La Presse Bisontine 182 - Décembre 2016

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Bisontine n° 182 - Décembre 2016

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RELIGION

L’archevêque de Besançon “Les immigrés sont une richesse pour la France”

L a Presse Bisontine : Vous étiez début novembre à Lourdes pour la conférence annuelle des évêques de France où le thème de la pédophilie constituait un des sujets majeurs. Le problème est tel qu’il méritait toute une semaine de discussions ? Jean-Luc Bouilleret : Ces moments de réflexion, arti- culés autour de la pénitence, du jeûne et de la prière ont été très forts pour nous tous. Car nous n’avions sans doute pas mesuré suffisamment l’importance d’écouter les victimes,mêmes quand des faits datent de plusieurs décennies. Depuis le début des années 2000 pourtant, un gros tra- vail avait été engagé par la conférence des évêques de France mais la nécessité d’entendre les vic- times n’avait pas été suffisamment prise en comp- te. C’était un des objets des discussions cette année. Je crois qu’on a réellement perçu la détres- se des victimes quand elles ont été agressées et détruites à cause d’abus sexuels. L.P.B. : Des mesures concrètes ont été décidées ? J.-L.B. : Oui, notamment la mise en place d’un dis- positif d’accueil qui peut se déclencher dès qu’il y a la moindre alerte sur un cas et le renforce- ment des rapports avec l’autorité judiciaire. A été mise en route aussi une commission d’ex- pertise indépendante basée à Paris destinée à conseiller les évêques dans l’évaluation des situa- tions litigieuses. Des progrès réels ont été faits pour qu’à l’avenir plus aucun cas ne reste sans réponse.Tout cela a fait ressurgir des souffrances, souvent anciennes et toujours aussi difficiles à vivre pour les victimes. L.P.B. : Vous avez été personnellement confronté en tant qu’évêque, lorsque vous étiez à Amiens, à un cas de prêtre pédophile. La question vous touche particulièrement ? J.-L.B. : J’avais en effet vu le procureur de la Répu- de l’actualité : la pédophilie dans l’Église et la question sensible des migrants. Réaction. Jean-Luc Bouilleret, l’archevêque de Besançon, aborde deux sujets “chauds”

Monseigneur Jean-Luc

Bouilleret a sou- haité relayer for- tement dans son diocèse l’appel lancé par le Pape François en 2015 au sujet de l’accueil (photo A.-L. David)

tion sensible. Les agressions d’ordre sexuel proviennent la plupart du temps de fractures psychologiques qui concernant indistinctement autant les personnes célibataires que les personnes mariées. Cer- tains agresseurs sont parfois aus- si d’anciens agressés. Il y a aussi ces derniers temps l’influence d’In- ternet qui contribue parfois à créer des situations douloureuses. Le mariage n’est certainement pas là pour pallier ce genre de problème et cette question du mariage des prêtres peut être discutée, mais en dehors de ces considérations. Le problème des agressions sexuelles est avant tout une question de com- portement individuel. L.P.B. : L’Église est trop souvent montrée du doigt selon vous ?

sur le territoire. Le diocèse de Besançon a même embauché un salarié pour se consacrer à temps plein à cette question. Nous avons vraiment pris à bras-le-corps la question des migrants et il y a une très belle mobilisation de l’Église locale, en lien avec les associations locales et les autorités préfectorales. Il y a une très belle mobilisation, qui ne fait pas de bruit, mais faire le bien ne fait pas de bruit… L.P.B. : Que vous inspirent ces partis politiques qui veu- lent faire voter des motions contre l’accueil des migrants ou ces élus qui ne veulent pas de migrants sur leur terri- toire ? J.-L.B. : Ces attitudes me choquent. Il ne faut pas faire croire que la France accueille des centaines de milliers de migrants. Il y a eu beaucoup plus d’immigration dans d’autres périodes de notre histoire récente et j’estime, on le prouve en ce moment, que nos capacités d’accueil sont enco- re possibles. Maintenant, il est nécessaire de se poser la question de lamanière dont on les intègre dans la société française. Les études les plus sérieuses ont montré que les immigrés, par leur apport, ont toujours constitué une richesse pour la France. Les acteurs politiques entretiennent la confusion autour de ces questions. Ce qui s’est passé récemment aux États-Unis avec l’élection de DonaldTrump risque d’interpeller encore plus autour de cette question. Je conçois que le mon- de de la responsabilité politique est toujours un peu compliqué, mais pour nous, chrétiens, les migrants sont nos frères en humanité. L.P.B. : L’accueil doit-il être inconditionnel ? J.-L.B. : Bien sûr que non. Nous sommes là pour accueillir, mais aussi et surtout pour favoriser l’intégration, par des cours de français, des temps de fraternité, etc. Nous ne sommes pas dans le discours, mais complètement dans l’action. Com- me résumait le Pape François, les priorités sont d’accueillir, d’accompagner, de discerner, d’inté- grer. L.P.B. : Les fêtes de fin d’année approchent : avec de moins en moins de prêtres et de fidèles, l’Église est-elle vrai- ment en crise ? J.-L.B. : Je dirais plutôt que l’Église est en muta- tion. Il faut qu’on trouve, avec plus de laïques impliqués, le chemin du témoignage. Que chaque chrétien ose dire sa foi, sans l’imposer, mais en proposant son témoignage. On est dans ce grand mouvement d’évangélisation. L’Église vit actuel- lement des changements fondamentaux, elle fait non pas sa révolution, mais sa mutation. n Propos recueillis par J.-F.H.

blique pour une telle affaire, alors même que les éléments que j’avais en ma possession étaient très minces. La famille m’avait juste dit qu’il s’était peut-être passé quelque chose et je l’avais donc signalé. Aujourd’hui, ce prêtre a été réduit à l’état laïc, il n’est plus prêtre. L.P.B. : L’Église est souvent stigmatisée pour ces pro- blèmes récurrents. Le mariage des prêtres, qui après tout sont des hommes comme les autres, n’est-il pas une des solutions ? J.-L.B. : J’assiste depuis que je suis à Besançon à la rentrée judiciaire du tribunal et je constate que la plupart des agressions de ce type se font au sein même des familles, avec des gens mariés. La question du mariage ou du célibat n’a donc à mon sens que peu de rapports avec cette ques-

“Faire le bien ne fait pas de bruit.”

80 nouvelles demandes d’aide tous les mois E n complément des disposi- tifs de l’État relayés ici par la préfecture du Doubs, tout déboutés de leur demande d’asi- le, mais dont les conditions de vie précaire nécessitent un devoir d’humanité.

note Maryse Fischer, du C.C.F.D. Cette mobilisation autour des migrants concerne déjà près de 700 bénévoles qui accueillent, hébergent, offrent le couvert, sou- tiennent les migrants dont la plu- part viennent des Balkans. Essen- tiellement ceux dont l’État ne s’occupe pas car ils ne provien- nent pas de pays considérés à risques. “38 familles ont déjà été hébergées, soit environ 115 per- sonnes, pour un total de 15 300 nuitées. Nous recevons chaque mois 80 nouvelles demandes d’ai- de” note Nicolas Oudot, coordi- nateur de la Pastorale des migrants. La mobilisation s’ouvre désormais également aux réfugiés de Calais. “Il faut qu’on assure à ces per- sonnes des conditions de vie qui leur permettent de se retourner, même si leur demande d’asile a déjà été refusée” ajoute Antoine Aumonier du Secours catholique. “Quand on voit des enfants de 2 ou 3 ans à la rue, il n’est plus question de savoir s’ils ont droit à l’asile ou non. Il s’agit de détres- se humaine” complète le frère Jacques Jouët du mouvement “Welcome aux Buis”. n

J.-L.B. : L’institution ecclésiale est toujours la plus attaquée sur ce sujet. Mais au fil des années et des décennies, on s’aperçoit aussi que les ques- tions de pédophilie ou d’agressions sexuelles concernent hélas toutes les grandes institutions : l’Éducation nationale, le sport, etc. Dans l’Égli- se, ce genre de faits est beaucoup plus souvent évoqué parce que l’impact médiatique est plus fort. Cela doit néanmoins renforcer notre exi- gence à l’exemplarité. L.P.B. : Autre question sensible actuellement, celle de l’ac- cueil des migrants (voir l’encadré ci-dessous). Quel rôle doit jouer l’Église localement ? J.-L.B. : Sur cette question, Les paroles de Jésus dans l’Évangile de Matthieu retentissent avec force : “Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger, j’avais soif, et vous m’avez donné à boi- re, j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli, j’étais nu, et vous m’avez habillé, j’étais malade, et vous m’avez visité, j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !” C’est naturellement un devoir pour nous d’être impliqués sur cette ques- tion. Notre fondement à nous est dans la migra- tion. Abraham, notre première référence, était un Chaldéen errant. Sur cette question, la Pas- torale des migrants du diocèse de Besançon fait un travail formidable, depuis plusieurs années déjà et bien avant que cette question soit aussi prégnante en France. L.P.B. : Comment organisez-vous l’accueil ? J.-L.B. : C’est en route depuis trois ans et depuis, une vingtaine de collectifs se sont mis en place

une organisation s’est mise en place parallèlement dans le dio- cèse de Besançon, au sein de la Pastorale desmigrants qui regrou- pe, outre les instances ecclésiales, un réseau d’associations qui agis- sent dans le domaine social : Secours catholique, C.C.F.D., C.I.M.A.D.E., réseau “Welcome en France”, etc. Tous ensemble, ils organisent depuis plus d’un an l’accueil de migrants, souvent

Une vingtaine de collectifs sont ainsi nés ces derniers mois sur le territoire du diocèse de Besan- çon (Doubs et Haute-Saône) et de nombreuses paroisses orga- nisent régulièrement desmoments d’accompagnement fraternels. “Il y a un élan à susciter. Toute per- sonne sensible qui a une fibre humaine et qui veut porter un acte de solidarité peut nous rejoindre”

À gauche, Nicolas Oudot, de la Pastorale des migrants. Au centre, Antoine Aumonier du Secours catholique. À droite, frère Jacques Jouët du réseau “Welcome aux Buis”.

Les personnes intéressées par l’accueil peuvent joindre le 03 81 25 28 13

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