La Presse Bisontine 167 - Juillet-Août 2015

BESANÇON

15 La Presse Bisontine n° 167 - Juillet-Août 2015

POLÉMIQUE

L’ancien patron monte sur scène La pièce sur les anciens Weil suscite la controverse

Depuis 2011, les apiculteurs du département enregistrent une baisse de la production de miel. Si la passion pour les abeilles est intacte, ils doivent composer avec un environnement qui change. Un contexte que le syndicat apicole du Doubs explique.

B esançon aime ressasser son pas- sé. Après la saga des Lip retrans- crite en film ou en documentaire, au tour des ex-salariés de l’usine tex- tile Weil d’occuper le devant de la scè- ne. Mais parler d’une époque pas si loin- taine fait ressurgir des souvenirs et suscite des commentaires parfois vifs. Le Centre Dramatique National de Besançon l’a mesuré. Ce dernier produisait mercredi 3 juin la première représentationdes“Tableaux deWeil”, une pièce de théâtre écrite par Violaine Schwartz et jouée par des étu- diants bisontins en D.E.U.S.T. théâtre. Alors qu’ils étaient félicités pour leur - magnifique - représentation, les comé- diens en herbe ont vu une personne s’inviter sur scène. Il s’agissait de Ber- trand Weil, petit-fils du créateur de la manufacture et ancien patron, déçu que l’on dépeigne ainsi l’entreprise locale qui fit travailler 1 400 personnes à la grande époque. Il a assisté à la pièce et n’a rien manqué de la représentation qui dépeint le travail à la chaîne, la cha- leur de l’atelier, les coups de gueule des chefs, les accidents de travail. L’ancien représentant de la firme fami- liale a salué la représentation mais a vite critiqué l’angle retenu par l’auteur Violaine Schwartz : “Ma famille n’a pas été écornée mais est-ce normal de mon- trer cette vision satirique du travail à la chaîne ?” a-t-il demandé au public

afin de susciter le débat. Et de préciser que des images comme la salle de res- taurant détestée par les ouvriers datait de l’après-guerre… Bertrand Weil qui avait pris la parole - sans qu’on lui demande - a rapide- ment été coupé dans son élan par Célie Pauthe, la directrice du C.D.N. Un coup de théâtre… auquel l’auteur Violaine Schwartz ne s’attendait pas. “J’ai pour- tant respecté mots pour mots les témoi- gnages des salariés. Toutes les conver- sations ont été enregistrées…” se défend celle qui a voulu faire resurgir une époque aujourd’hui oubliée : la mémoi- re ouvrière, l’amour de l’entreprise, la pénibilité au travail, les chants dans le bruit des machines… Des tranches de vie touchantes parfaitement jouées par les étudiants. Ancienne salariée, Marcelle (prénom modifié selon sa volonté) a assisté à la première : “C’était parfaitement joué et écrit.Mais je regrette que cette pièce n’ait balayé qu’un seul angle. Il aurait fallu parler de la fraternité entre les salariés, des crêpages de chignons entre filles lorsqu’un beau mec arrivait… Et sur- tout, je ne comprends pas que des vrais noms (N.D.L.R. : notamment pour les chefs) aient été choisis.On n’est pas dans un tribunal. Cela peut porter préjudice car certains sont encore en vie ou leurs enfants…” dit-elle après coup. L’auteur entend la critique. D’autres anciens

Weil se sont reconnus. C’est le cas de Julien Orsini qui fut leader syndica- liste C.G.T. : “Quand, dans la pièce, quel- qu’unmonte sur l’escabeau pour parler aux salariés,c’estmoi ! Le chef de l’époque, M. Bernard, m’avait demandé de des- cendre. Je lui ai répondu que j’étais à sa hauteur pour parler àmes collègues” dit l’ancien cégétiste parti en 1989 de Weil.Michel Cornaton, un autre ancien devenu chef de l’entreprise Soc à Besan- çon (repassage-défroissage) était éga- lement de la partie. La pièce terminée, les langues se sont déliées autour d’un buffet. Si la tension est redescendue, BertrandWeil a com- menté son “coup de gueule” : “J’accepte la critique mais si je n’y étais pas allé au culot en montant sur scène, on ne m’aurait jamais écouté. Je regrette que l’on montre une image vieillotte de l’industrie… C’est à cause de celle-ci qu’il manque des élèves en apprentis- sage ! Que la Région et laVille de Besan- çon qui financent cette pièce ne s’inquiètent pas si l’industrie vamal ici. Pourquoi en Suisse et en Allemagne l’apprentissage fonctionne ! La vie au travail, c’était aussi des copains, de la socialisation. Oui, c’était un peu pater- naliste, mais dans le bon sens du ter- me” ajoute-t-il.Venu le lendemain pour la seconde représentation… il n’a pas pris la parole. Personne ne l’a invité d’ailleurs.

Bertrand Weil s’incruste sur la scène devant le regard médusé des comédiens. Un moyen pour lui de donner une autre image que celle dépeinte par l’œuvre…

Agnès, ex-salariée rencontrée à la fin de la représentation apporte un autre commentaire : “On fêtait les catheri- nettes, lesmariages,on se recueillait pour les décès. Il y avait une ambiance fami- liale. Mais attention, ce n’était pas pen- dant les heures de travail” précise cel- le qui œuvra au montage des cols. La directrice duC.D.N. Célie Pauthe avoue “avoir été surprise par cette arrivée sur scène du patron. Que le patron prenne la parole pour ses salariés, ça reflète ce qui se passait” sous-entend-elle. Du côté des jeunes comédiens, même surprise, comme le confirme Zélie qui a joué avec quatre autres camarades la première pièce : “Il n’a pas été facile de savoir s’il fallait se muer dans un personnage ou transmettre un messa- ge. À la lecture de certains passages

d’ouvrières, j’ai été touchée…” explique l’étudiante. Touchés, les ex-Weil l’ont été. Le patron également. Il y a du vrai dans cette œuvre qui se jouera en octobre dans le GrandBesançon.Quelques ajustements ont été apportés comme l’identité des “chefs”. On rappellera notamment que Johnny Hallyday a visité l’entreprise, que des Bisontins patientaient des heures pour accéder à l’espace vente de l’usine située rue de Chaillot (le maga- sin a été le premier à pratiquer la ven- te à prix d’usine), que les costumières “gagnaient” 15 minutes de pause en mettant hors-service la chaîne de mon- tage. SiWeil n’est plus depuis 1995, son souvenir est toujours bien vivant à Besançon. E.Ch.

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