La Presse Bisontine 110 - Mai 2010

La Presse Bisontine n° 110 - Mai 2010

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RÉACTION

Le directeur régional de France Télécom

“On remet le salarié au centre des préoccupations” Très discret ces derniers temps, le directeur régional

de France Télécom a accepté de répondre aux questions de La Presse Bisontine. Avec les instructions du groupe France Télécom sous les yeux en guise de pense-bête, il déroule les différentes actions que l’opérateur a commencé à mettre en place pour retrouver la sérénité perdue.

L a Presse Bisontine : La justice bisontine ouvre une information judiciaire pour “homicide involontaire par imprudence” à l’égard de France Télécom. Que vous inspire cette qualification inédite et très forte ? Daniel Bonnet : La justice est saisie, nous nous tenons à sa disposition et natu- rellement je ne peux pas apporter de commentaire sur cette action en cours, mais j’affirme que les choses sont en train de changer à France Télécom. Cela prendra encore du temps mais les pre- mières mesures sont prises. L.P.B. : Vous reconnaissez donc qu’il y a un sérieux malaise ? D.B. : Il s’explique essentiellement par le fait que l’entreprise est soumise depuis quelques années à des enjeux très impor- tants. Dans un domaine où la techno- logie évolue très rapidement, la concur- rence est exacerbée et en plus, nous sommes dans un domaine très régulé qui nous met des boulets aux deux pieds. De plus, il y a dix ans, France Télécom a contracté une dette très importante par nécessité d’investir (avec notam- ment le rachat d’Orange), si bien qu’on a connu une marche forcée de transfor-

ont dû se reconvertir à l’assistance tech- nique. C’est vrai que ce genre de chan- gements est parfois difficile à vivre, une certaine frange de salariés n’est pas arri- vée à gérer ces changements, c’est exact. L.P.B. : L’encadrement “social” des salariés était si défaillant que cela ? D.B. : À Besançon, on a mis en place une médecine du travail, une assistante socia- le, une instance d’écoute des salariés et d’aide pour les managers, mais mani- festement, ça n’a pas suffi. Il faut aller plus loin. Par exemple, dès l’automne der- nier, nous avons renforcé les équipes de ressources humaines en recrutant trois personnes de proximité, on a aussi per- mis des négociations locales pour accom- pagner des salariés en cas de change- ment de poste.Dès septembre, nous avons arrêté les mobilités, elles ne sont plus que sur la base du volontariat. Je pense que le dialogue social est en train d’être renoué. L.P.B. : Apparemment, à entendre les salariés dépités, tout cela ne suffit pas… D.B. : Plusieurs autres chantiers ont été mis en place à Besançon. Nous avons par exemple repensé la fonction managéria- le en redonnant desmarges demanœuvre aux managers d’équipes. Sur les objec- tifs individuels, nous prenons désormais en compte lamontée progressive du savoir- faire des salariés. Nous avons fait en sor- te de reconstituer un environnement de travail plus positif qui permette un meilleur équilibre personnel. L.P.B. : En autorisant à nouveau les salariés à épingler des photos de famille à leur bureau, ce qui avait été interdit… D.B. : Par exemple, mais il y a d’autres choses comme la décision de supprimer les mobilités pour les salariés qui sont à moins de trois ans de la retraite. On a permis aussi le télé-travail pour cer-

Daniel Bonnet est en poste à Besançon depuis 2006 comme directeur régional de France Télécom.

taines équipes qui ont été obligées de changer de site. L.P.B. : Vous reconnaissez par exemple que le fait de parachuter un salarié qui au départ n’a pas les compétences techniques sur une pla- te-forme d’assistance technique, c’est compli- qué pour lui ? D.B. : Nous sommes dans un univers en forte évolution. France Télécom a connu le mariage des télécommunications et de l’informatique et sur un réseau public où on doit faire passer beaucoup de ser- vices complexes (Internet, téléphone, télévision…). Le diagnostic est parfois compliqué pour les agents en effet. L.P.B. : Vu sous l’angle du client France Télé- com, on a l’impression que les salariés, notam- ment des plates-formes d’assistance, ont été déshumanisés. D.B. : La solution de facilité aurait été pour France Télécom de faire des plans de licenciements, nous n’avons pas vou- lu et souhaité accompagner tous nos salariés vers ces évolutions technolo- giques en développant des outils pour eux, certes un peu stéréotypés, mais nous sommes en train d’assouplir ces outils. C’est un chantier d’envergure qui entre dans le cadre du “nouveau Fran- ce Télécom” qui est en train de se mettre en place.

com” ? D.B. : Nous avons pris huit engagements principaux. Parmi ceux-ci, une politique de recrutement : 3 500 sont prévus cet- te année sur le territoire national. Par exemple, 9 techniciens sont en cours de recrutement sur la Bourgogne-Franche- Comté. Les mobilités ne se feront plus que sur la base du volontariat. Exemple à Sochaux où au lieu de fermer un site, nous y avons amené une nouvelle acti- vité. Par ailleurs, nous donnerons plus d’autonomie à nos managers d’équipes et aux vendeurs en boutique. Plus de confort au travail avec le rétablissement par exemple de locaux où on peut prendre le café. Nous mettons en place un plan spécifique pour identifier les personnes les plus fragiles ainsi qu’un nouveau mode de pilotage de la performance en aidant notamment les salariés à mieux gérer les relations avec la clientèle. Au final, il s’agit de remettre le salarié au cœur de nos préoccupations. L.P.B. : Vous êtes aussi pris par les exigences de vos actionnaires… D.B. : Il est clair aussi que nous ne pou- vons pas négliger nos actionnaires. Par rapport à l’endettement de France Télé- com, il y avait la nécessité d’une gestion financière très serrée de l’entreprise. Là, on revient à des niveaux d’endettement acceptables. Propos recueillis parJ.-F.H.

Repères France Télécom à Besançon Difficile de savoir avec précision combien de salariés emploie France Télécom sur la capitale comtoise. Selon la direction, ils “seraient” 481. Détail par sites. Les boutiques : une à Château- farine avec 14 salariés, une Gran- de rue avec 16 salariés. Le site de la rue Albert Thomas : il regroupe 19 personnes, dont les membres de la direction régiona- le et de lʼétat-major des établis- sements techniques. Le site de la rue de Vesoul : 78 salariés y travaillent, ce sont les techniciens qui travaillent sur la construction et la maintenance des réseaux sur le périmètre Bour- gogne et Franche-Comté. Le site de la rue Gay-Lussac : il regroupe 86 salariés, essen- tiellement du personnel technique appartenant à lʼunité dʼintervention Bourgogne-Franche-Comté. Le site de la rue Arthur-Gaulard , avec un seul salarié. Le site de la rue de Terre-Rouge : une unité dʼassistance technique où travailleraient 96 salariés, mais ce site “n’existerait plus” selon la direction (?)… Le site de la rue Bertrand-Rus- sel (Planoise), principal site Fran- ce Télécom à Besançon avec 171 salariés, dont une centaine affec- tée à lʼassistance technique (le “39 00” et le “39 01”), les autres étant affectés au basculement entre opérateurs.

mation. Conséquence : des salariés se sont trou- vés en difficulté parce qu’il a fallu nous réorga- niser pour être plus effi- caces et plus compétitifs. Point supplémentaire : des départs en retraite n’ont pas forcément été remplacés. L.P.B. : Les salariés remettent en cause les méthodes de management ! D.B. : Ce sont ceux par exemple qui faisaient par- tie des équipes de recou- vrement de facture qui

“Le dialogue social est en train d’être renoué.”

L.P.B. : Que réserve le “nouveau France Télé-

Les risques psycho-sociaux, fléau moderne PHÉNOMÈNE À cause de l’informatisation

Chasse aux temps morts, contrôle plus pointu de la performance individuelle, recherche d’un fonctionnement optimal avec un effectif réduit… Les liens d’emploi se précarisent.

L e travail est présenté actuellement com- me la solution à tous les maux. En soi, le constat est sans doute vrai.Mais on consta- te en même temps que le travail peut aussi être pathogène. La faute à qui, à quoi ? Selon l’institut de veille sanitaire, “la santé mentale au travail est devenue un enjeu de santé publique.” En Franche-Comté, la question est aussi sensible qu’ailleurs : “Notre région présente une sur- mortalité de suicides” observe d’ailleurs l’observatoire régional de la santé basé à Besan- çon. Et dans le lot, ce sont les femmes qui sont le plus soumises à ces risques psycho-sociaux. Ce sont elles aussi qui font le plus de tenta- tives de suicides. Seulement, quand ils tentent, les hommes manquent moins leur acte de sui- cide que les femmes… Le travail a connu de vrais changements en

quelques années. “En raison notamment du développement de nouvelles technologies liées à l’informatisation et à l’automatisation, on assiste à une intensification et à une précari-

sation des liens d’emploi” sou- ligne l’institut de veille sani- taire. Les transformations du tra- vail ont certes été synonymes de bienfaits économiques. Cependant, plusieurs études ont montré qu’elles engen- drent aussi des effets néfastes sur la santé. France Télécom en est certainement actuel- lement une des illustrations les plus vives. J.-F.H.

“Notre région présente une surmortalité de suicides.”

Sur le site de Besançon Planoise, 171 salariés.

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