La Presse Bisontine 129 - Février 2012

LE DOSSIER

La Presse Bisontine n° 129 - Février 2012

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RÉSERVES PARLEMENTAIRES : L’ARGENT DISCRET DE NOS ÉLUS

Il est un système dont les parlementaires, qu’ils soient députés ou sénateurs, ne parlent que très peu. Pourtant, il est intégré chaque année aux budgets des deux assemblées et permet aux élus, sur leur circonscription ou leur territoire d’élection, de soutenir des dizaines de projets par an, par une sorte de “pouvoir de subvention” qui leur est directement accordé et qu’ils utilisent à leur guise dans la limite de l’enveloppe qui leur est attribuée chaque année. Sur ce point, les règles de répartition sont particulièrement floues. Tandis qu’un député devra se contenter de quelques milliers d’euros, voire de rien du tout, un autre pourra bénéficier d’une manne de plus d’1 million d’euros par an. La Presse Bisontine a voulu en savoir plus sur la manière dont les élus du Doubs appréhendaient cette question des réserves parlementaires et sur la façon dont ils dépensaient ces sommes. Nous nous sommes intéressés à tous les élus du Doubs, députés comme sénateurs, à l’exception de ceux qui ne “couvrent” pas les zones de diffusion de nos journaux. Du plus transparent, le sénateur Claude Jeannerot, au plus “discret”, Jean-François Humbert, petit tour des permanences électorales de nos parlementaires. Un dossier qui permettra de faire un nouveau point sur toutes les ressources – et elles sont larges - dont disposent nos élus de la République pour remplir leur mission.

Ce système méconnu et encore entouré de mystères permet pourtant à nos députés et sénateurs de financer des dizaines de projets locaux tous les ans à coups de milliers ou dizaines de milliers d’euros. Les règles des réserves sont encadrées… plus ou moins. FINANCES PUBLIQUES Au moins 100 000 € par parlementaire Réserves parlementaires : qui en profite ?

Les députés de l’Assemblée Nationale bénéficient au total de 90 millions d’euros cette année au titre des réserves parlemen- taires.

T ous les élus sont-ils égaux devant les lois de la Répu- blique ? En apparence oui, dans les faits, ça peut se dis- cuter. Dans les budgets qu’ils votent chaque année, l’Assemblée Nationale et le Sénat disposent chacun d’une enveloppe substantielle, répartie ensuite entre les élus natio- naux, appelées “réserves parlementaires” à l’Assemblée et “dota- tion d’action parlementaire” au Sénat. Ces réserves parlementaires sont des fonds mis à la disposition des groupes politiques de l’Assemblée Nationale et du Sénat par le rapporteur général du budget, fonds qui sont ensuite répar- tis entre les députés et les sénateurs pour soutenir certains pro- jets locaux menés par les communes ou les associations dans leur circonscription respective. Cette année à l’Assemblée, le montant des réserves parlemen- taires a atteint les 90 millions d’euros. Au Sénat, l’enveloppe est un peu inférieure. Logique, puisque le nombre de sénateurs est moindre (348 sénateurs contre 577 députés) : elle sera de 56,26 mil- lions d’euros en 2012, en baisse de 3 % par rapport à l’année pré- cédente, “rigueur” oblige. “On a également baissé de 3 % cette année” note le bureau de l’Assemblée Nationale, très peu bavard quand il s’agit de commenter la répartition de ces sommes. Au Sénat, on est un peu plus disert, d’autant que depuis le bas- culement de la Haute assemblée à gauche, une réforme de ces réserves parlementaires a été mise sur pied pour clarifier ce sys- tème plutôt opaque. “Pour l’année 2012, le président du Sénat a engagé une réforme de la dotation d’action parlementaire : l’enveloppe globale est réduite de 3 %, soit un montant total de 56,26 millions d’euros en 2012, contre 58 millions en 2011. Sur cette somme, 54,76 millions d’euros sont répartis entre les groupes politiques au prorata de leurs effectifs” indique le service presse du Sénat. À partir de cette année seulement, il sera mis fin au Sénat aux dotations exceptionnelles dont bénéficiaient les “auto-

rités”, notamment le président du Sénat, le président de la Com- mission des finances et le rapporteur général de cette commis- sion, qui disposaient chacun de 3,4 millions d’euros ! Grâce à cet- te remise à plat, pour les autres sénateurs, le montant moyen de la dotation passera ainsi de 130 000 euros à plus de 157 000 euros par an et par élu. Les réserves parlementaires sont gérées par la commission des finances de chaque assemblée, qui répartit à son bon vouloir la manne aux différentes commissions, lesquelles distribuent les enveloppes aux groupes politiques. Mais la répartition des mon- tants entre les parlementaires reste gérée par les groupes poli- tiques, sous l’autorité de leur président : par exemple Christian Jacob à l’Assemblée pour le groupe U.M.P. ou le sénateur dijon- nais François Rebsamen pour le groupe P.S. au Sénat. C’est ainsi que des députés de droite appartenant à la commis- sion des finances, la plus privilégiée, peuvent toucher chacun

vote tel ou tel maire que je soutiens” commente dans la même vei- ne le sénateur Claude Jeannerot. Il n’empêche, ce système des réserves parlementaires peut néanmoins s’apparenter à un fait du prince. Un parlementaire renforce forcément son aura et son enracinement dans un territoire quand il a plusieurs dizaines ou centaines de milliers d’euros à distribuer tous les ans, à sa guise. Le flou artistique qui règne sur la répartition de ces fonds publics a parfois abouti à des dérapages. Comme en 2008 où le Canard Enchaîné révélait dans un article que le président Sarkozy lui- même s’était “accaparé” 20 millions d’euros de la réserve parle- mentaire, sans aucune raison officielle. Les heureux bénéficiaires de ce reliquat étaient d’abord les députés et sénateurs les mieux placés, et le premier d’entre eux Bernard Accoyer, président de l’Assemblée, qui aurait reçu plus de 6 millions d’euros cette année- là. Gilles Carrez, le rapporteur de la commission des finances et Didier Migaud, alors président de cette même commission s’étaient eux aussi largement servi avec respectivement 1 et 1,8 million d’euros. Dans le même temps, des députés d’opposition devaient se contenter de quelques milliers d’euros. Pire : ce reliquat aurait même servi à “arroser” certains élus qui n’étaient même pas par- lementaires. Comme le fils du puissant secrétaire d’État Alain Marleix, simple conseiller général, ou encore le fils du ministre de l’Intérieur Claude Guéant, simplement suppléant d’un dépu- té, qui auraient bénéficié respectivement de 190 000 euros pour le premier et de 215 000 euros pour le second sous forme de réserves parlementaires. Si ce système des réserves parlementaires est encadré par la loi - la subvention n’est versée qu’après accord du ministère concer- né, via la préfecture et sur présentation de factures -, son orga- nisation est loin d’être complètement transparente. J.-F.H.

plus de 200 000 euros par an, voire plus d’1 million d’euros pour les mieux placés ou les mieux considérés, qu’ils servent ensuite à leur guise pour financer tel ou tel projet dans leur circonscription respective. Au temps où elle était encore députée, Paulette Guinchard n’hésitait pas à dire que ce système des réserves s’apparentait tout bonnement à “du clienté- lisme.” Aujourd’hui, aucun des députés et séna- teurs du Doubs concernés n’utilise ce terme. Pour la députée bisontine Françoise Branget, seul l’objet de l’aide compte. “Aider la S.P.A., en quoi est-ce de droite ou de gauche ? Et ce n’est pas parce qu’on soutient tel maire ou tel- le association que l’on s’assure qu’ils voteront pour nous” dit-elle. “Je ne sais pas pour qui

Ce système s’apparente -t-il à du clientélisme ?

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