La Presse Bisontine 138 - Décembre 2012

LE GRAND BESANÇON

La Presse Bisontine n° 138 - Décembre 2012

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NOVILLARS

Économie

Fermées depuis juin, les papeteries du Doubs à Novillars sont à l’arrêt en attendant une potentielle reprise par un investisseur libanais qui attend le soutien des banques. Chez les anciens salariés, les langues se délient. L’hiver pourrait être fatal. Sentiment de gâchis à la papeterie

U n pincement au cœur, pour ne pas dire un choc. Lorsque Jacky Jeannin a franchi les barrières fermées de la papeterie de Novil- lars, le salarié licencié comme 75 autres personnes ne s’at- tendait pas à voir la mauvaise herbe grimper si vite jusqu’au pied des ateliers. Il n’avait plus remis les pieds ici depuis le 15 juin, date de la fermeture : “Cela me fait mal de voir ça… En quelques mois, on dirait déjà une friche” témoigne l’employé des Papeteries du Doubs affi- chant 42 années d’ancienneté, équivalent de la grande médaille d’or du travail. Embauché à l’âge de 17 ans à la maintenance des machines, il a accepté de nous conduire à l’entrée du site fer- mé mais surveillé jour et nuit par des gardiens pour éviter les vols. Depuis la fermeture, rien n’a bougé : les stocks de mar- chandises sont disposés au bout du parc comme si l’activité allait redémarrer. Certains y croient encore d’autant qu’un repreneur s’est manifesté. Il s’agit de Fadi Gemayel, entrepreneur dans le domaine de la papeterie au Liban qui attend toujours l’aide des banques (lire par ailleurs). Avant d’être un choc, cette fermeture prononcée par le tribunal de commerce de Besançon fut un coup dur pour les salariés, tous

conscients que la machine capotait depuis l’arrivée du Belge Soenen Golfkarton, “venu ici pour faire du profit… sans pen- ser au personnel” dit une personne. Le groupe Otor avait cédé en 2009 la plus ancienne

a accouché durant l’été a dû payer le surplus non rembour- sé par la Sécurité sociale. Idem pour un autre obligé de se fai- re opérer. Le coup est rude mais devait être réglé nous a annon- cés le liquidateur judiciaire. Dans l’adversité, une partie du per- sonnel croit toujours à la repri- se de la machine 6. Certains viennent régulièrement entre- tenir le matériel à l’instar d’An- thony ou de Mickaël qui le font bénévolement. “Si la production ne repart pas durant l’hiver, les machines risquent d’être endom- magées en raison du gel. On ne peut rien vidanger” pense Jac-

ky le mécanicien. Pour Novil- lars, le coup est rude. “Si les salariés venaient peu consom- mer, j’avais tout de même des commerciaux ou des extérieurs qui déjeunaient ici” témoigne la gérante du bar-restaurant le Tiki, situé en face de l’usine. Si la fumée sortant du conduit de cheminée a disparu, les odeurs d’œuf pourri avec, personne ici ne semble satisfait de ce sort. Plus que l’odeur, c’est bien une pollution visuelle et écologique qui arriverait en cas de non- reprise du site. La fin du mois de novembre sera cruciale. E.Ch.

Même plus de couverture santé.

papeterie du Doubs (âgée de 130 ans) au groupe Belge. Ce der- nier a tout laissé en plan. Aujour- d’hui, les employés sont dans le flou : “On ne sait rien, c’est sans doute cela le plus dur” témoigne Jacky, le plus ancien de la mai- son, inquiet pour le devenir des jeunes et notamment ses deux fils qui travaillent ici. L’un d’entre eux a heureusement retrouvé un job. Pour les autres qui espè- rent une reprise annoncée puis reportée, l’attente est intermi- nable… d’autant qu’une mau- vaise surprise est venue s’ajou- ter au malheur : “Nous avons appris dernièrement que nous n’étions plus couverts par notre mutuelle santé alors que nous avions fait des chèques de pro- visions pour en profiter durant neuf mois…” Une employée qui

Jacky Jean- nin, le plus ancien des 75 salariés des Papete- ries du Doubs, per- plexe à l’idée de voir “son” usine vide.

TÉMOIGNAGE Mémoire vivante “Du papier cristal” Témoignage d’un ancien salarié âgé de 82 ans. Jusqu’à 350 employés ont travaillé ici, dont de nombreuses femmes qui y ont fabriqué des papiers de qualité.

“O n y rentrait facile- ment à la papeterie” se souvient Michel Jeannin, 82 ans. Habitant de Vaire-Arcier, il est rentré à lʼusi- ne en 1953 et retrouvé son père et sa mère qui œuvraient là. Lui sera mécanicien, char- gé de réparer les six machines en cas de panne : “Du travail, il nʼen manquait pas ! Les machines qui dataient des années trente tombaient sou- vent en panne mais le papier était de qualité. Dans les années soixante, on faisait un papier que lʼon nommait cris- tal. Il était transparent. Puis, il y a eu la confection de papier alimentaire” dit-il. Le papier pour cartons arrivera plus tard.

Longtemps, les papeteries ont travaillé avec du bois résineux avant dʼutiliser du feuillu, “moins cher et de moins bonne quali- té” confirme le spécialiste. Lʼusi- ne travaillait tous les jours, sauf le dimanche. Les machines dataient effectivement des années trente mais avaient subi des améliorations. Et contrairement aux dernières décennies où lʼusine sʼétait dotée dʼun laboratoire pour évi- ter la pollution dans le Doubs, lʼeau utilisée chargée en pol- luants rejoignait directement le Doubs. Une page sʼest tournée pour les papeteries. En espérant que le livre ne soit pas défini- tivement fermé.

AVENIR

Le projet de biomasse dépend de la reprise Le temps presse à Novillars

nir qui s’inscrit en pointillés pour la pape- terie, c’est bien le projet de biomasse qui pourrait capoter, financé par l’État. La Caisse des dépôts (1) aurait apporté ses garanties pour la création de la centrale biomasse sélectionnée comme 14 sites en France en 2011 par le ministère de l’Éco- logie et celui de l’Industrie alors dirigés par Nathalie Kosciusko-Morizet et Éric Besson. Ce projet serait porteur de déve- loppement et d’emplois locaux en fournis- sant de la chaleur et de l’électricité utili- sables localement et en contribuant à créer des débouchés locaux pour la filière bois, importante en Franche-Comté. L’examen des projets a été réalisé suivant des critères fixés dans le cahier des charges : prix de vente de l’électricité, efficacité éner- gétique, approvisionnement en biomasse, localisation de l’installation. Une atten- tion a été portée à la qualité de l’approvi- sionnement et au respect des normes sur la pollution atmosphérique. La biomasse (hors biocarburants) repré- sente plus du tiers du potentiel de déve- loppement des énergies renouvelables en France à l’horizon 2020. Elle serait une chance pour Novillars et le Grand Besan- çon. Encore faut-il que l’activité redémar- re. Ce serait le plus beau des cadeaux de Noël…

Le repreneur libanais serait prêt à investir 2,5 millions d’euros de ses deniers personnels pour relancer le site mais l’appui des banques tarde à venir. Il manquerait “seulement” 2,8 millions pour racheter le siet. Un paradoxe d’autant que le projet de centrale biomasse pourrait créer 200 emplois.

P eu d’éléments filtrent sur la repri- se du site par un repreneur d’ori- gine libanaise, propriétaire d’une papeterie dans son pays. Fady Gemayel investirait 2,5 millions d’euros de sa fortune en Franche-Comté pour relan- cer la production dans une usine non-délo- calisable. Pour remettre l’usine sur de bons rails, il s’est adjoint les services d’un ancien dirigeant de la société, en la personne de Gérard Lasserre, directeur durant 22 ans du site, devenu consultant. Ce dernier pré- fère rester discret quant à l’avenir : “La phase est critique : nous saurons courant décembre si nous repartons ou non après la réponse des banques.” En imaginant que six banques régionales aident à la reprise, le risque serait limité : “Leur risque serait de 200 000 euros !” éva- lue Gérard Lasserre, perplexe face à cette difficulté de trouver les financements ban- caires alors que les collectivités (État et

Région) apportent leur aide, en avance rem- boursable ou en investissement. D’après des employés, des réunions ont eu lieu pour évoquer le projet de reprise d’ac- tivité. Il a été question du sort des sala- riés licenciés. En cas de reprise, combien seraient repris ? Quels postes en priorité ? Les futurs repreneurs préfèrent ne pas répondre. La papeterie qui confectionnait du papier pour les cartons pouvait produire jusqu’à 200 tonnes par jour posséderait l’équiva- lent de 300 000 euros en stock et mar- chandises. 760 000 euros ont été versés aux salariés au titre des indemnités. La reprise pourrait être rapide à condition qu’elle puisse se faire avant l’hiver, pério- de de gel. Le liquidateur judiciaire n’a pas fixé de date limite à cet éventuel repreneur, lui laissant une latitude nécessaire pour trou- ver une issue favorable. Au-delà de l’ave-

Michel Jeannin fut mécanicien sur les 6 machines. Il se remémore les “belles” années.

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