La Presse Bisontine 134 - Juillet-Août 2012

DOSSIER SSIE

La Presse Bisontine n° 134 - Juillet-août 2012

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HISTOIRE Des litiges à répétition Chailluz,

définitivement bisontine Longtemps dans l’histoire la propriété de la forêt de Chailluz aura été contestée. Jusqu’en 1721 où les différends sont définitivement réglés en faveur de la ville. L’histoire de Chailluz rappelé dans un document compilé par l’historien bisontin Joseph Pinard.

L es premiers écrits officiels faisant men- tion de la forêt de Chailluz datent de l’année 1442. Et déjà ils faisaient état des litiges qui opposaient la commune de Besançon, ville impériale à l’époque, et le Comté de Bourgogne, qui se disputaient la propriété de cet espace boisé. La frontière entre la ville et le Comté passait justement sur la crê- te séparant les vallées du Doubs et de l’Ognon et donc, en pleinmilieu de la forêt.À cette époque, il faut bien prendre conscience que le bois était le seul combustible utilisable. En 1442, ce docu- ment est donc un premier accord de délimita- tion. “Par cet accord de délimitation, Besançon disposait d’une entière liberté d’action en forêt, pouvait y percevoir des amendes, amodier le droit de parcours et de glandée” rappelle Joseph Pinard dans un document de synthèse qu’il a consacré à la forêt de Chailluz. Après l’annexion de la Franche-Comté à la Fran- ce par le traité de Nimègue (1678), le roi Louis XIV se déclare tout bonnement héritier du domaine des Comtes de Bourgogne, en particulier des forêts, qui deviennent royales. Et en 1701, des commissaires du roi vérifient les titres de pro- priété et remettent en cause les droits de la vil- le de Besançon sur la forêt de Chailluz. Nouveau rebondissement en 1705 quand la chambre des

eaux et forêts du Parlement tranche : elle confir- me la propriété de la ville dans les limites fixées en 1442, “toute la partie faisant face devers Besan- çon” , ne laissant au roi que “le versant qui regar- de Châtillon-le-Duc.” Alors le magistrat (ancêtre du maire) exulte et “vingt-quatre pains de sucre (des cadeaux d’exceptionnelle valeur car à l’époque le sucre

était un produit de grand luxe) sont envoyés à chacun des prési- dents de chambre du Parlement et au conseiller rapporteur, douze à chaque conseiller, une pièce de vais- selle de prix est donnée à Claude- François D’Orival, conseiller de la ville en cette affaire, tandis que son épouse reçoit en cadeau dou- ze pains de sucre” rappelle Jose- ph Pinard en se basant sur les tra- vaux de l’historien François Vion-Delphin de l’Université de Franche-Comté, consacrés à la ges- tion du bois par la ville à travers les siècles. Mais l’administration royale ne se tient pas pour bat- tue : elle fait appel et le conten- tieux dure jusqu’en 1721, date à laquelle le problème est définiti-

Ce plan de la forêt de Chailluz date de 1738. C’est le premier plan ou apparaît le partage en parcelles : trenteparcelles et un quart en réserve.

Des pains de sucre comme monnaie d’échange.

vement tranché en faveur de la ville de Besan- çon. Depuis près de trois siècles donc, la ville de Besançon jouit en pleine propriété de la totali- té des hectares de Chailluz. Pour Besançon, disposer de cette forêt devenait un enjeu majeur de son développement. “D’abord parce que la ville grandissait, passant de 14 209 habitants en 1688 à 32 180 en 1791.” Et le bois a vu ses fonctions se multiplier : il servait aus- si pour la construction, et les petits bois ser- vaient d’échalas pour les vignes si nombreuses à l’époque. Joseph Pinard fait là une petite paren- thèse instructive : “Les prix pratiqués variaient selon l’aisance des vignerons : pour une douzai- ne de paquets de perches, le tarif municipal était de 26 livres pour les vignerons riches, de 15 livres pour les “vignerons médiocres”, tandis qu’une livraison gratuite était prévue pour les pauvres. La politique sociale à Besançon a des racines anciennes” note Joseph Pinard. La forêt de Chailluz a continué depuis à susci- ter les convoitises : en 1740 par exemple où l’hiver particulièrement rigoureux a poussé les pauvres

gens à aller couper des arbres à Chailluz pour se chauffer, ce qui a valu quelques émeutes. Puis l’essor de la ville qui multiplie les immenses bâti- ments de garnison augmente encore les besoins en ressource forestière. Alors on fait venir du bois de plus loin, par flottage sur le Doubs. Les Bisontins se sont alors mis à chercher des alter- natives au bois. “En 1733, un arrêt du Conseil accordait un privilège d’exploitation de trente ans au nommé Rochejean qui se proposait d’exploiter les tourbières du marais de Saône.” Pendant ce temps-là l’exploitation du bois conti- nuait de plus belle. L’exploitation du bois marqua la ville de Besan- çon jusqu’à la moitié du XIX ème siècle, quand l’arrivée du chemin de fer permit l’arrivée d’un nouveau combustible : le charbon. L’exploitation de la ressource forestière de Chailluz ne s’arrêta pas pour autant. Aujourd’hui enco- re, plus de 5 000 mètres-cubes de bois d’œuvre sont exploités chaque année au bénéfice de la ville de Besançon. L’histoire continue. J.-F.H.

Chercheuse en archéologie, Catherine Fruchart prépare une thèse sur “Les paysages de la forêt de Chailluz de la Préhistoire à nos jours”. Une étude déjà bourrée d’enseignements. Une thèse au printemps 2013 “La forêt de Chailluz n’a pas encore livré tous ses secrets” INTERVIEW

L a Presse Bisontine : Comment avez-vous “appréhendé” cette forêt ? Catherine Fruchart : Cette thèse financée par le ser- vice espaces verts de la Ville de Besançon s’appuie sur un pro- cédé très innovant, le “lidar” (une sorte de scanner-laser embarqué dans un avion) qui a permis de relever l’intégralité du sol et de la végétation de Chailluz. Ce relevé financé par la Région a été fait en 2009 en partenariat avec l’O.N.F., il sert de base de travail à cette étude menée en partenariat avec le service régional d’archéologie. Mon objectif est de travailler sur tous les vestiges de cette forêt. Ma thèse sera présentée au printemps prochain. L.P.B. : De quand datent a priori les premières occupations de cette forêt ? C.F. : De la période romaine, sous forme de petites fermes avec un paysage agricole qui s’étendait sur environ un quart de la sur- face de la forêt actuelle. Ce pre- mier résultat est totalement inédit, nous l’ignorions jus-

bon minier. Du point de vue de l’analyse paléo-économique, ces structures sont très intéres- santes. L.P.B. : Peut-on trouver des restes de nécropoles à Chailluz ? C.F. : Quand ils avaient tracé au XIX ème siècle le chemin d’accès au fort de la Dame Blanche, les ouvriers avaient trouvé des tombes de l’époque burgonde datant des V ème et VI ème siècles dont les objets sont exposés au musée de Besançon. Mais notre procédé d’investigation par “lidar” présente tout de même une limite, c’est qu’il n’explore que la surface. La forêt de Chailluz n’a certainement pas encore livré tous ses secrets mais pour les connaître tous, il fau- drait entreprendre de vraies fouilles. Il y en aurait encore pour un bon moment. Évidem- ment, si le financement est là, l’idée est d’approfondir ces recherches. Et tout cela peut amener, pourquoi pas, à déve- lopper une nouvelle orientation touristique à cette forêt. Propos recueillis par J.-F.H.

qu’alors. Mes recherches m’ont amenée également à m’intéresser aux pratiques fores- tières anciennes, liées essen- tiellement à l’exploitation des ressources naturelles comme la pierre. Dans la forêt, nous avons également trouvé trace de car- rières de “laves”, ces pierres plates qui servaient à la cou- verture des habitations. Il y aus- si de nombreux fours à chaux qui correspondent à la période Renaissance, et énormément de plateformes de charbonniers : des structures planes et circu- laires de 8 m environ où les exploitants réduisaient le bois en charbon servant à alimen- ter les forges. Ces plateformes

sont en cours de datation mais on en a trouvé une grande quantité qui datent entre le XVII ème et le milieu du XIX ème siècle, l’époque où le charbon de bois a été rem- placé par la houille, le char-

Il faudrait entreprendre

de vraies fouilles.”

Catherine Fruchart prend des notes sur une ancienne plateforme de charbonnier (photo Daniel Daval, A.R.E.S.A.C.).

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