La Presse Bisontine 138 - Décembre 2012

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La Presse Bisontine n° 138 - Décembre 2012

EXPLICATION René Dosière “La France est au bord du gouffre,

L.P.B. : Dans votre livre, vous prétendez qu’il est possible de faire une économie de 15 mil- liards d’euros sur le “bloc communal” (com- mune, communauté de communes, intercom- munalité). Expliquez-nous ? R.D. : Le “bloc communal”, c’est 143 mil- liards d’euros de dépenses qui aug- mentent plus vite que le P.I.B. notam- ment en matière d’investissement et de personnel. Quand on regarde de plus près, on s’aperçoit qu’il n’y a aucune régulation.Tout passe à la dépense fau- te d’avoir un pilote. Par exemple, entre 1998 et 2008, les effectifs de l’intercommunalité ont augmenté de 111 069 postes,soit + 221%.Mais durant la même période, le personnel des com- munes n’a pas diminué pour autant. Il a même augmenté de 127 759 postes en France, soit + 13 %. Comme l’État n’a transféré aucune compétence nou- velle au “bloc communal”, ce sont bien des dépenses locales de personnel qui ont augmenté de 13 milliards d’euros. Dans cette même période, la dépense en investissement passe de 16 à 28mil- liards d’euros, soit + 75 %. Pourtant, il y a quatorze ans, la France n’était pas dépourvue d’équipements publics. On voit bien que chaque échelon dans le “bloc communal” fonctionne de maniè- re autonome. Résultat : toujours plus de dépenses ! Il y a des doublons qu’il faut éviter. On pourrait économiser ain- si sur le “bloc communal” 15 milliards d’euros. L.P.B. :Cela signifie-t-il que l’intercommunalité doit concentrer les pouvoirs, les budgets, les compétences et que les communes ne gèrent plus que le quotidien ? R.D. : Je note tout d’abord que là où il y a le plus de dépenses, c’est dans les intercommunalités. Or, les électeurs ne décident de rien dans les intercommu- nalités. On ne leur demande pas leur avis comme on le fait lors des élections municipales. Si les communes ont pris conscience de l’importance de se regrou- per en interco, elles ne sont pas allées jusqu’au bout de la démarche en orga- nisant le système demanière à le rendre plus performant. En effet, à mon sens, une commune pourrait gérer l’administration quotidienne. Le finan- cement de tous les projets serait pilo- té à l’échelon intercommunal. Les com- munes perdraient en effet un peu de leur autonomie, c’est pour cette raison que beaucoup de maires sont réticents vis-à-vis d’une telle réforme. Or, si on substituait aux 36 000 communes les 3 500 interco, on gagnerait en efficaci- té. L.P.B. : Les maires et les présidents de com- munautés de communes qui investissent dans des équipements publics ont le sentiment de soutenir le développement économique. Leur démarche n’est-elle pas louable ? R.D. : Nous sommes dans une période où il faut réduire et améliorer la dépen- se publique. La compétitivité concerne aussi l’argent public ! Il faut peut-être raisonner différemment auniveaumuni- cipal. J’ai été maire. Si je l’étais aujour- d’hui, j’expliquerais à mes concitoyens que nous devons prendre le temps avant de se lancer dans les projets. Nous ne pouvons plus continuer à dépenser plus. Les maires doivent être capables de dire que l’investissement dans tel ou tel équipement peut attendre. L.P.B. : Le renforcement de l’intercommunalité se ferait-il au détriment des Conseils généraux qui pourraient disparaître ? R.D. : Quand on fait des réformes, on ne peut pas avoir des adversaires partout. Je dis, faisons d’abord la réforme du “bloc communal” qui aura évidemment des conséquences sur les Départements qui n’auraient plus les mêmes missions qu’aujourd’hui. C’est pour cette raison que les présidents des départements sont hostiles à ce que je préconise. Propos recueillis par T.C.

il faut éviter d’y tomber”

Spécialiste de la gestion des finances publiques, le député de l’Aisne appelle l’État a se mettre au régime en limitant la dépense publique. Commentaire.

L a Presse Bisontine : Vous dites dans les premières pages de votre livre que Jean- MarcAyrault compte sur vos travaux pour accompagner les réformes. Mais êtes-vous véritablement suivi dans vos propositions qui visent à mettre l’État au régime ? René Dosière : Dans le train de vie de l’État, je me suis intéressé à tout ce qui a trait à la fonction exécutive (dépla- cements, réceptions…). De ce point de vue, l’exécutif a suivi mes recomman- dations. Les premières mesures annon- cées par le gouvernement, telle que la création d’un code de déontologie sont directement inspirées de mes travaux. Je remarque que le budget 2013 de l’Élysée montre des efforts de réduc- tion des coûts. Les dépenses vont recu- ler de 10,12millions d’euros (N.D.L.R. : l’Élysée devrait dépenser 105,433 mil- lions d’euros en 2013 contre 115,658mil- lions d’euros en 2011). Cela est positif.

lions d’euros sur l’Élysée,c’est une goutte d’eau dans l’océan de la dette de la France ? R.D. : Il est clair qu’avec ces éléments, on ne fera que de faibles économies. Nous ne sauverons pas la France avec cela. Je précise que contrairement à ce que pensent souvent mes concitoyens, le train de vie des responsables publics pèse peu dans les dépenses. Mais c’est exemplaire. Si on ne fait pas ce genre d’économies symboliques, nous ne pour- rons pas en faire d’autres, plus impor- tantes, car les Français n’accepteront pas que tout le monde ne fasse pas d’efforts. Donc finalement, d’une cer- tainemanière, cette démarche peut per- mettre de sauver la France en amenant nos concitoyens à accepter les réformes qui doivent aboutir à une réduction des déficits abyssaux. L.P.B. : La dette publique de la France avoisine les 1 789 milliards d’euros. Vous écrivez que “si la France parvient à payer les intérêts de

Le député socialiste René Dosière publie aux éditions du Seuil “L’État au régime, gaspiller moins pour dépenser mieux”.

l’impôt,mais à un coût moindre. Ensui- te, il y a deux ans, la Cour des comptes a démontré que si on regroupait la pri- me à l’emploi et le R.S.A., on serait beau- coup plus performant. Chacun de ces deux dispositifs coûte 5milliards d’euros ! L.P.B. : Si l’État a des solutions, pourquoi ne les applique-t-il pas ? R.D. : On ne le fait pas car ce sont des réformes de structure qui demandent à être étudiées de façon attentive et sui- vie. L’autre difficulté est qu’à chaque fois que des réformes de structure sont entreprises, ou que l’on parle de réduc- tion de la dépense publique, les élec- teurs de gauche traduisent cela par une réduction du service public. Ce n’est pas le cas. L.P.B. : Êtes-vous optimiste sur la capacité de La France à se réformer ? R.D. : Par définition, un responsable poli- tique est optimiste. Quand on est dans l’action publique, on agit pour amélio- rer la situation. Oui, c’est possible d’entreprendre des réformes. Mais il faut savoir les expliquer. En cela, àmon sens, la méthode du gouvernement est la bonne. L.P.B. : Quel est le degré d’urgence ? R.D. : L’urgence est réelle car nos défi- cits sont considérables. Les réformes de structure prennent du temps. Nous verrons les effets dans deux ans des décisions qui sont prises actuellement. Si on ne fait pas ce travail d’amélioration de la dépense publique pendant qu’il est encore temps, nous serons amenés à le faire dans les pires conditions.Nous sommes au bord du gouffre, il faut évi- ter d’y tomber. La France a encore la main sur son destin,mais nous sommes dans les dernières années. L.P.B. :Vos travaux dérangent un certain nombre de vos confrères qui vous taxent notamment de jeter le discrédit sur la fonction parlemen- taire qui serait trop dépensière. Que leur répon- dez-vous ? R.D. : Il y a ceux qui ont lu mon livre et ceux qui ne l’ont pas lu. S’ils le lisaient, ils comprendraient qu’il n’y a aucune démagogie de ma part, ni populisme. En tout cas, je ne stigmatise ni les élus, ni telle ou telle collectivité locale. Ma préoccupation est de changer les choses, d’amener l’État à gaspiller moins pour dépenser mieux. Il faut que tout lemon- de s’en persuade.

sa dette,c’est en empruntant les sommes néces- saires pour le faire.” Comment sortir de ce cycle infernal ? R.D. : Cela signifie qu’il faut faire preu- ve d’imagination pour réduire la dépen- se publique sans remettre en cause le service public. Prenons l’exemple de l’impôt sur le revenu qui n’est pas pré- levé à la source. Si nous faisions cette réforme, l’État prélèverait toujours

L.P.B. :Positif,oui,mais une économie de 10mil-

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