La Presse Bisontine 106 - Janvier 2010

LE PORTRAIT

La Presse Bisontine n° 106 - Janvier 2010

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BESANÇON

9, rue Morand L’ami des amoureux du livre

La Bouquinerie Comtoise est un magasin hors du temps à Besançon. Son gardien, c’est Jean-Paul Chenu, expert en livres anciens et ami des bibliophiles. Découverte.

l’ai pris tout de suite, ça fait partie des belles surprises que j’ai eues ici” confie ce client. “J’ai déjà vendu des livres à plus de 10 000 euros pièce” confie Jean- Paul Chenu qui a des clients dans tou- te la France. “Des gens de passage, mais aussi des Suisses, des Allemands. Je travaille beaucoup sur fichiers. Quand je sais qu’un livre peut intéresser tel client, je l’appelle. J’ai des clients ita- liens qui passent tous les trois mois me voir.” Le rapport au livre est pour lui presque charnel. “Les clients en reviennent des achats par Internet. Ils aiment toucher, sentir. J’avais perdu des clients à cau- se d’Internet, ils reviennent désormais.” Plus que des collectionneurs, ses clients sont “des connaisseurs” comme il les qualifie. “Ils ne viennent pas la pour spéculer sur tel ou tel livre, ils viennent par amour.” Ainsi, le libraire a su fidé- liser plusieurs centaines de bibliophiles rien que sur la ville. “Ce sont les ouvrages régionaux qui sont les plus recherchés” reconnaît le bouquiniste qui propose plus de 10 000 ouvrages dans son antre de la rue Morand. Les amateurs d’autres objets, ils trou- veront là une vraie caverne d’Ali-Baba : médailles, gravures, tableaux, appa- reils photo, armes d’époque, figurines, cartes,montres anciennes…qui côtoient les livres dans un délicieux bric-à-brac. Jean-Paul Chenu a dépassé l’âge offi- ciel de la retraite. Il est censé quitter son magasin du 9, rue Morand l’année prochaine. Un repreneur ? “Pas évi- dent” glisse-t-il. Alors il se voit bien continuer encore quelques mois, quelques années ?

C’ est d’abord une odeur. Cel- le du papier jauni, comme dans une vieille biblio- thèque. Ce sont ensuite des couleurs, sombres mais chaudes. Et toutes ces reliures qui parcourent les nuances de brun, de rouge, de noir. Ensuite des formes, celles de tous ces objets hétéroclites qui côtoient les livres. Enfin des bruits, feutrés de pas qui font grincer le sol de cemagasin, aujour- d’hui un des plus anciens de Besan- çon. Aumilieu un homme, jambes allon- gées derrière un bureau aussi patiné que le reste de la boutique. Petite mous-

1890 par la famille Cariage, des impri- meurs et spécialistes du livre ancien. Tout gamin, Jean-Paul Chenu fré- quentait les allées de cette boutique hors du temps. Ses yeux d’enfants étaient rivés sur les soldats de plomb. “J’en ai aujourd’hui une belle collec- tion” dit-il. En 1984, il a l’opportunité de reprendre l’enseigne mais n’y chan- ge strictement rien. Il la maintient dans son jus. “Aujourd’hui, les gens me disent que c’est une vraie boutique pari- sienne… dans le bon sens du terme” dit-il. Dans les rayonnages de la Bouquine- rie Comtoise, des milliers d’ouvrages. Insignifiant parfois, précieux d’autres fois.Mais la valeur d’un livre ne s’estime pas. On peut trouver ici le livre banal à 5 euros mais qui complétera à mer- veille une collection sur tel ou tel thè- me précis comme la chasse ou la méde- cine. On peut y dénicher aussi des perles en soi. Comme ce magnifique atlas illustré de 1648, “Carte généra- le de la géographie royale” composé par le Sieur Tassin. Magnifique, rare, et donc onéreux. Jean-Paul Chenu l’a affiché à 1 500 euros. Un acheteur est sur les rangs… Ou cet ouvrage inti- tulé “150 poèmes en vers français” signé Clément Marot en 1640. Un ama- teur est tombé dessus par hasard : “Je

tache et cheveux ondu- lés gris, lunettes sur le nez, il a l’allure tran- quille de son métier : vendeurs de livres et d’objets anciens. Jean- Paul Chenu est aussi, autre facette du per- sonnage, expert auprès de la salle des ventes de Lons-le-Saunier et de la Cour d’appel de Besançon. La Bouquinerie Com- toise est installée rue Morand depuis des lustres. L’enseigne a été créée aux environs de

Il propose plus de 10 000 ouvrages.

Jean-Paul Chenu est à la tête de la Bouquinerie Comtoise depuis 25 ans.

À l’heure de la dématérialisation des données, d’Internet et du numérique, la Bouquinerie Comtoise est une vraie bouffée d’oxygène. Les clients passent, s’assoient dans les gros fauteuils, dis- cutent, farfouillent, s’en vont… C’est le rythme désuet de ce magasin hors

du temps, nécessaire gardien d’une réalité qui se défile à une cadence de plus en plus effrénée. En cela, Jean- Paul Chenu est aussi à sa manière un gardien du temps. J.-F.H.

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