La Presse Bisontine 151 - Février 2014
LES POINTURES DE LA RECHERCHE
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BESANÇON Sociologie La miraculeuse recherche de Laëtitia Ogorzelec À 31 ans, la sociologue bisontine a reçu le prestigieux prix “Le Monde” pour sa thèse relative à la production sociale des miracles à Lourdes. Il en ressort des vérités jamais publiées.
L aëtitia Ogorzelec l’avoue volontiers : les mails et les courriers inondant sa boîte à lettres l’ont - parfois - dépas- sé. Ces réactions font suite à son tra- vail de doctorante sur le sujet “Le miracle et l’enquête”, original mais sensible, réali- sé dans le cadre de sa thèse primée en 2013 par le prix “Le Monde de la recherche uni- versitaire”, l’un des plus prestigieux en matière. La chercheuse a réussi à mettre le doigt sur un sujet ultra-sensible opposant deux mondes : d’un côté ceux qui croient dur com- me fer au miracle, et de l’autre, les scep- tiques. “Je ne suis pas là pour dire s’ils ont existé ou non… même si c’est un objet fasci- nant à étudier, dit Laëtitia, membre du labo- ratoire L.A.S.A.-U.F.C. (1). Mon travail de sociologue était de comprendre comment l’expertise a été mise en place par l’Église pour parler de miracle à Lourdes et pour- quoi un bureau médical a été mis en place ici et pas ailleurs.” Pour étudier son sujet, Laëtitia Ogorzelec a dû, et su, se faire accepter à Lourdes, dans
l’évêque : “On me prenait pour une journa- liste. Si j’ai réussi à me faire accepter, c’est après avoir prouvé que j’étais parvenu à mieux connaître le site que certains membres de l’Église. Ils ont compris le but de mon tra- vail” dit-elle modestement. Dans ses mains, elle touche aux dossiers des miraculés. Elle en choisit plusieurs dont celui de Jeanne Frétel, le 52 ème miracle (sur 69), l’un des plus originaux. L’Église n’a en effet mis que deux ans pour considérer la guérison de cette malade alors qu’elle a mis 11 ans pour d’autres. “Au départ, on apprend que le miracle est basé sur une “simple” cour- be de température. Ça paraît simple. Fina- lement, en étudiant le dossier, on relève que le bureau médical possède plus de 30 pièces au dossier.” Premier document utilisé par l’Église : le certificat médical de Jeanne Fré- tel, daté du 10 août 1948, quelques mois avant son arrivée à Lourdes. On y apprend que la malade souffre d’une péritonite tuber- culeuse. Elle a subi 7 interventions abdo- minales. Depuis trois ans, elle est complè- tement alitée. Son pronostic est très grave, sa maladie jugée “incurable.” La femme malade part de Rennes pour Lourdes. Un cercueil l’accompagne dans son voyage. Elle arrive à Lourdes inconsciente et participe à l’office. Le prêtre lui ouvre la bouche et lui délivre un morceau d’hostie qu’elle a bien du mal à ingérer. L’hostie dans sa bouche, elle revient “miraculeusement” à elle.Mieux, elle a très faim alors qu’elle ne se nourris- sait plus. “Ce qui est étonnant dans ce miracle, c’est qu’il se déroule devant du public et devant un prêtre. Des médecins vont l’ausculter.” Pour l’Église, le bureau médi- cal sert de garantie : il doit s’assurer de la permanence de la guérison afin d’être cré- dible. Bref, l’Église installe plusieurs filtres de contrôle en s’adjoignant les diagnostics de médecins : elle s’assure ainsi de la certitu- de rétrospective de la maladie, de la réali- té de la guérison alléguée et du caractère inexplicable ou non de cette dernière. Laë- titia démontre tout cela.
un lieu où aucun chercheur - et encore moins de jour- nalistes - n’avait pu jusque- là mettre les pieds. Ce lieu, ce sont les archives du bureau médical où l’Église a compilé toutes les décla- rations depuis 1858, date de la fameuse vision de Ber- nadette Soubirous. 7 000 déclarations y sont stockées depuis 1858, 2 000 ont été déclarées “inexplicables” par les médecins et seule- ment 69 ont été reconnues comme “miraculeuses.” Après deux longues années de tractations et de ren- contres, Laëtitia explique comment elle est parvenue à entrer dans ce lieu pré- cieusement gardé par un médecin, nommé par
Sa thèse sera publiée aux Presses universitaires de France.
Doctorante au laboratoire de sociologie de Besançon, Laëtitia Ogorzelec a été récompensée pour son travail portant sur la procédure de reconnaissan- ce des miracles à Lourdes.
Ses recherches ont - aussi - permis à la doc- torante de mettre le doigt sur un fait his- torique jusque-là jamais évoqué. Laëtitia met la main sur l’interrogatoire de Berna- dette Soubirous interrogée par la police après ses apparitions de la Vierge Marie. Cet élé- ment va - en partie - expliquer pourquoi et comment Lourdes est devenu un lieu de pèle- rinage : “On se rend compte que c’est l’autorité politique qui demande à l’Église de prendre position sur les événements. Dans les têtes, la Révolution n’est pas très loin et l’autorité s’inquiète de voir des regroupements mas- sifs d’individus qui viennent ici” explique la doctorante. L’Église freine un peu, veut que la science soit entendue avant de parler de miracle. Elle missionne alors une enquête médicale, prémices du bureau médical. Elle reconnaît le miracle. Le début d’une longue histoire… qui 156 ans plus tard attire des
millions de croyants ou malades. Pour avoir “osé” défricher ce sujet visant à expliquer la mise en place d’un contrôle social à Lourdes, la Bisontine est donc récom- pensée d’un prix national. C’est d’autant plus remarquable que cette étude a été réa- lisée sans bourse, l’obligeant à concilier études et travail. La voilà récompensée ain- si que son directeur de thèse, le sociologue Jean-Michel Bessette. Récompense ultime : sa thèse sera publiée aux Presses universi- taires de France cette année. Et cela n’a rien d’un miracle. Juste le fruit d’un minutieux travail. E.Ch.
(1) : Le Laboratoire de Sociologie et d’Anthropologie de l’université de Franche-Comté
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