La Presse Bisontine 161 - Janvier 2015

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Bisontine n° 161 - Janvier 2015

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ÉCONOMIE

Dominique Roy, le président de la C.C.I. du Doubs “Nous sommes dans un climat de sinistrose dramatique”

Très régulièrement, Dominique Roy se déplace dans les entreprises pour connaître leurs préoccupations et leur apporter des solutions.

Le président de la Chambre de commerce et de l’industrie du Doubs (C.C.I.) déplore la situation dans laquelle se trouvent les entreprises qui pâtissent selon lui de l’absence d’une politique économique claire et efficace.

n’en savons pas plus. Nous sommes soutenus dans cette affaire par les par- lementaires du Doubs. Je déplore que l’État décide de prélever de telles sommes sur les C.C.I. comme si nous étions assis sur un tas d’or. D’autant que depuis 2010, nous effectuons des efforts dans le cadre de la régionali- sation qui nous a conduits par exemple à mutualiser des services. La Franche- Comté est plutôt un bon élève. L.P.B. : Comment se traduit la réduction bud- gétaire dans le fonctionnement de la C.C.I. ? D.R. : Face à cette réduction budgétai- re, on mouline dans les services pour savoir sur quelle mission nous devrons nous concentrer et quelle mission nous allons devoir abandonner. Actuelle- ment, il y a de grosses hypothèques sur notre appareil de formation. L.P.B. : Faut-il comprendre par exemple que l’I.M.E.A., l’école de commerce de la C.C.I. est menacée de fermeture ? D.R. : Elle ne disparaîtra pas, mais nous serons sans doute amenés à réduire la voilure dans les enseignements dis- pensés. Nous travaillons actuellement sur des formations très spécialisées destinées à répondre à un besoin sur des secteurs économiques de niche. L.P.B. : Qu’advient-il du projet de centre de formation des horlogers à Besançon que vous initiez ? D.R. : Il est remis en cause. Le projet consistait à former des horlogers pour le service après-vente des marques de luxe. Pour cela, il fallait investir dans des appareils techniques. Le coût du projet était d’1 million d’euros entre l’achat du matériel, les travaux et le fonctionnement. Ce n’est pas envisa- geable en l’état actuel des finances. Ce projet est reporté et doit être rebâti. Tel qu’il a été imaginé au départ, il est en stand-by . Propos recueillis par T.C.

du contexte, rien n’encourage les entre- preneurs à prendre des paris sur l’avenir et à embaucher. Beaucoup seraient prêts à le faire à condition qu’ils puis- sent aussi licencier. Sur ce point, arrê- tons d’associer licenciements et pré- carité. Pouvoir se séparer d’un collaborateur correspond aussi à du réalisme économique. Lorsqu’un ministre déclare qu’il faut écrire le code du travail en plus petit pour le rendre plus mince, c’est de l’ironie déplacée. L.P.B. : N’êtes-vous pas pris entre deux feux, puisque d’un côté vous devez faire passer les décisions politiques auprès des entreprises, et de l’autre vous devez également défendre leurs intérêts ? D.R. : Le réseau des chambres de com- merce a joué son rôle pour promouvoir auprès des entreprises le pacte de com- pétitivité. Nous aurions toutefois pré- féré que l’État privilégie les allége- ments de charges à cette usine à gaz de Crédit d’Impôt pour la Compétiti- vité et l’Emploi (C.I.C.E.). C’est trop long, trop complexe, et ça ne répond pas à l’urgence de la situation dans laquelle se trouvent les entreprises. L.P.B. : En quoi la C.C.I peut aider les entre- prises dans le contexte actuel ? D.R. : La C.C.I. aide au développement économique d’un territoire. Cela signi- fie que nous devons être encore plus présents aux côtés des entrepreneurs. Nous devons coller au maximum à la réalité du terrain pour s’inspirer des modèles qui fonctionnent afin de les promouvoir auprès des acteurs éco- nomiques par le biais, pourquoi pas, de clubs d’entreprises. Par exemple, la société Morteau Saucisse fait évoluer l’ergonomie de ses postes de travail en s’inspirant de pratiques mises en évi- dence dans le cadre du pôle véhicules du futur, alors qu’au départ il n’y a pas de point commun entre ces deux

domaines. C’est le rôle de la C.C.I. de travailler par thématique pour fai- re connaître à des entre- prises des pratiques qui sont utilisées dans des secteurs d’activité dif- férents mais qui peuvent être transposées pour les aider à progresser. L’expertise est dans l’A.D.N. de la chambre de commerce. L.P.B. : Les entreprises ont- elles bien identifié le rôle de la Chambre de commerce et

L a Presse Bisontine :Vous allez réguliè- rement à la rencontre des entrepre- neurs sur le terrain. Dans quel état est leur moral ? Dominique Roy : Il est à l’image de celui du pays tout entier : morose. Les entre- preneurs sont en proie à l’attentisme et à l’incompréhension par rapport aux décisions politiques qui sont prises actuellement. Nous sommes dans un climat de sinistrose dramatique. L.P.B. : Rassurez-nous, il y a tout de même des entreprises qui continuent de se développer ? D.R. : Oui je rencontre des entreprises qui sont en phase de développement. Mais elles restent très prudentes dans leurs investissements. L.P.B. : Les entrepreneurs ont-ils le sentiment d’être abandonnés par le pouvoir politique qui sait les trouver lorsqu’il s’agit de fiscalité ? D.R. : Ils se posent beaucoup de ques- tions par rapport au cap qui semble être désigné aujourd’hui d’un point de vue politique. On sait par avance que trop de temps sera consacré à la réfor- me territoriale. Mais quid de l’action auprès des entreprises ? L.P.B. : La réforme territoriale engagée est un exemple du décalage qui existe entre les prio- rités du gouvernement et celle des entre- prises ? D.R. : Il y a une incompréhension de la réforme territoriale qu’il faut sans dou- te mener. Mais ce que l’on ressent dans le milieu économique par rapport à ce sujet, c’est qu’en terme d’efficience, il n’y aura pas d’effet immédiat. Les entrepreneurs déplorent que cette réfor-

me soit engagée en priorité alors que les décisions de politique économique qu’ils attendent au quotidien ne sont pas prises. Pourtant, c’est bien sûr l’action économique et sociale qu’il fau- drait agir en premier. L.P.B. : En quoi la réforme de la fusion des régions les interpelle ? D.R. : Il aurait été important de com- mencer par nous dire pour quelles rai- sons il fallait faire cette réforme ter- ritoriale. On nous a dit pour commencer que c’était pour faire des économies, et maintenant on la justifie en expli-

“Des hypothèques sur notre appareil de formation.”

de l’industrie ? D.R. : Il y a actuellement une multipli- cité d’acteurs qui viennent accompa- gner les entreprises. Dans cette jungle, les patrons ne s’y retrouvent pas. Or, je le répète, c’est le rôle de la C.C.I. que d’accompagner à la fois les entreprises et le développement du territoire à tra- vers une relation de proximité. Nous sommes enmesure d’apporter des solu- tions par rapport à des problèmes iden- tifiés sur le développement interna- tional par exemple, ou sur des questions d’ordre environnemental. Les chefs d’entreprise n’ont peut-être pas le réflexe de nous solliciter quand ils ont un besoin à satisfaire ou qu’ils ren- contrent une difficulté particulière. D’un mal, il faut faire un bien. C’est dans la tourmente que nous devons nous remettre en question. L.P.B. : D’ici 2017, le gouvernement envisage de réduire de 37 % les ressources fiscales des C.C.I. et de leur prélever en plus 500 mil- lions d’euros sur leur fonds de roulement. Quelles sont les conséquences de ces mesures sur la C.C.I. du Doubs ? D.R. : Des calculs très obscurs sont en cours. À l’arrivée, la C.C.I. devrait ver- ser 7,5 millions d’euros. Mais tant que la loi de finance n’a pas été votée, nous

quant que c’est pour obtenir une taille cri- tique. Je suis d’accord, mais quelles seront les compétences, quelles seront les ressources de la future région ? Alors que nous passons de 22 à 13 régions, tout cela donne l’impression d’avoir été dessiné sur un coin de table. L.P.B. : Cette fois-ci, les petits patrons sont dans la rue pour exprimer leur ras-le-bol. Sou- tenez-vous leur action ? D.R. : Je comprends cet- te mobilisation puisque je suis moi-même entre- preneur. Nous nous demandons pour la majorité d’entre nous quand nous serons enfin entendus par le gou- vernement. Au regard

“Le C.I.C.E., c’est trop long, trop complexe.”

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