La Presse Bisontine 134 - Juillet-Août 2012

BESANÇON

La Presse Bisontine n° 134 - Juillet-août 2012

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ENQUÊTE

PORTRAIT Elle combat la maladie Sandrine Faivre

1 700 questionnaires

Le cancer et ses conséquences sociales Perte de revenus, difficultés d’obtenir une aide à domicile, lourdeur des démarches administratives, la Ligue contre le cancer vient de rendre une étude qui pointe du doigt les difficultés sociales que rencontrent les malades.

rend coup pour coup À 38 ans, Sandrine Faivre souffre d’un cancer. Après onze mois de traitement, son état de santé est stabilisé. Par son témoignage, elle envoie un message d’espoir et met le doigt sur les failles du système social.

L es derniers examens médicaux sont encourageants. “Mon état de santé est stabilisé. Je suis optimiste mais extrê- mement fatiguée. J’ai environ 72 heures de chimiothérapie tous les quinze jours. C’est un traitement de cheval” confie Sandrine Faivre. Cela fait bientôt onze mois que la jeune femme de 38 ans se bat contre un triple cancer dont un primitif et deux secondaires. Depuis l’annonce du diagnostic, elle rend coup pour coup à la maladie pour l’empêcher de gagner du terrain, voire maintenant l’obliger à en céder. Même amaigrie et affai- blie, elle a la force de caractère pour ne jamais baisser la garde. Un tempérament qu’elle s’est forgée lorsqu’elle était nageuse de haut niveau. La vie de Sandrine Faivre a basculé le 5 août 2011. Elle venait de créer trois mois plus tôt son entreprise d’aide à la personne. Son état de santé l’a contraint à mettre en veille son projet professionnel pour se soigner. Elle le réactivera, une fois cette épreuve terminée. “Pour l’instant, je suis au milieu du gué” explique Sandrine qui fut pendant dix ans éducateur sportif. Si elle décide de témoigner, c’est pour lan- cer un signal d’espoir à “tous ceux qui sont dans un cas similaire au mien” mais égale- ment pour mettre le doigt sur les failles du système social censé proposer des solutions d’accompagnement des malades. Or, bien souvent, les difficultés administratives se

L a Ligue contre le cancer vient de publier les résultats d’une étude lancée en sep- tembre 2010 sur les répercussions sociales du cancer. Elle a été menée dans le cadre du D.O.P.A.S. (dispositif d’observation pour l’action sociale) auquel participent quinze comi- tés départementaux dont celui du Doubs-Besan- çon. Plusieurs outils ont été déployés pour recueillir à la fois l’avis des malades, pour ana- lyser le motif des appels qui arrivent à la Ligue, et enfin pour décrypter les situations les plus difficiles identifiées par les travailleurs sociaux. Sur la période, 1 700 questionnaires ont été rem- plis par des malades à travers la France dont quarante dans le Doubs. Un échantillon trop restreint pour dresser un bilan précis sur les répercussions sociales du cancer mais qui don- ne néanmoins des tendances. Problèmes finan- ciers, prix des médicaments, accompagnement social insuffisant, impossibilité de reprendre une activité… toutes ces difficultés viennent se greffer à la maladie. “60 % des malades disent être confrontés à des pertes de revenus. Il y a des cas différents. Par exemple, le travailleur indé- pendant qui n’a pas cotisé à une prévoyance n’aura plus de ressources. Plus de 50 % des per- sonnes disent avoir changé de mode de vie pour des raisons économiques” remarque Bernadet- te Civet-Bournez, assistante sociale du service proximité cancer à la Ligue comité Doubs-Besan- çon. Le R.S.A. deviendra pour certaines per- sonnes la première source de revenu.

surajoutent aux problèmes de santé. Lorsque Sandrine Faivre raconte son quotidien, on comprend qu’il y a quelque chose qui cloche à plusieurs niveaux. Lorsqu’elle cumule les aides auxquelles elle a droit (R.S.I. + allocation adulte handica- pé + allocation logement), elle perçoit 800 euros par mois. Impossible avec cette somme de faire face aux charges quotidiennes plombées en grande partie par le prix du loyer. Impossible aussi de recourir à l’aide à domicile dont elle aurait pourtant besoin. “Ma mutuelle me donne droit à deux heures d’aide à domicile alors qu’il m’en faudrait beaucoup plus.” Ajoutons qu’elle n’a droit ni à l’aide personnalisée à l’autonomie (A.P.A.), ni à celle de la M.D.P.H. (maison départe- mentale des personnes handicapées). “J’ai fait une demande. Mais on me répond que je n’entre pas dans le dispositif qui est ouvert aux personnes de plus de 60 ans. Je ne suis donc pas assez âgée pour avoir recours à l’A.P.A. et pas suffisamment handicapée pour la M.D.P.H. Je considère qu’à 38 ans, lors- qu’on est célibataire comme moi, on devrait pouvoir vivre dignement chez soi avec une aide à domicile adaptée” remarque Sandri- ne Faivre. Dans son cas, c’est donc la solidarité fami- liale qui lui permet de pallier les failles du système social et tenir la tête hors de l’eau. Par la force des choses, la jeune femme a dû quitter son appartement du centre-ville pour s’installer chez ses parents où elle a son lit médicalisé. “J’ai cette chance d’être accueillie chez mes parents” dit-elle avec reconnais- sance. “Sans eux, je serais tombée dans l’isolement. Je suis persuadée maintenant que beaucoup de gens malades du cancer ne meurent pas directement de la maladie mais des conséquences de l’isolement social.” Depuis onze mois, la vie même du quartier “des poètes” s’est organisée autour de Sandrine Faivre. Elle vit au rythme des attentions que lui portent sa famille, les voisins, ses amis, les infirmières. “J’ai perdu vingt kilos. Physiquement, je suis trop faible pour mon- ter un escalier. Je ne conduis pas, je ne peux pas faire à manger, ni faire les courses, ni me rendre à la pharmacie. Il faut que quel- qu’un fasse toutes les démarches adminis- tratives à ma place.” Petit à petit, Sandrine Faivre remonte la pente, portée par l’affection de ses proches et des projets plein la tête. T.C.

elles ne se sentent pas capables, elles ont peur d’être déconnectées, peur de ne pas être perfor- mantes” remarque l’assistante sociale. Selon l’étude, 22 % des malades sont devenus défini- tivement inactifs (retraite, ou invalidité), et 31 % seulement occupent lemême poste qu’auparavant. La maladie déstabilise aussi la vie quotidien- ne. À la lourdeur des démarches administra- tives nécessaires pour obtenir une prise en char- ge des organismes sociaux (il faut compter au moins deux mois de démarches) s’ajoute, en fonc- tion des cas, l’impossibilité d’obtenir l’intervention d’une aide à domicile faute de moyens finan- ciers. Les questions d’argent reviennent tout au long de l’étude. “Souffrance, fragilité, séquelles, diminution d’autonomie, tout cela ressort du document” remarque encore Bernadette Civet- Bournez. Pour faire face, l’entourage du mala- de est donc essentiel. 76 % des personnes inter- rogées estiment que la présence des proches est nécessaire pour affronter cette épreuve. Le D.O.P.A.S. pourrait bientôt servir base de travail à un autre projet pour approfondir cet- te étude afin que l’État puisse réfléchir à la manière d’améliorer l’accompagnement social des malades. T.C. Bernadette Civet-Bournez, assistante sociale, service proximité cancer à la Ligue comité Doubs-Besançon.

Les frais qui restent à la charge des malades sont également poin- tés du doigt. “Pour la durée du traitement, ces frais sont enmoyen- ne de 800 euros. Cela comprend le coût du transport domicile-centre de soins, les dépassements d’honoraires, le prix des médica- ments dits de confort qui ne sont pas remboursés” mais qui vien- nent atténuer les effets secon- daires de la maladie comme ce vernis qui empêche les ongles de tomber. L’autre conséquence du cancer est qu’il conduit souvent à la perte d’emploi. “62%des personnes inter- rogées étaient actives. 72 % d’entre elles n’ont pas repris d’activité, alors que beaucoup pensaient pou- voir le faire dans le cadre d’un temps thérapeutique. En réalité,

“Souffrance, fragilité, séquelles…”

Sandrine Faivre a dû retourner vivre chez ses parents

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