La Presse Bisontine 152 - Mars 2014

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Bisontine n° 152 - Mars 2014

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POLITIQUE

Maître de conférences en sciences politique “L’action politique est de

plus en plus standardisée”

À un mois des élections municipales, Guillaume Gourgues, universitaire bisontin spécialiste en sciences politiques, relativise le poids des clivages politiques dans les enjeux locaux. Selon lui, les élus locaux sont devenus des managers.

L a Presse Bisontine : Le clivage idéologique gauche-droite a-t-il toujours un sens à l’occasion du débat sur les municipales ? Guillaume Gourgues : Depuis les débuts de la décentralisation, la place de la politique, de l’affrontement partisan dans la gestion des politiques publiques est loin d’être évi- dente. On se rend compte que de plus en plus on a affaire à des membres d’une clas- se politique qui agissent comme des “mana- gers territoriaux”.Aujourd’hui les politiques urbaines sont animées par des mots d’ordre qui sont toujours les mêmes : attractivité du territoire, développement local, compé- titivité, ce qui conduit toujours, quelle que soit l’étiquette politique, à conduire les mêmes politiques partout : réaménagement du centre-ville, des voies sur berges, créa- tion d’un tramway, etc. Les symboles de cette uniformisation, ce sont les aménage- ments réalisés autour du tramway ou enco- re les politiques d’aide à l’implantation des entreprises. L’action politique urbaine est de plus en plus standardisée. Ce qui est paradoxal, c’est qu’on n’a jamais été autant décentralisé et que les politiques publiques se ressemblent toutes d’une ville à l’autre. On cherche beaucoup les vrais clivages poli- tiques dans les débats, on ne les trouve pas parce qu’au fond, il y a un consensus entre tous. L.P.B. : Un bon maire est désormais un bon mana- ger, c’est cela ? G.G. : Dans cette logique managériale, on a des maires qui sont à la recherche des bonnes recettes et ces bonnes recettes ne sont ni de droite ni de gauche. Gérard Col- lomb à Lyon est de gauche, Alain Juppé à Bordeaux est de droite, mais tous deux seront certainement réélus car ils ont su rendre le centre-ville à ses habitants. L.P.B. : Comment expliquez-vous ces similitudes ? G.G. : D’abord par la mondialisation de la compétition urbaine, directement liée au capitalisme. Les acteurs financiers et les grands groupes ont pénétré les villes car des secteurs entiers ont été libéralisés (l’eau, le transport public, le bâtiment, les par- kings…). Les élites politiques locales sont confrontées à de vrais problèmes dans leurs villes comme la désindustrialisation et ils doivent trouver d’autres sources de finan- cement pour leur territoire. Se dégagent alors, financées en partie par les privés, des standards de développement urbain qui se diffusent partout. Comme ces grands quartiers multi-fonctionnels avec des loge- ments, de l’activité, où les investisseurs limitent ainsi les risques. Ce poids de la compétition urbaine se ressent bien sûr jusqu’à Besançon. C’est ainsi que les élus locaux ont dû apprendre un nouveaumétier : manager, commercial, V.R.P. L.P.B. : La dépolitisation du débat s’accentue donc inexorablement ? G.G. : Il y a aussi de la part des politiques eux-mêmes une volonté de dépolitiser les questions locales qui s’explique par la mon- tée en puissance de l’intercommunalité, laquelle exige un consensus permanent. Dans ces instances intercommunales com- me la C.A.G.B., il y a une volonté d’affaiblir les clivages partisans. D’ailleurs ce consen- sus mou rend bien souvent les intercom- munalités inefficaces. L.P.B. : Un tramway à Besançon, c’est donc un pro- jet consensuel qui dépasse le clivage gauche-droi-

Guillaume Gourgues : “On assiste actuellement à un retour de l’initiative citoyenne.”

sion de l’horlogerie. Est-ce vraiment l’intérêt des villes de tenter ainsi de se concurren- cer ? L.P.B. : Quel regard portez-vous sur la notion de “démocratie participative” dont tous les candidats aux municipales se disent être les promoteurs ? G.G. : C’est un dispositif hérité des luttes

L.P.B. : L’initiative citoyenne dans les villes, c’est donc une chimère ? G.G. : On assiste actuellement à un retour de l’initiative citoyenne à travers l’Europe avec le principe de la “communauty orga- nizing” (l’organisation communautaire), un concept inventé par l’extrême gauche amé- ricaine dans les années quarante et cin- quante. L’idée est de fédérer les habitants d’un quartier pauvre autour de problèmes et de les former pour qu’ils deviennent des leaders politiques, et organiser des cam- pagnes de revendication radicale. Il y a en cemoment une énorme expérience à Londres. Le but est d’instaurer un rapport de force avec les pouvoirs publics. En France, l’exemple-type actuel, c’est Notre- Dame-des-Landes. C’est l’endroit en Franc où l’on exprime des craintes sur la métro- polisation à outrance et la compétition sau- vage entre territoires urbains. Ceux qui apportent la contradiction politique, ce ne sont plus les politiques eux-mêmes, mais ce genre de groupes sociaux. Le débat poli- tique est en train de bouger et ce, malgré la ribambelle de dispositifs de démocratie participative qu’on enfile comme des perles. Propos recueillis par J.-F.H.

te finalement ? G.G. : Où est allé se nicher le débat entre la gauche et la droite au sujet du tram ? Sur une question de tracé tout au plus (et à la fac de droite on est bien placé pour en par- ler…). Mais sur le fond de la question, non, il n’y a pas vraiment eu de débat. Un pro- jet comme le tram est parfait pour le mai- re de Besançon parce qu’il contribuera à changer l’image de la ville. Nous sommes dans des logiques de marketing urbain. Il faut voir à quel point dans les villes désor- mais la managérisation des politiques pèse. L.P.B. : Quelle est la finalité pour des villes comme Besançon de tenter de concurrencer ses voisines ? G.G. : Cette concurrence féroce entre villes, personne ne l’assume véritablement et elle peut aboutir à des catastrophes car tout le monde ne peut pas gagner dans cette com- pétition. Prenons l’exemple de Grenoble très orienté sur les nanotechnologies avec la présence du C.E.A., avec une école d’ingénieurs internationalement reconnue et un tissu d’entreprises très dense et ici à Besançon, sans vraiment en débattre, on déclare se spécialiser aussi dans les nano- technologies au prétexte de la reconver-

Bio express Bourguignon d’origine, Guillaume Gourgues, enseignant-chercheur de 32 ans est maître de conférence depuis 2012 à la fac de droit de Besançon. Il a consacré sa thèse de sciences politiques à la démocratie participative dans les régions françaises. En 2013, il a publié Les politiques de démocratie participative”. Il travaille actuellement sur le fonds d’archives du second conflit Lip.

urbaines des années soixan- te-dix. Et les maires se sont mis ensuite à appliquer les conseils de quartiers à tout va en les canalisant pro- gressivement dans des dis- positifs officiels dans lesquels bien souvent hélas il ne se passe pas grand-chose. On peut citer ici le conseil de développement du Grand Besançon dans lequel per- sonne apparemment n’a l’intention de renverser la table. Déjà que les citoyens ont parfois du mal à voir ce que fait l’interco, comprendre le rôle du conseil de déve- loppement, ça nécessite d’y passer du temps.

“Les bonnes recettes ne sont ni de droite ni de gauche.”

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