La Presse Bisontine 168 - Septembre 2015

20 DOSSIER I

La Presse Bisontine n° 168 - Septembre 2015

Enquête

Le premier observatoire

Frontaliers : la fin des idées Une grande enquête I.P.S.O.S. pilotée par le Crédit Agricole, en partenariat avec le Groupement Transfrontalier Européen vient démentir quelques a priori tenaces au sujet des travailleurs frontaliers. Pour son édition de la rentrée, le journal C’est à dire publie en quasi-intégralité les résultats de cette étude sociologique et économique. Chiffres, tableaux, analyses et commentaires dévoilent enfin le vrai visage des frontaliers. Le profil du frontalier

C’ est dans un salon de l’hôtel de la Paix à Genè- ve que le Crédit Agrico- le a livré le 30 juin der- nier les enseignements de son tout premier “observatoire des frontaliers” que la banque compte orga- niser tous les deux ans. Partant du constat que le nombre de travailleurs frontaliers sur l’Arc jurassien (de Bâle à Genève) est passé de 94 000 en 2004 à 150 000 fin 2014 (soit une hausse de 60 % en dix ans), cette population qui a la particularité de passer tous les jours la frontière pour se rendre à son travail est devenue un sujet d’étude à part entiè- re et constitue pour les régions concer- nées, dont la Franche-Comté est au pre- mier rang, un véritable particularisme autant sociologique qu’économique. Pre- mière banque des frontaliers, le Crédit Agricole souhaitait par l’intermédiaire de cette enquête inédite réalisée auprès d’un échantillon d’un millier de clients mieux cerner les attentes et les habi- tudes de vie de ces derniers. Les frontaliers sont souvent affublés de stéréotypes qui leur collent à la peau, passablement énervants pour eux, car souvent injustifiés. “Cette étude tend

re s’accroître dans les années à venir. Une des illustrations de cette ouvertu- re croissante, c’est l’E.P.F.L., l’école d’ingénieurs de Lausanne qui est une des écoles les plus ouvertes au monde aux étudiants (et aux enseignants) étran- gers. Le travailleur frontalier est aujourd’hui en majorité (62 %) un homme, âgé de 42 ans en moyenne et 45 % des fronta- liers sont des C.S.P. +. Si le bassin gene- vois rassemble les compétences les plus pointues, la particularité du travail fron- talier en Franche-Comté est sa spécia- lisation dans l’horlogerie. Dans notre région, 48 % des frontaliers travaillent dans la branche horlogère, soit près d’un frontalier sur deux. “Les frontaliers francs-comtois n’ont pas forcément tous des diplômes, mais ils ont tous dumétier” commente Élisabeth Eychenne, la direc- trice générale du CréditAgricole Franche- Comté. Les déplacements sont devenus un des enjeux majeurs du travail frontalier. D’après l’enquête, 49 % des frontaliers travaillent à plus de 20 minutes de leur domicile, 1/3 d’entre eux à plus de 45 minutes et même un sur dix à plus de 60 minutes. S’ils se disent prêts à 48 %

déjà à montrer qu’il y a toutes sortes de frontaliers avec leurs préoccupations dif- férentes” résume Pierre Fort, directeur général adjoint du Crédit Agricole des Savoie. “Cette étude a permis de ren- verser des vérités toutes faites” enchérit Michel Charrat, le président du Grou- pement Transfrontalier Européen (G.T.E.), partenaire de l’étude. Une cho- se est sûre déjà : le recours au travail frontalier ne devrait que s’accentuer.

“La Suisse est le pays au monde qui innove le plus et qui a la population acti- ve la plus mobilisée. De par son déficit démogra- phique de plus en plus fort, la Suisse se tourne natu- rellement vers l’étranger pour ses professions de pointe et de niche. Le seul futur pour la Suisse est de se tourner vers les autres pays pour recruter” analyse Cédric Dupont, sociologue et enseignant à l’Université de Genève. Le nombre de frontaliers sans cesse en hausse depuis 2004 devrait enco-

“Les temps de parcours ont doublé en dix ans.”

hauts niveaux de qualifi- cation que la Suissemanque cruellement de main- d’œuvre. Dans les années à venir, la Suisse accusera un déficit de 100 000 ingé- nieurs. Une raison de plus de croire que ce besoin en main-d’œuvre frontalière ne va faire qu’augmenter” ajoute Cédric Dupont. La question des salaires et des habitudes en matière de change a également été abordée dans cette enquê- te. On y apprend notam- ment que 71 % des fronta- Plus de la moitié des frontaliers interrogés déclarent ne pas rece- voir de prime. 1 frontalier sur 5 annon- ce bénéficier dʼune prime annuelle dʼun montant supérieur à CHF 5ʼ000. Lʼattractivité financière de la Suis- se est une motivation forte pour les frontaliers à venir travailler au sein de la Confédération Helvétique. Le dynamisme du marché du travail et les possibilités dʼévolution profes- sionnelle sont aussi des sources de motivation importantes pour res- pectivement 31% et 28% des fron- taliers. Le marché du travail, qui est ouvert à des frontaliers de tous niveaux de qualification est assez hétérogène en matière de rémunération.

à utiliser davantage les transports en commun, les solutions ne sont pas enco- re adéquates, notamment en Franche- Comté. “Les transports sont devenus la problématique essentielle. Les temps de parcours ont doublé en dix ans. On dit que les frontaliers ne prennent pas les transports en commun. C’est faux : dès qu’il y a un transport en commun effi- cace, ils s’en saisissent” confirme Michel Charrat. Cette augmentation du trafic participe aussi, hélas, à l’augmentation constatée du sentiment anti-frontalier. Sur le plan du logement, l’étude a livré une information importante. 22 % seu- lement des frontaliers étaient déjà pro- priétaires avant de venir travailler en Suisse. 76 % le sont ensuite. “En effet, trois frontaliers sur quatre sont pro- priétaires et un locataire sur deux décla- re vouloir acheter son logement dans les années à venir” confirme Pierre Fort. D’où le besoin criant de logements sur la bande frontalière, la Haut-Doubs mor- tuacien ou pontissalien étant un des exemples les plus forts. La stabilité de l’emploi est un des autres enseignements de l’enquête. En effet, 92 % des frontaliers ont un C.D.I. et 57 % d’entre eux travaillent en Suisse depuis plus de dix ans. Par ailleurs, le marché du travail frontalier est ouvert à tous les niveaux de qualification. 32 % des frontaliers disposent d’un C.A.P. ou d’un B.E.P., 16 % d’un B.T.S. ou d’un D.U.T., 16 autres % d’une licence ou d’un Mas- ter 1 et 14 % d’un Bac + 5. “C’est sur les

C.M.U. : la moitié des frontaliers ne paient pas plus cher.

liers changent 60 % ou plus de leur salaire en euros. 37 % d’entre eux consul- tent le cours du change pour rapatrier leur salaire. Mais, petite surprise, beau- coup de frontaliers gardent leur argent en Suisse. “Bien sûr depuis le 15 janvier dernier, le cours du change s’est reposi- tionné au cœur de la vie des frontaliers. Depuis cette date, 20 % des frontaliers font la queue pour aller changer leur salaire en cash ” observe Catherine Gal- vez, directrice générale de Crédit Agri- cole Financements Suisse. “Le 15 jan- vier, les volumes de retraits d’argent ont été multipliés par dix” se souvient Pier- re Fort. Ceci dit, ce n’est pas pour autant un fleuve tranquille que de vivre en zone euro avec un salaire en franc suisse car si cette situation apporte des opportu- nités, on l’a vu en début d’année, elle

Catherine Galvez, directrice générale de Crédit Agricole Financements Suisse a coordonné l’étude.

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