La Presse Bisontine 151 - Février 2014

A g e n d a

La Presse Bisontine n° 151 - Février 2014

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RENCONTRE - LAURENCE BOUCHET

“La démocratie est intimement liée à la philosophie” Professeur de philosophie, membre de l’association La Philosophie en pratique et auto- entrepreneuse, Laurence Bouchet

une difficulté qui oblige une personne à écouter l’autre. C’est en s’écoutant que l’on parvient à étayer un argument et des objections. Lorsqu’on accepte de rire de ses propres confusions, il y a quelque chose de porteur qui se pro- duit. L.P.B. : Ceux participent au Café Philo ont-ils la parole facile ? L.B. : L’être humain est méfiant, mais j’observe aussi que l’école a fait des dégâts en ne libérant pas suffisamment la parole. Les élèves ont peur de parler car ils ont peur de dire des bêtises. On retrouve ce genre de comportement chez l’adulte. Nous travaillons beaucoup l’oral. Le problème une fois encore est que dans notre système scolaire, les élèves ne sont pas notés à l’oral, alors que certains d’entre eux seront très per- tinents quelle que soit la matière. La maîtrise de l’oral est essentielle dans la vie pour apprendre à défendre un point de vue, pour apprendre à argu- menter, à dépasser son émotion. L.P.B. : Dans une société qui fonctionne aussi avec l’émotion, la philosophie apparaît donc comme un garde-fou… L.B. : La télé et les médias en général jouent sur l’émotion. Notre société est dans l’émotion. C’est ce qui me semble dangereux car cela nous empêche de réfléchir. Les émotions nous enferment sur nous-mêmes. Le plus difficile dans ce contexte est d’être capable de prendre le recul nécessaire. La philosophie qui apparaît malheureusement austère dans cet environnement nous y aide. Chacun a son propre système de pen- sée qui fait par exemple que l’on va s’offusquer d’un mot. Tout mon travail est d’amener mon interlocuteur à pen- ser l’impensable. Cela signifie qu’il doit être capable de mettre ses émotions de côté. L’outil de la philosophie est la rai- son. On est en mesure de raisonner lors- qu’on parvient à se détacher de nos émo- tions. L.P.B. : Vous êtes également auto-entrepre- neuse, et à ce titre vous êtes amenée à inter- venir dans les entreprises. Que peut apporter

défaire de tout l’affect que l’on met dans nos idées. Il y a quelque chose de socra- tique dans la démarche. L.P.B. : Quel est votre public ? L.B. : Il y a des retraités, des actifs, des personnes d’âges différents et de diverses catégories socio-professionnelles. Les gens qui viennent en curieux en géné- ral, je ne les revois pas. La plupart des participants sont des personnes qui souffrent d’une frustration de parole. D’autres viennent car elles ont l’impression d’être passées à côté de quelque chose en n’ayant pas reçu d’enseignement philosophique. Je ren- contre aussi des assistantes sociales qui estiment que ce travail les aide au quo- tidien. J’ai très à cœur d’accueillir dans ce Café Philo des gens qui pensent ne pas avoir de culture. Ils doivent savoir que lors de ces rencontres, tout est remis à plat. La seule obligation pour participer est de savoir parler. Le but de ces rendez- vous n’est pas de venir étaler sa scien- ce. Si certains ne reviendront jamais, d’autres participent régulièrement car ils estiment que ces rencontres leur per- mettent de mieux structurer leur pen- sée. L.P.B. : Il n’est donc pas nécessaire de dispo- ser d’un solide bagage philo- sophique pour assister ?

la philosophie dans lemanagement d’entreprise ? L.B. : La philosophie peut apporter dans les équipes une compréhension des pro- blèmes. Elle peut permettre de les iden- tifier, de les nommer. Par exemple, lorsque se pose la question de la recon- naissance au travail, qu’est-ce que cela signifie ? Grâce à la philosophie, on peut apporter des réponses à ces questions- là, et amener les collaborateurs à expri- mer leur point de vue. Elle est un outil qui se rapproche du coaching . Il arrive que dans une société, les rapports hié- rarchiques soient d’une telle dureté qu’ils sont contre-productifs. Il faut être capable d’y réintroduire le dialogue, le sens, au bénéfice de tout le monde. Les ateliers que je propose aux entreprises s’adressent aux dirigeants qui souhai- tent développer leurs compétencesmana- gériales de façon innovante, aux sala- riés au sein d’équipes de travail qui veulent mieux se connaître pour mieux coopérer. Je m’adresse aussi à des sala- riés qui dans le cadre du comité d’entreprise souhaitent développer des compétences dans la prise de parole et enrichir leur culture générale. Le but est de sortir de la confusion, des mésen- tentes, de l’irrésolution, d’apprendre à écouter, à argumenter, à prendre conscience des problèmes et à envisa- ger des hypothèses de réponses. L.P.B. : Avez-vous un exemple concret ? L.B. : J’ai eu une proposition pour inter- venir dans une entreprise agroalimen- taire sur la question de la reconnais- sance au travail. Beaucoup de salariés ne se sentent pas reconnus dans les entreprises.Mais qu’est-ce que cela veut dire être reconnu ? La reconnaissance n’est pas seulement financière contrai- rement à ce que l’on croit souvent. Cer- tains attendent juste un bonjour de la part de leur supérieur hiérarchique. Pour d’autres, être reconnu signifie pou- voir monter dans la hiérarchie. La phi- losophie nous permet d’apporter des réponses argumentées à cette question. L.P.B. : À vous écouter, on se dit que la philo- sophie devrait être enseignée différemment et à un plus large public que les élèves de termi-

Laurence Bouchet : “Mon but est véritablement de

L a Presse Bisontine :Vous enseigner la philosophie au lycée Xavier-Marmier de Pontarlier. Pour la deuxième année, vous animez un Café Philo. Qu’est ce qui vous a encouragé à sortir la philo- sophie des murs de l’école ? Laurence Bouchet : Je suis de plus en plus convaincue que la philosophie n’est pas une discipline faite pour passer le bac. Elle peut appor- ter beaucoup dans la vie, et à tout le monde. Elle est là pour donner du sens à notre existence et pas seulement pour servir de support de dissertation à des élèves de terminale. Ce sens, je le trou- ve dans l’organisation de ces Cafés Phi- lo auxquels participent une quinzaine de personnes le premier mercredi de chaque mois à Pontarlier. L.P.B. : Comment se déroule un Café Philo ? L.B. : Il ne s’agit pas d’une conférence mais d’un échange. Je propose les sujets. Nous en débattons de telle manière à faire de la philosophie en construisant un argumentaire clair. C’est toute la difficulté de l’exercice pour les membres du groupe qui sont amenés à émettre un argument sans être confus. La per- sonne doit également apprendre à se défaire de sa subjectivité qui peut l’amener à se fâcher en réaction aux propos d’un autre membre du groupe. Nous sommes dans une réflexion col- lective qui va demander à une person- ne de travailler sur elle-même pour se anime aussi des Cafés Philo à Besançon. Elle libère cette discipline des murs de l’école.

démontrer que la philosophie s’adresse à tout le monde.”

nale des filières générales… L.B. : La philosophie a été enseignée à l’élite sous la Première République. Le principe était de lui donner un bagage culturel en parcourant le travail des philosophes telle que la théorie des idées chez Platon. Désormais, la philosophie est une discipline enseignée à la mas- se. Le problème est qu’on a conservé cette forme d’enseignement élitiste qui ne correspond plus du tout au public. Les élèves de terminale pensent que la philosophie se résume à une disserta- tion au bac alors qu’il y a bien d’autres enjeux que celui-là. Résultat, on se retrouve avec des pro- fesseurs de philosophie qui arrivent à intéresser trois élèves sur une classe, ou au pire, qui font cours pour eux- mêmes. Le fossé se creuse entre les pro- fesseurs qui enseignent la philosophie, qui était une discipline reine, et les élèves. Cela n’a plus de sens. Cette dis- cipline devrait prendre une place beau- coup plus grande à l’école. Elle pour- rait être enseignée dès le primaire.Mais il faudrait l’enseigner avec d’autres méthodes. Ses principes seraient d’ailleurs utiles à l’apprentissage d’autres matières car elle permet d’apprendre à argumenter et à réfléchir. La philoso- phie est plus en vogue dans d’autres pays que dans le nôtre. L.P.B. : Tous les élèves, durant leur parcours scolaire, devraient donc être amenés à suivre un enseignement philosophique ?

“Un outil qui se rapproche du coaching.”

L.B. : Au contraire, les gens qui ont une grande cul- ture philosophique sont parfois les plus handica- pés car ils estiment être là pour nous dire tout ce qu’ils savent. Une fois encore, ce n’est pas le but de ces rencontres. Dans ces cafés, nous cherchons à émettre des arguments qui puissent être parta- gés par tous. On peut ne pas être d’accord avec une idée qui pourtant fait sens. J’invite par exemple à trouver un argument pour défendre une idée à laquelle on s’oppose. C’est

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