La Presse Bisontine 175 - Avril 2016

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Bisontine n° 175 - Avril 2016

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JUSTICE

Pierre Bourgeois, président du tribunal de commerce “Tous les juges du tribunal

sont complètement écœurés”

L a Presse Bisontine : Suite au changement de dernière minute qui a entraîné le rem- placement de Besançon par Dijon dans la liste des 18 villes françaises qui accueille- ront un des nouveaux tribunaux de commerce spé- cialisés, vous avez parlé de “coup de poignard dans le dos.” Les douleurs sont-elles toujours aussi vives quinze jours après ? Pierre Bourgeois : Je suis toujours un prési- dent blessé. Comment pourrait-on ne pas l’être ?! Comment après un tel désaveu peut-on continuer à rendre la justice alors que la justice elle-même nous méprise ! Nous ne pouvions rien faire de moins que de suspendre notre travail durant une demi-journée le 9 mars dernier. Cette déci- sion incroyable remet en cause six mois de travail autour de ces futurs tribunaux et discrédite totalement la parole d’État. Je compte cette fois sur la pression exercée par les élus locaux, maire de Besançon et parlementaires, pour convaincre les auto- rités compétentes de revenir en arrière. Besançon est le seul tribunal à avoir dis- paru de la liste. On peut seulement regret- ter que contrairement à François Rebsa- men le maire de Dijon, Jean-Louis Fousseret n’ait pas été ministre… Tous les juges du tribunal sont complètement écœurés. L.P.B. : Aviez-vous songé à démissionner suite à cette annonce surprise ? P.B. : Tous mes collègues juges étaient évi- demment abasourdis et il est clair que cer- tains envisageaient de tout lâcher. Aller plus loin dépasserait ma compétence de juge consulaire. Malgré cet affront, nous n’oublions pas que nous sommes des magis- trats, avec leurs devoirs. Il m’a donc fallu, après avoir accusé le coup de cette déci- sion scandaleuse, remotiver mes troupes. J’estime que c’est dans la tempête qu’on reconnaît les bons marins. Nous conti- nuerons donc d’exercer notre mandat de juges consulaires, je le rappelle complète- ment bénévoles. L.P.B. : Qu’espérez-vous aujourd’hui ? P.B. : Deux choses sont possibles. Soit un économique locale. Quelques éclaircies en vue dans ce ciel obscurci par ce coup de théâtre. Scandalisé par ce qu’il nomme une “justice des copains” pour qualifier la pression du maire de Dijon destinée à récupérer le futur tribunal de commerce spécialisé, le président du tribu- nal de commerce de Besançon ne décolère pas. Il en profite aus- si pour faire le point sur l’activité

çois Hollande et au garde des Sceaux, le barreau de Besançon a saisi le conseil natio- nal de l’ordre des avocats. Il n’y a qu’une énorme pression politique qui peut faire changer les choses. L.P.B. :Au-delà de cet insupportable camouflet, que représenterait la présence d’une telle juridiction sur Besançon ? P.B. : C’est avant tout une question d’équilibre territorial. Les tribunaux de commerce spé- cialisés traiteront des affaires des entre- prises en difficultés de plus de 250 sala- riés. Sur les 62 000 défaillances d’entreprises constatées l’an dernier, une quarantaine seulement concernait des entreprises de plus de 250 salariés. Ce n’est pas pour le nombre des affaires que ça peut concerner, ce n’est pas non plus une question demoyens supplémentaires pour nous. Le débat n’est pas là : encore une fois, c’est une question d’équilibre au sein de la nouvelle Région Bourgogne-Franche-Comté. On a le senti- ment que le compte n’y est franchement pas. L.P.B. : Six mois de discussion et de travail de pré- paration tombent à l’eau du coup ! Pouvez-vous nous rappeler ce que doivent être ces tribunaux de commerce spécialisés (T.C.S.) ? P.B. : La loi Macron d’août 2015 envisageait au sein des 134 tribunaux de commerce de France de créer 7 à 8 tribunaux qui auraient des compétences particulières pour trai- ter des affaires les plus conséquentes, à savoir les sociétés dont les effectifs dépas- sent 150 salariés ou 20 millions d’euros de chiffre d’affaires. Les 134 tribunaux se sont offusqués de cette mesure qui aurait obli- gé à ces entreprises en difficulté doivent se déplacer parfois à plusieurs centaines de kilomètres dans un tribunal qui n’était pas celui d’origine. La contestation a été entendue et la garde des Sceaux de l’époque Christiane Taubira avait annoncé fin novembre que le nombre de ces tribunaux passerait à 18 et que suite à l’étude d’impact qui avait été conduite, Besançon figurait

Pierre Bourgeois prêt à sortir l’artillerie lourde pour faire entendre la voix de Besançon ?

Plus de créations que de radiations En 2015, le greffe du tribunal de commerce a procédé à 1 838 nouvelles immatriculations, toutes formes confondues, contre 1 089 radiations. La balance entre immatriculations et radiations est ainsi largement positive. Les nouvelles immatriculations concernent avant tout des commerçants (pour 61 %) suivies par les sociétés de service (pour 28 %) mais aussi des industriels (pour 11 %). Le nombre total des entreprises inscrites au R.C.S. de Besançon a augmenté de 4 %, approchant le nombre de 24 800.

dans la liste de ces 18 nouvelles juridic- tions. C’était donc une bonne nouvelle pour Besançon et la Franche-Comté. Le décret était annoncé pour début mars. Un conseil national des tribunaux de commerce s’est encore réuni début février sous la prési- dence du nouveau garde des Sceaux Jean- Jacques Urvoas où il était toujours ques- tion de Besançon. Et le dimanche 28 février, alors que j’avais fait une alerte Google, je vois tomber ce décret pris la veille, en cati- mini, et dans lequel le nom de Besançon avait été remplacé par celui de Dijon. La surprise totale. Et il s’est rapidement avé- ré que c’est un courrier du maire de Dijon à François Hollande qui avait fait modi- fier ce décret à la dernière minute. La démarche est proprement scandaleuse. L.P.B. : Et les arguments sont fallacieux selon vous ? P.B. : Totalement ! Besançon aurait moins de défaillances d’entreprises que Dijon, comme si cet état de fait était le reflet éco- nomique de toute une région. Ce n’est pas le nombre de défaillances qui définit l’intelligence des juges ! Le deuxième argu- ment est tout aussi ahurissant : à Dijon, ils invoquent le fait qu’on a moins de man- dataires judiciaires qu’eux alors que les mandataires n’ont aucune compétence ter- ritoriale. Tout cela est navrant. L.P.B. : La colère mise de côté, dites-nous com- ment se porte l’économie locale sur le territoire du tribunal de Besançon qui couvre tout le Doubs à l’exception de l’aire urbaine de Montbéliard ? P.B. : L’an dernier, nous avons enregistré un très léger recul des dépôts de bilan : 291, contre 292 l’année précédente. On peut dire : enfin la stagnation. Le secteur qui a le plus souffert l’an dernier, c’est le B.T.P. L.P.B. : Quel est le profil des entreprises qui ont déposé le bilan ?

P.B. : 80 % d’entre elles sont des T.P.E. et dans 61 % des défaillances, l’entreprise en question n’emploie aucun salarié. 25 % des dépôts de bilan ont concerné l’an dernier des entreprises du B.T.P. C’est la plus for- te progression. Mais le secteur histori- quement le plus concerné par les dépôts de bilan reste le commerce avec 26 % des dépôts de bilan. Suivent l’hôtellerie-res- tauration avec 14 % et l’industrie avec 11 % des cas. Sur les 291 dépôts de bilan enregistrés en 2015, on avait ordonné 41 % de redresse- ments judiciaires et 49 % de liquidations. Il faut savoir que 10 % des redressements seulement vont au bout de leur plan de redressement et aboutissent au sauveta- ge de l’entreprise. Ces 291 entreprises représentaient 73millions d’euros de chiffre d’affaires (contre 67 millions l’année pré- cédente). L’effectif concerné par ces 291 procédures atteint les 671 salariés. L.P.B. : Comment se présente 2016 ? P.B. : On constate, et c’est tant mieux, que la baisse des procédures se poursuit. On sent réellement que d’après les chefs d’entreprise, il y a une reprise. L’économie semble enfin repartir. Les présidents de fédérations dans les travaux publics espè- rent retrouver le même niveau que l’an dernier, donc stopper la baisse. On a d’ailleurs beaucoup moins de procédures dans le B.T.P. depuis le début d’année. L.P.B. : L’optimisme revient ? P.B. : D’un point de vue économique, c’est avéré, il faut au moins 1,8 % de croissan- ce du P.I.B. pour avoir un vrai recul du chô- mage. Cette année, on a l’espoir d’une crois- sance à 1 %. Ce n’est donc pas 1,8 %.Malgré tout, je pense qu’on pourra enfin assister une inversion de tendance cette année. Propos recueillis par J.-F.H.

décret qui modifie le pre- mier et cela, le gouverne- ment peut le faire très rapi- dement. Soit le barreau dénonce ce décret devant le Conseil d’État. Tout le monde est tellement remonté que nous ferons tout pour que l’un de ces deux scénarios survienne. J’espère surtout que la presse nationale se saisis- se de cette affaire et relaie la presse locale. Je pense que la seule chance que l’on a de se faire entendre par les plus hautes instances est que ce débat remonte au niveau national. Tous les parlementaires locaux ont été saisis, Jean-Louis Fousseret a écrit à Fran-

“La démarche est proprement scandaleuse.”

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