vous devriez animer prochaine- ment une conférence à Besançon autour de ces questions. Sur quoi porteront vos prochaines recherches ? J.-M.P. : Un nouveau télescope d’un diamètre de 39m se construit actuellement au Chili et devrait permettre de premières observa- tions à l’horizon 2024. Tout le ciel sera visible tous les deux ou trois jours, sur un mode grand relevé. Je me suis inscrit pour participer aux recherches, toujours pour opti- miser les observations, traiter les images et définir l’efficacité de détections. Ce nouvel outil vien- dra sans doute modifier les pra- tiques que l’on a aujourd’hui. n

nouvelle planète naine, qui a été bap- tisée 2015 R.R. 245 par le Centre des planètes mineures, est-elle importan- te ? J.-M.P. : Ce corps est en fait à la limite de la planète naine. Mais c’est bien le plus gros que nous ayons découvert parmi 836 autres corps observés. Il a une caracté- ristique intéressante : il est dans une résonance de moyen mouve- ment avec Neptune et on devrait être capable de pouvoir modéli- ser une population type autour. La plupart des autres gros corps découverts l’ont été par hasard et ne permettent pas cela. Il paraît aussi assez lumineux pour que nous puissions l’étudier en détail. Dans les relevés qu’on a pu faire sur le télescope d’Hawaï - l’un des plus puissants au mon- de -, ces gros corps ne concernent même pas un quart de nos décou- vertes. L.P.B. : Quelle suite sera donnée ? J.-M.P. : La taille de R.R. 245 n’est pas encore exactement connue, car ses propriétés de surface doi- vent encore être mesurées, et d’autres recherches se profilent. Des scientifiques s’intéressent à la caractérisation de ce corps, ain- si que d’autres qui ont montré un intérêt. La spectroscopie pourra aussi donner des renseignements sur sa composition chimique. Réa-

Bio express

L.P.B. : Pourquoi parle-t-on de planète naine ? J.-M.P. : Les plus gros de ces corps ont un comportement plus fluide et une forme plus ronde, en rai- son de la pression gravitation- nelle qui dépasse la résistance des matériaux, ce qui les rend proche des planètes. La défini- tion initiale de planète est en fait une masse qui se déplace dans le ciel et que l’on peut observer. Les découvertes au fil des siècles ont peu à peu modifié les approches. En 1801, quand le prêtre italien Giuseppe Piazzi a découvert Cérès - un corps qui se déplaçait mais qu’on ne pouvait pas voir à l’œil nu entre Mars et Jupiter -, on l’a appelé “planète mineure”. Puis le nombre de corps connus dans le système solaire s’est accru au XIX ème siècle avec la découver- te des astéroïdes et d’autres objets appelés ou non planètes. L’Union astronomique internationale (U.A.I.) a tranché en 2006, réper- toriant officiellement seules huit planètes. Pluton n’en faisant pas partie, considéré comme une pla- nète naine. Tout comme Éris découverte au début des années 2000, parmi les plus grandes connues à ce jour.

l Jean-Marc Petit a 56 ans. Il est né à Nice et arrivé en 2001 à Besançon suite à une mutation de son épouse. l Il a décidé de faire de l’astrophysique en classe de première en 1977-1978 l Après avoir préparé en parallèle Normale Sup à Paris et sa thèse à Nice sur les anneaux de Saturne, au niveau de la dynamique, il a occupé un post-doc à Oxford. l Rattaché au C.N.R.S., il a travaillé un temps à Nice sur la dynamique des petits corps et les effets des collisions des astéroïdes. Avant de passer un an à Tucson aux États-Unis à étudier les interactions au sein des anneaux de Saturne. Il est aujourd’hui directeur de recherche à l’institut Utinam.

le télescope franco- canadien du mont Mauna Kea à Hawaï. L.P.B. : Quels sont ces petits corps dont vous par- lez ? J.-M.P. : On admet aujourd’hui qu’il y a le soleil, la lune et huit planètes. Le reste, ce sont des petits corps. Ils peuvent être de dif- férentes tailles : cela va de quelques dizaines de mètres de diamètre jusqu’à 200- 300 km de diamètre avec des formes tara- biscotées, puis au-delà les formes s'arron- dissent jusqu’à atteindre plus de 2 000 km pour les deux plus gros connus. À ce jour, nous avons caractérisé 1 100 objets transneptu- niens. Il a donc une assez grande couver-

“Un nouveau télescope d’un diamètre de 39 m.”

“Il y a le soleil,

la lune et huit planètes.”

assez difficile de convaincre le corps scientifique que le suivi valait un temps de télescope, autant que la découverte. C’est ce à quoi nous nous sommes atte- lés avec O.S.S.O.S., un groupe était chargé de mesurer notre effi- cacité à détecter des corps pour permettre à la suite de modéli- ser les observations. L.P.B. : Que penser de cette théorie d’une neuvième planète, qui a émergé en même temps que votre découverte ? J.-M.P. : Dans les années 2000, l’idée avait déjà été évoquée. Cela permettrait d’expliquer pas mal de choses. Mais à mon sens, les relevés des chercheurs Michael

Propos recueillis par Sarah George

* O.S.S.O.S. impliquait notamment le Conseil national de recherches du Canada, l’Université de British Columbia et l’Université de Franche-Comté

L.P.B. : En quoi la découverte de cette

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