La Presse Bisontine 164 - Avril 2015

La Presse Bisontine n° 164 - Avril 2015

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2 millions d’euros pour une maladie nosocomiale Tribunal Vers une judiciarisation des soins ? Le tribunal administratif de Besançon juge environ 50 affaires de demandes d’indemnisation par an, dont la moitié concerne le C.H.R.U. de Besançon. Lorsqu’il est condamné, l’hôpital paye. Explications avec le rapporteur public.

J.C. : Non, il n’y a pas de graves man- quements ici. Des cas typiques que l’on pouvait voir il y a 5 ans avec par exemple une compresse oubliée dans le corps d’un patient, cela ne se voit plus. Propos recueillis par E.Ch. Une patiente demande une indem- nité de 63 924,64 euros en répara- tion des préjudices qu’elle a subis à la suite de sa contamination par le virus de l’hépatite C et a mis à leur charge solidaire les frais d’expertise ainsi que la somme de 1 500 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative. Elle obtien- dra gain de cause (après appel). Exemples d’affaires Madame D. se rend à l’hôpital de Besançon pour des examens. Elle chute sur un quai de déchargement (interdit au public). Elle demande 16 431,54 euros de dommages. Sa requête sera rejetée. Cette agricultrice est opérée. Suit une infection nosocomiale. Elle doit embaucher un salarié pour pallier son absence. Elle demande 676 260 euros au titre des préjudices subis et 67 626 euros de rente. Sa requête est rejetée. M. X. a subi des préjudices lors d’une intervention chirurgicale en rai- son du fonctionnement défectueux d’un matelas chauffant. Le tribunal administratif de Besançon lui donne raison. L’hôpital fait appel. La cour d’appel de Nancy ira dans le sens du patient. L’hôpital est condamné à lui verser 2 200 euros.

L a Presse Bisontine : jeudi 19 février, le tribunal jugeait une affaire entre le C.H.R.U. et un patient réclamant une indemnisation suite à un préju- dice subi, le tout entre une affaire à la fraude à la T.V.A. et un refus de titre de séjour. À par- tir de quel moment un patient saisit-il le tri- bunal administratif de Besançon ? Jérôme Charret (rapporteur public - en poste au Tribunal administratif de Besançon - char- gé d’exposer les questions de droit de l’affai- re. Il ne juge pas. Il propose des solutions) : Lorsque les patients saisissent le tri- bunal administratif, c’est parce que la procédure amiable qui existe avec l’hô- pital ou la C.R.C.I. (commission régio- nale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux) n’a pas fonc- tionné. C’est 99 % des cas. Les motifs des patients varient : soit la proposi-

tion du C.H.U. est jugée trop faible, soit il n’y a pas eu de proposition. Il y a deux terrains de responsabilité invo- qués lorsque l’affaire est portée devant le tribunal : le motif de responsabili- té administrative pour faute et le motif de responsabilité admi- nistrative sans faute.

c’est la faute à pas de chance. C’est le type même des maladies nosocomiales. À chaque fois qu’un patient saisit le tribunal, il doit être représenté par un avocat. L.P.B. : Venons aux faits. Combien d’affaires “d’erreursmédicales”sont portées devant votre tribunal ? Et combien pour l’hôpital bisontin ? J.C. : En statistiques bruts par an, les recours en responsabilité hospitalière se montent à environ 50 dossiers, dont 17 cas concernaient le C.H.U. en 2013 et 12 en 2014 (N.D.L.R. : les affaires des cliniques privées sont jugées par un tribunal civil). Cela peut paraître peu. Mais en masse financière c’est assez important…Une indemnisation d’une infection nosocomiale à 1 mil- lion d’eurosmultiplié par 30, cela revient cher aux assurances de l’hôpital. L.P.B. : Donnez-nous un exemple que le tri- bunal de Besançon a eu à traiter et dont les sommes à payer ont été colossales. J.C. : Je me souviens d’une indemnisa- tion de 2 millions d’euros à Besançon. Les sommes sont liées à la gravité et suivent un barème fixé par l’Office natio- nal des accidentsmédicaux.Cet exemple reste un des plus gros chefs mais il faut dire que la personne touchée - par une maladie nosocomiale - restera les 60 prochaines années de sa vie en état végétatif.Nous prenons en compte l’âge, la perte de salaires, le besoin de s’équi- per enmatériel, etc. Nous prenons éga- lement en compte la souffrance mora- le :c’est ce que nous appelons les éléments extra-patrimoniaux. L.P.B. : En revanche, des patients font-ils appel à la justice pour des motifs qui n’ont pas de

sens ? Voire pour des affaires futiles ? J.C. : Nous avons eu le cas d’une fem- me qui suite à un accouchement dou- loureux se plaignait après coup d’avoir des flatulences lors d’actes sexuels avec son mari suite à une épisiotomie… Cela prêtait à sourire. Mais finale- ment, la requérante a été indemnisée. L.P.B. : Comme aux États-Unis, se dirige-t- on vers une “judiciarisation” des pratiques ? J.C. : Je ne le pense pas. Certaines per- sonnes dont la requête a été rejetée sont tout de même satisfaites car elles ont eu une réponse. Pour ceux qui ne sont pas d’accord, ils peuvent aller en appel.Nous sommes là pour comprendre là où il y a eu faute. En revanche, on constate que les patients en terme d’in- demnités demandent toujours plus. C’est la dérive à reprocher. L.P.B. : Qui a le plus souvent raison, l’établis- sement ou le patient ? J.C. : Dans 50 % des cas, nous rejetons les demandes d’indemnisation. Nous jugeons dans un délai d’un an lorsqu’il y a déjà une expertise médicale et plus dans le cas où nous devons procéder à une expertise. L.P.B. : Les jugements du T.A. de Besançon sont-ils souvent “remis en cause” ? J.C. : Nous possédons l’un des taux d’ap- pel les plus faibles, de l’ordre de 8 % alors que lamoyenne est de 20%. Quant au taux de réformation, il est seule- ment d’1 %. L.P.B. : Vous avez exercé dans d’autres juri- dictions. Y a-t-il plus ou moins d’affaires au C.H.R.U. de Besançon comparé à d’autres régions ?

“Une dérive à reprocher.”

L.P.B. : Pouvez-vous préciser ? J.C. : Pour la “faute”, c’est ce qui concerne les actes de soins, les actes chi- rurgicaux, à partir du moment où il y a une action chirurgicale. En revanche, la responsabi- lité “sans faute” est celle qui échappe à l’action. Pour parler trivialement :

Jérôme Charret est rapporteur public au tribunal administratif de Besançon.

Montfaucon

Une procédure judiciaire contre l’hôpital

Gabriel Mairot, son combat pour une vie debout

Sportif, Gabriel Mairot a été amputé d’une jambe à la suite d’une infection nosocomiale. Depuis, son combat pour la vie a pris également une forme judiciaire.

C’ est en novembre 2008 que la vie de Gabriel Mairot a basculé.De retour d’un trek dans l’Himalaya, le spor- tif accompli est hospitalisé en urgen- ce au C.H.U. de Besançon alors qu’il présente une grave détresse cardio- respiratoire. Mais lors de sa prise en charge, il va contracter une infection nosocomiale qui nécessitera de l’am- puter de la jambe droite. Un nouveau combat va commencer pour cet hom- me de tempérament âgé aujourd’hui de 58 ans. Un “combat pour une vie debout” comme il l’écrit en titre de son livre paru à la fin de l’année dernière. Dans cet ouvrage, Gabriel Mairot se raconte, de son enfance à La Rivière- Drugeon, à sa passion pour le mara- thon, ses expéditions à travers le mon- de, jusqu’à ce mois de novembre 2008 où sa vie va définitivement changer après avoir frôlé la mort. À la lecture de ce livre, on découvre aussi que son combat a pris une for- me judiciaire. Cela fait six ans qu’il bataille contre l’hôpital de Besançon dans l’espoir d’être dédommagé. “Je n’ai pas demandé à être dans cette situation. J’aimerais que le C.H.U. reconnaisse qu’il y a eu un aléa théra-

peutique (l’infection n’est pas liée à une erreur humaine manifeste N.D.L.R.) et qu’il existe des fonds pour cela. Je ne cherche pas à être indemnisé, mais je voudrais que le centre hospitalier pren- ne en charge ma prothèse” explique Gabriel Mairot qui habite Montfau- con. Le patient veut changer sa pro- thèse actuelle contre une prothèse tech- niquement plus élaborée, qui lui permettrait de continuer à arpenter les sentiers en montagne dans de meilleures conditions comme il n’a jamais cessé de le faire malgré son handicap. “Cette nouvelle prothèse s’ap- proche d’un mouvement naturel de la marche. J’ai l’intention de faire l’as- cension duMont-Blanc avec elle” annon-

Gabriel Mairot a écrit son livre “Mon combat pour une debout” dont les bénéfices doivent lui permettre de financer l’achat d’une nouvelle prothèse.

ce Gabriel Mairot, prêt à relever le défi. Mais voilà, cette jambe arti- ficielle coûte 56 000 euros ! La pro- thèse en question n’est pas prise en charge par la Sécurité sociale, ce que dénonce l’intéressé. Pour l’instant, il se heur- te à un mur avec d’un côté la Sécu qui n’en- tend pas ses arguments

maintenant de lancer également un appel aux dons sur Internet. Peut-être que d’ici là, la justice lui aura donné raison. T.C. “Combat pour une vie debout” Gabriel Mairot et Luc Poirot Pour l’obtenir : 03 81 81 72 40 aventurier- malgre-tout@orange.fr

et de l’autre la procédure judiciaire dans laquelle il est engagé et qui pour l’instant n’a pas abouti. “Il faut se battre en permanence. J’ai accepté ma situa- tion. De toute façon, j’ai très vite com- pris que je ne pourrais pas revenir en arrière. J’ai même le sentiment d’avoir toujours été comme cela. Je suis resté dynamique, je ne me suis pas apitoyé sur mon sort. La vie reste belle malgré tout. Ce qui est usant, ce sont les pro- cédures judiciaires. Depuis 2008, je n’ai

fait que remplir des dossiers. Heureu- sement que j’ai la chance d’être soute- nu par ma famille, car sans cesse vous vous heurtez à desmurs” raconte Gabriel Mairot. Ces murs, il tente de les contourner par ses propres moyens en cherchant des fonds. Le cas échéant, ils pourront lui permettre de financer sa nouvelle prothèse qui n’est pas un luxe ! Il a déjà réuni une partie de la somme grâ- ce à la vente de son livre. Il envisage

“Ce qui est usant, ce sont les procédures judiciaires.”

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