La Presse Bisontine 135 - Septembre 2012
ÉCONOMIE
La Presse Bisontine n° 135 - Septembre 2012
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HORLOGERIE La guerre des pourcentages Le Swiss made à l’heure des grandes complications Destiné à lutter contre les abus, le renforcement du Swiss made est en cours. Ce dossier parfois aux limites du protectionnisme suscite pas mal de réactions notamment chez les fournisseurs européens. Mais qui pourraient en tirer profit.
“Le renforcement du Swiss made devrait aussi conforter l’activité des fabricants européens de composants”, analyse Jean- Daniel Pasche.
L es origines du Swiss made remontent à la fin des années cin- quante avec l’internationalisation du marché horloger. “Cette ouverture marquait aussi les premiers usages abusifs du nom Suisse sur les montres, d’où le besoin de définir un label”, résume Jean-Daniel Pasche qui préside la fédéra- tion horlogère suisse.
Forte de 500 membres dont les grands groupes horlogers, cette association faî- tière a fait de ses priorités la lutte anti-contrefaçon et la protection du Swiss made. La définition tou- jours en vigueur du fameux label s’appuie sur
au Swiss made : l’emboîtage et le contrôle final qui doivent être réalisés obligatoirement en Suis- se. Ces dispositions n’empêchent pas la multiplication des abus, notamment en Chine et aux États-Unis. Un procès en chas- se un autre à la fédération hor- logère suisse. Aussi la fédération horlogère suisse a-t-elle décidé en accord avec les poids lourds horlogers que sont Rolex, les groupes Swat- ch et Richemont de procéder à un nouveau renforcement du Swiss made. Cette ambition s’inscrit désormais dans le pro- jet Swissness porté par le Conseil fédéral et qui vise à renforcer la protection de la désignation “Suisse”. Pour ce faire, le conseil national a approuvé au prin- temps le taux minimal de 60 % de valeur suisse pour les pro- duits industriels dont les montres. Le Swissness sert de base pour toute l’économie suis- se et chaque branche pourra ensuite affiner. Le taux passe- rait donc à 60 % pour les mou- vements électroniques et méca- niques. “Ce nouveau taux prend désormais en compte les coûts de recherche et développement qui correspondent à peu près aux 10 % supplémentaires. On assure ainsi le statu quo avec les accords horlogers qui por- tent uniquement sur les mou- vements. Les fabricants euro- péens de composants ne sont donc pas touchés.” La fédéra- tion horlogère a renoncé à l’idée de porter à 80 % ce taux sur les mouvements mécaniques car cette mesure s’avérait euro- incompatible. Elle projette tou- jours de faire évoluer les règles sur la montre terminée, ce qui inclut le cadran et les boîtes. Les taux sur le produit fini pas- seraient donc à 60 % pour les montres électroniques et à 80 % pour les montres mécaniques. De telles évolutions supposent des délais d’adaptation variables chez les horlogers suisses. Les marques les plus prestigieuses répondent déjà pour tout ou par- tie au renforcement du Swiss made. Le dossier est aujour- d’hui au stade du conseil d’État. Le principe du renforcement pourrait être validé en 2013 avec une phase d’adaptation étalée sur cinq ans. Jean-Daniel Pasche est conscient des inquié- tudes que suscite ce renforce- ment de l’autre côté de la fron- tière. “Nos collègues européens sont soucieux de ces nouvelles règles. On est dans l’obligation de renforcer le Swiss made notamment sur le mouvement terminé. Les principaux com- posants concernés sont donc les cadrans et les boîtes, soit des produits qu’on importait très peu de France. Sur le commer- ce réel, ce renforcement tou- cherait davantage un pays com- me l’Italie.” F.C.
Le statu quo avec les accords horlogers.
l’ordonnance fédérale de 1971, laquelle fait partie des accords horlogers passés avec l’Europe en 1967 et 1972. La protection portait au départ uniquement sur le mouvement qui devait et doit toujours être de fabrication suisse pour au moins 50 % de la valeur de toutes les pièces constitutives sans prendre en compte le coût d’assemblage. “La C.E.E. voyait ça d’un mau- vais œil et réclamait qu’on puis- se intégrer davantage de com- posants européens dans le mouvement. Cette requête a abouti à l’accord de 1972 entre la Suisse et la C.E.E. qui prend donc en compte le coût de l’assemblage dans les 50%”, pré- cise Jean-Daniel Pasche en recon- naissant lui-même le côté alam- biqué de ce compromis. Si la marque reste bien sûr le premier signe de qualité, le Swiss made conforte cette garantie de provenance. L’ordonnance de 1971 a fait l’objet d’une révision en 1992 avec l’intégration de deux critères supplémentaires
FORMATION Une crise des vocations Pénurie d’ingénieurs en Suisse
de la Suisse observé entre 1993 et 2003 n’arrange rien. “Si l’on peut en comp- te tous ces paramètres, le déficit bon- dirait à 27 000 ingénieurs en 2025.” On touche le fond si l’on s’intéresse au pourcentage de femmes en ingé- nierie. Avec 9,5 %, c’est presque le bonnet d’âne européen. Face à cette crise de vocation, les industriels n’ont pas d’autre choix que de se tourner vers l’extérieur. La Suisse recrute de plus en plus de cadres formés à l’étranger. On en compte plus de 30 000 qui exercent dans les métiers de la santé, de l’industrie et de l’enseignement.“Nous allons “pomper” les ressources pro- fessionnelles de pays qui en auraient peut-être cruellement besoin. Cela pose un problème éthique.” Conscientes du dilemme, les autorités fédérales en fait de la promotion des métiers de l’ingénierie une de leurs priori- tés. F.C.
Les entreprises et les instituts de recherche sont confrontés à une inquiétante pénurie de main-d’œuvre dans les métiers techniques et de l’ingénierie. La mauvaise réputation.
P lus on est riche moins on aime mettre les mains dans le cam- bouis. À force de surfer dans le gotha des pays des pays les plus hup- pés de la planète, la Suisse finit par s’éloigner petit à petit de son outil de production. Un paradoxe dans ce pays qui dispose peut-être des meilleures filières de formation, notamment en microtechniques. Les écoles poly- techniques fédérales croulent sous les demandes d’étudiants étrangers. “Entre 1980 et 2000, le taux d’ingénieurs actifs dans l’industrie a chuté de 50 % à 26 %”, constate Jacques-André Maire, conseiller natio- nal et membre de la commission de la science, de l’éducation et de la cul- ture. Les jeunes Suisses ne boudent pas forcément les formations supérieures. Sauf qu’ils s’orientent davantage vers les domaines de service. Certains aus- si préfèrent carrément changer de métier. Les branches scientifiques souffrent toujours d’un problème d’image dévalorisante. Cette pénurie qui se dessine n’est pas sans consé- quence avec le risque de délocalisa- tion des entreprises et de désindus- trialisation de l’appareil économique suisse. Jusque dans les années 2000, la Suis- se se situait encore dans le peloton
Suisse arrive aujourd’hui en queue de peloton si l’on se réfère au nombre de nouveaux ingénieurs et informa- ticiens diplômés pour 1 000 tra- vailleurs. “Nous ne formons pas assez d’ingénieurs. On est déjà en pénurie avec un déséquilibre de l’offre par rapport aux besoins. Selon les esti- mations des spécialistes, il manque- rait 16 000 ingénieurs et informati- ciens en Suisse”, s’inquiète Jacques-André Maire. Et le fossé risque encore de s’agrandir. 22 % des ingénieurs actifs en Suisse ont plus de 55 ans. Ce qui pose la question du renouvellement de cette population. Le déclin démographique
“Les branches
scientifiques souffrent tou- jours d’un problème d’image dégradée”, explique Jacques- André Maire.
de tête européen des pays les mieux pour- vus en ingénieurs. Le taux d’ingénieurs par rapport à l’ensemble des employés avoisinait 2,66 % en 2001 alors qu’il se situait à 2,94 % en France et 3,12 % en Alle- magne, leader en la matière. Depuis, la situation n’a cessé de se dégrader. La
Il manquerait 16 000 ingénieurs et informaticiens.
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