La Presse Bisontine 110 - Mai 2010

La Presse Bisontine n° 110 - Mai 2010

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INTERVIEW

Il traque les dérives financières des élus

“Les dérives sont moins rares depuis la décentralisation” Connu pour son regard scrupuleux sur la gestion des finances publiques, le député de l’Aisne René Dosière estime

que la réforme des collectivités censée aboutir à des économies ne fera qu’aggraver les choses.

L a Presse Bisontine : Que vous a inspiré la révélation du dépla- cement d’Alain Joyandet sur une compagnie aérienne privée pour un coût de plus de 116 000 euros ? René Dosière : Je suis très atten- tif à cette question car au moment où le site “Mediapart” révélait l’information sur le voyage d’Alain Joyandet, je venais d’écrire à tous les ministres pour demander à cha-

de disposer de l’argent public, on peut penser que les dérives sont moins rares qu’avant. L.P.B. : La réforme des collectivités locales qui est censée notamment diviser par deux le nombre d’élus locaux va-t-elle dans le bon sens au regard des deniers publics ? R.D. : L’argumentation qui consis- te à dire qu’on fait cette réfor- me parce qu’on veut faire des économies signifie déjà que l’on dépense trop au niveau local. Ensuite, la question de la réduc- tion du nombre d’élus est à mon sens purement démagogique. Il aurait d’abord fallu s’attaquer à la confusion qui est liée au bloc communal, c’est-à-dire la répartition des compétences entre communes et intercom- munalités. Ces deux entités représentent 60 % des dépenses publiques locales et dans ces 60 %, il y a beaucoup de dou- blons. Il fallait déjà clarifier ce point. Les doublons sont beau- coup plus faibles entre le conseiller général et le conseiller régional. On va peut-être bais- ser le nombre de conseillers généraux mais augmenter le nombre de conseillers régionaux avec cette réforme. D’autre part, cette réforme ne va faire qu’institutionnaliser le cumul des mandats avec la double casquette de conseiller général et conseiller régional,

cun combien il avait dépensé d’argent pour ses déplacements aériens en 2009. J’attends les réponses. Mon souci est de fai- re en sorte que les ministres adoptent un train de vie plus conforme à ce que les Français attendent, surtout en ce moment. La question du dépla- cement d’Alain Joyandet arri- ve au plus mauvais moment. L.P.B. : Qu’est-ce qui vous choque avant tout ? R.D. : Le problème, c’est que la plupart des ministres ne le sont pas à temps plein, ils ont sou- vent des mandats locaux avec des agendas particulièrement compliqués à gérer. Résultat, comme on l’a vu avec Alain Joyandet, ils ont de plus en plus tendance à prendre la solution de facilité qui est de gagner du temps, à n’importe quel prix. Mais cette affaire a peut-être au moins eu l’avantage de fai- re avancer les choses avec la lettre de recadrage du Premier ministre à tous les ministères. L.P.B. : Vous avez affirmé qu’Alain Joyandet était un “récidiviste” ? R.D. : C’était pour un déplace- ment en Haïti, et là, en plus de solliciter une compagnie privée, il l’avait fait auprès d’une com- pagnie étrangère, ce qui a eu le don d’agacer les compagnies françaises. Là, cette affaire est tombée sur lui, pas de chance, mais si le résultat est que les ministres fassent plus atten- tion dorénavant, alors ce sera positif. L’objectif final est d’améliorer la démocratie, cela passe aussi par la bonne utili- sation des fonds publics. L.P.B. : Les dérives existent-elles aus- si sur le plan des collectivités locales ? R.D. : Bien sûr et pour une rai- son simple : tout ce qui concer- ne le train de vie des exécutifs ne fait pas l’objet de délibéra- tions. À partir du moment où il n’y a pas de délibérations qui précisent ce qu’on peut faire ou ne pas faire, on a toutes les liber- tés. C’est quelque chose de dif- ficilement contrôlable. L.P.B. :Ces dérives se sont-elles aggra- vées au fil des ans ? R.D. : Difficile de l’affirmer dans la mesure où on n’a pas d’éléments de référence. Ce qui est sûr, c’est qu’avec la décen- tralisation et donc la liberté plus grande donnée aux élus locaux

Le député René Dosière vient d’envoyer une question écrite à tous les ministères pour connaître leurs frais de fonctionnement, notamment de déplacement.

ce qui aura pour conséquence de créer des pro- fessionnels de la politique, allant ainsi dans le sens contraire de la démocratie. Dernier point : il n’y aura pas d’économies puisqu’il faudra à ces futurs conseillers ter- ritoriaux qui s’occuperont d’un plus grand territoire, des suppléants et des assistants qu’il faudra bien payer. Cette réforme ne sera pas un progrès en terme de démocratie. Propos recueillis parJ.-F.H.

“Institu- tionnaliser le cumul des mandats.”

René Dosière en bref Il est député de lʼAisne depuis 1988 (avec une interruption entre 1993 et 1997), apparenté P.S. depuis sa “brouille” avec le Parti Socialiste en 2007. René Dosière a été vice-président de lʼAssemblée Nationale de 2005 à 2007. Il sʼest fait une spécialité de traquer les dérapages des finances publiques. Le parlementaire est aussi connu pour avoir plusieurs fois épinglé le budget de lʼÉlysée, notamment dans son ouvra- ge “Lʼargent caché de lʼÉlysée” paru en 2007.

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