La Presse Bisontine 142 - Avril 2013

23 La Presse Bisontine n° 142 - Avril 2013

SOUVENIRS Marcel Pochard “Son intention était de faire de la Région un creuset des réformes” L’homme originaire de La Longeville dans le Haut-Doubs était un jeune énarque quand il a croisé le chemin d’Edgar Faure. Marcel Pochard a terminé sa carrière comme conseiller d’État.

débrouillait tout seul. D’ailleurs les gens n’attendaient pas Edgar Fau- re sur des discours techniques,mais avant tout sur sa vision de la poli- tique et de la philosophie. Donc je lui donnais un papier d’une ou deux pages, mais c’est le moment où le discours était lemoins bon. Il impro- visait magnifiquement. Quand je l’ai eu comme patron, il avait déjà 74 ans. Il avait alors plus envie de faire passer sa philosophie, sa vision des gens et son approche des per- sonnes. L.P.B. :S’est-il bien impliqué pour les affaires régionales ?

cause régionale. Son attachement à la notion de Région comme labo- ratoire d’innovation et de création était réel. L.P.B. : Ses opposants le disaient tout de même un peu dilettante sur certains dos- siers ? M.P. : C’est vrai et faux à la fois. À cette époque par exemple, on met- tait en place les quotas laitiers en France. S’il y avait bien une per- sonne qui connaissait la régle- mentation sur le bout des doigts, c’était lui. Mais en même temps, ce n’était pas un laborieux. C’est-à- dire qu’il lui arrivait de découvrir certains dossiers en séance, des dos- siers de subventions par exemple. S’il sentait le moindre problème, il le retirait carrément. Je ne le vivais pas forcément mal. L.P.B. : Quels élus considéraient-ils en Franche-Comté ? M.P. : S’il avait un alter ego , c’était Chevènement pour qui il avait une considération très forte. Il avait plus de difficultés avec Raymond Forni qui était plus engagé politi- quement et Edgar Faure n’aimait pas les joutes politiques, il préfé- rait les joutes intellectuelles. C’était un esprit universaliste. Il faut recon-

La Presse Bisontine : Comment avez-vous connu Edgar Faure ? Marcel Pochard : Je suis sorti de l’E.N.A. dans les années soixante-dix et c’est à cette époque-là qu’il m’a sollicité pour travailler pour lui. Parmi les premiers travaux que j’ai faits pour lui, il y avait des notes sur la filiè- re comté. Puis en 1982 sont offi- ciellement nées les Régions en tant que collectivités territoriales auto- nomes. Edgar Faure cherchait un directeur général des services, il m’a demandé de venir le voir à Besan- çon. Quinze jours après, c’était fait, on a fait affaire tout de suite. J’ai travaillé à ses côtés de 1982 à 1987. C’est une belle période ma vie. L.P.B. : Quel “patron” était Edgar Faure ? M.P. : Un patron rêvé. Grosso modo , il fixait des objectifs et ensuite il faisait une confiance absolue pour la mise en œuvre, mais pas une confiance aveugle pour autant. Il fallait des résultats. Il nous lais- sait une grande autonomie, mais donnait des directives très claires. Il y avait un autre grand avanta- ge pour moi qui avais travaillé pen- dant six ans dans un cabinet minis- tériel. Chaque fois que le ministre se déplaçait, j’avais un discours à préparer. Avec Edgar, jamais. Il se

Marcel Pochard (à droite sur la photo) était le directeur général des services au Conseil régional de Franche- Comté.

naître qu’à la Région il n’a pas été servi par de grands disciples. Pier- re Chantelat était un dévot d’Edgar Faure,mais il n’avait pas son esprit. Quant à Jean-François Humbert, c’était un peu la taupinière face à l’Himalaya. L.P.B. : Sur le plan plus personnel, quel homme était-il ? M.P. : L’homme était extrêmement séduisant. Il détestait s’ennuyer. Il pouvait très bien quitter une séan- ce du Conseil régional si le sujet l’ennuyait. Sur le plan humain, Edgar Faurem’aura appris une cho- se : que dans tout homme il y a une lumière qui peut briller. Il aimait justement découvrir dans tout hom- me la lumière dont il était porteur. Le seul bémol que je peux mettre, c’est qu’il n’aimait pas l’échec.Alors quand ça n’allait pas, il n’insistait pas et changeait son fusil d’épaule. C’était peut-être unmanque de cou- rage ou de constance, c’est ce qu’on pouvait regretter. Pour le reste, on a passé des moments tellement agréables à ses côtés. Notamment dans le Haut-

Doubs à l’occasion des comices. Il fallait voir le bonheur qui était le sien quand les gens lui tapaient sur l’épaule avec respect, ils buvaient réellement ses paroles. Les gens du Haut-Doubs avaient un peu l’impression d’avoir en face d’eux un prophète. L.P.B. : Que reste-t-il d’Edgar Faure 25 ans après sa disparition ? M.P. : Ce qu’il peut rester, c’est une forme de liberté, une philosophie de l’action par l’expérimentation ainsi qu’une générosité dans l’action. Pour lui, il n’y avait pas d’expérimentation inutile ou d’ a priori . L.P.B. : Il a des héritiers sur le plan natio- nal ? M.P. : Pas vraiment. Peut-être quel- qu’un comme Jean-Louis Borloo. Ce sont des gens qui détestent les affrontements de camps et qui sont intéressés par les résultats plus que par des proclamations. C’est peut-être ce qui fait aussi leur fai- blesse. Propos recueillis par J.-F.H.

M.P. : Sincèrement il adorait la Région et était très intéressé par la représentati- vité des Régions. Son intention était de fai- re de la Région un creuset des réformes et il était très attiré par le réseau des régions d’Europe qu’il avait beaucoup promu. Ce qui peut rester de lui à la Région, c’est l’image d’un grand homme d’État dévoué à la

“Les gens avaient l’impression d’avoir en face d’eux un prophète.”

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