La Presse Bisontine 110 - Mai 2010

L’ÉVÉNEMENT

La Presse Bisontine n° 110 - Mai 2010

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Le mois dernier -c’est une première en France - le procureur de la République de Besançon ouvrait une information judiciaire pour “homicide involontaire par imprudence” à l’encontre de France Télécom dont un des salariés bisontins s’était donné la mort en août dernier. Ce nouvel épisode judiciaire jette un nou- veau coup de projecteur sur un drame de plus qui endeuille le géant des télé- communications, dont 35 salariés se sont suicidés rien que sur les années 2008 et 2009. Si la direction de l’opérateur a décidé de prendre des mesures depuis quelques mois, le malaise des salariés est toujours aussi palpable. Ceux de Besançon ne font pas exception. Ambiance, reportage et réactions. FRANCE TÉLÉCOM BESANÇON : LES RAISONS DU MALAISE

SOCIAL

Reportage chez France Télécom Le mal-être des salariés bisontins est bien réel

Comment les salariés vivent au quotidien la situation sociale qui s’est dégradé au fil des années chez France Télécom. Les tensions se sont encore renfocées quite au suicide d’un salari bisontin qui a donné à l’ouverture récente d’une information judiciaire par la justice.

tions au premier appel…” Depuis le déclenchement de la crise chez France Télécom, on ne parlait plus “d’objectifs” à atteindre, mais “d’indicateurs.” “Depuis peu, on nous reparle à nouveau d’objectifs à travers un ce qu’ils appelent la P.I.C. (performance individuelle comparée”. Tous les mois, on nous donne les chiffres faits par d’autres équipes” ajoute Jacques Trimaille. Certains salariés des plate- formes téléphoniques dénoncent ce “management par la terreur. C’est invivable” dit l’un d’eux qui dénonce le “marquage à la culot- te des petits chefs. Et eux-mêmes subissent la même terreur de la part du N + 1” comme on dit dans le jargon interne. Au pôle technique, mêmes dérives dénoncées : “On nous a mis un indicateur de prestation de chiffre d’affaires, c’est-à-dire que l’on nous incite clairement à provoquer des interventions qui donne- ront lieu à facturations pour les clients. “Vous devez facturer” , voilà le mot d’ordre” se plaint Gilbert Besson. Et au final, ce sont aus- si les abonnés France Télécom qui trinquent. Les mêmes constats sont dressés dans les agences commerciales de Besançon : “On nous incite à vendre mais vendre à qui ? À la petite vieille qui ne saura jamais se servir du téléphone qu’on l’incite à prendre ?” interroge ce salarié bisontin. De son côté, la C.G.T. estime aussi que “la situation de souffran- ce perdure aujourd’hui encore, il s’agit maintenant de l’éradiquer. À Orange, les cadres n’ont pas d’autonomie, il faudra leur en don- ner ainsi que des objectifs clairs pour faire disparaitre les risques psycho-sociaux dans l’entreprise.” Le seul point positif que les salariés retiennent de ces derniers mois depuis le déclenchementde la “crise”, c’est que France Télé- com se met à nouveau à recruter du personnel : 7 embauches récentes à Besançon, 3 à Dijon. Pascal Perruche, délégué du personnel à l’unité d’intervention basée rue Gay-Lussac à Besançon, travaillait aux côtés de Nico- las, le trentenaire qui s’est suicidé en août dernier à Besançon. “On se voyait tous les matins…” dit-il. Naturellement, ce drame estival n’a fait que renforcer le sentiment des salariés bisontins. “Un autre collègue de Dole s’était suicidé un samedi matin à l’issue d’un entretien avec sa hiérarchie.” Ces deux Francs-Comtois comp- tent parmi les 35 nouveaux salariés à s’être suicidé entre 2008 et 2009. Pour 2010, la liste morbide s’est encore allongée de plus d’un suicide par mois. Depuis ces drames et l’ouverture d’une information judiciaire pour “homicide involontaire” par le procureur de la République de Besan- çon, les syndicats attendent beaucoup. Le C.H.S.C.T. de France Télécom a demandé une expertise extérieure sur la situation loca- le et a livré ses pistes de réflexion. Aujourd’hui, à besançon, on attend de pied ferme que des plans d’actions et de prévention pré- cis soient mis en œuvre. La direction l’a promis pour le courant du mois de mai. Tous espèrent que le climat social changera vite au sein du groupe France Télécom. “On ne sent toujours pas un chan- gement d’état d’esprit” déplorent en chœur les salariés rencontrés sur le site de la rue Bertrand-Russel. J.-F.H.

“B onjour M. X, je me présente, je suis M. Y, et je m’occuperai personnellement de votre problème.” Dix fois, vingt fois, trente fois les mêmes phrases, débitées dans le même ordre, en suivant scrupuleusement ce que dans le jar- gon les opérateurs appellement “le scripte” , cette feuille de papier posée à côté de leur ordinateur et qu’ils doivent suivre à la lettre. Bienvenue dans le monde stéréotypé du “39 00”, la plate-forme de dépannage à distance de chez Orange-France Télécom à Besan- çon-Planoise. Comme Philippe Trimaille, ils sont une centaine basés rue Bertrand-Russel à être membres de cette U.A.T., com- me “unité d’assistance technique”. Parfois vous aurez la chance de tomber sur eux, mais la plupart du temps, c’est sur une plate- forme située à l’autre bout de la France, voire au Maghreb et même à Madagascar que votre interlocuteur sera basé. Il répétera les mêmes phrases et le sentiment de proximité sera toujours aussi absent… “Aujourd’hui, 80% de nos trafics sous-traités à des pres- tataires privés sont dans des plate-fromes à bas coût de main- d’œuvre” déplore Jacques Trimaille, délégué syndical terrirorial Sud à Besançon. Ce sentiment de coupure et de “robotisation” est vraiment pal- pable chez ses salariés bisontins. Et le cœur du problème est vrai-

ment là selon eux. “Sur la plate-forme ici, plus de 50% du per- sonnel faisait du recouvrement de factures. Ils ont basculé du jour au lendemain sur le réglage des problèmes Internet. Trois d’entre eux se sont retrouvés à l’hôpital psychiatrique de Novillars pour plusieurs mois. Ce sont des méthodes de management sont déplo- rables” ajoute Gilbert Besson, représentant syndical au C.H.S.C.T. (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail).

Selon la plupart des salariés bisontins de France Télécom, la malaise remonte à “une douzaine d’années à l’époque où l’ancien P.D.G. du groupe Michel Bon avait proposé à de nombreux salariés un plan de départ plutôt avantageux, le C.F.C. (congé de fin de carrière). Ils ont été très nombreux à profiter de ce départ à 55 ans, “30 000 à 40 000 personnes” selon les syndicats, mais “sans être remplacées. France Télé- com a été un laboratoire grandeur nature de la réfor- me de la focntion publique” estime Jacques Trimaille. Sur la plate-forme du “39 00”, “rien n’a changé affir- me Philippe Trimaille. Toujours les mêmes pratiques des responsables d’équipe qui surveillent le nombre d’appels pris, la qualité du service rendu, les solu-

Le “marquage à la culotte des petits chefs.”

Ces deux salariés

syndiqués de France Télécom à Besançon dénoncent comme d’autres la dégradation des condi- tions de travail.

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