La Presse Bisontine 106 - Janvier 2010

SOCIÉTÉ

La Presse Bisontine n° 106 - Janvier 2010

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SOCIÉTÉ

Le débat arrive en France

“L’assistance sexuelle est une réponse parmi d’autres”

C’est pour que les personnes en situation de handicap puissent rompre avec un désert de sensualité, que Catherine Agthe, sexo- pédagogue a Genève, a mis en place une formation d’assistance sexuelle. Dix assistants sexuels, six femmes et quatre hommes, ont été formés pendant un an et offrent désormais un service charnel.

L a Presse Bisontine : En France, le sujet est encore tabou. Com- prenez-vous que nous puissions comparer l’assistance sexuelle à de la prostitution ? Catherine Agthe préside l’association S.E.H.P. (sexualité et handicaps pluriels) qui a organisé la formation des assistants sexuels.

CatherineAgthe : Il faut comprendre que le contexte est différent. La Suisse est un pays où la prosti- tution est légale. À partir de là, il n’y a pas de problème avec le principe d’assistance sexuelle. En Suisse, les assistants sexuels sont assimilés à des prostitués, mais ça ne leur pose aucun pro- blème. L.P.B. : Qu’est-ce qui vous a poussé à former des personnes à l’assistance sexuelle pour des personnes handi- capées ? C.A. : Nous parlons de personnes en situation de handicap et pas de handicapés. Il s’agit d’abord d’hommes et de femmes. À par- tir du moment où nous chan- geons notre approche vis-à-vis de ces personnes, on peut consi- dérer qu’elles peuvent elles aus- si, comme chacun d’entre nous, avoir des besoins affectifs, intimes et sexuels. L’assistance sexuelle est une réponse parmi d’autres à ces besoins et s’adresse uniquement aux per- sonnes qui le souhaitent. Mais il ne s’agit en aucun cas d’une suppléance à une relation amou- reuse. Ce service est adapté à une personne en situation de désert de sensualité. L’assistant sexuel va l’accompagner pen- dant une heure minimum (150 francs suisses pour une heure). L.P.B. : Comment avez-vous recruté les assistants sexuels ? C.A. : Au départ, une quaran- taine de candidats ont déposé un dossier agrémenté notam- ment d’un extrait du casier judi- ciaire et d’une lettre de moti- vation. À la suite d’entretiens, nous en avons retenu douze (N.D.L.R. : deux personnes ont abandonné). Les assistants qui ont entre 35 et 55 ans, ont été sélectionnés de manière dras- tique pour suivre cette forma- tion atypique et exigeante qui a duré un an (300 heures). Les cours abordaient le champ juri- dique, éthique, la connaissan- ce des handicaps. Il n’est pas exigé de ces assistants qu’ils soient aptes à tout offrir jus- qu’à la pénétration. L’approche est d’abord sensuelle. Néan- moins, nous avons demandé aux dix assistants, si certains étaient

prêts à aller au-delà tout en sachant que 90 % des demandes qui nous sont faites de la part de personnes en situation de handicap ne souhaitent pas un passage à l’acte sexuel avec pénétration. Nous avons reçu la demande d’une personne qui voulait juste une fois sentir le corps d’un homme à côté d’elle, qui ne porte pas de jugement sur son corps dysmorphique. L.P.B. : Les assistants sexuels vivent exclusivement de cette activité ? C.A. : Non, cela fait aussi partie de nos exigences. La personne doit justifier d’un emploi. L’assistance n’est qu’une forme d’activité accessoire. C’est très important qu’elle soit autono- me financièrement. L.P.B. :Comment parvenez-vous à éva- luer le désir de personnes handica- pées qui n’arrivent peut-être pas à le formuler ? C.A. : Des personnes qui ont un handicap physique nous appel- lent pour exprimer leurs besoins. C’est plus complexe en effet pour les personnes atteintes d’un handicap mental ou psychique. La personne ne peut pas tou- jours exprimer ses besoins. Dans ce cas, c’est sur la base d’observation que les services d’un assistant sexuel peuvent être proposés. Une personne qui va toucher les éducateurs et les éducatrices, qui aura des gestes d’automutilation de son sexe, nous pouvons apporter une réponse. Mais il faut toujours au préalable une lecture et un décryptage précis des besoins. L.P.B. : Vous avez été amenée à par- ticiper à plusieurs débats en France pour évoquer le sujet. L’idée chemi- ne en France ? C.A. : J’ai été invitée en 2005 aux premiers états généraux du han- dicap, L’association des para- lysés de France m’a fait venir pour en parler. Il y a un début de réflexion. Les associations de personnes qui ont un han- dicap physique y réfléchissent. Le débat est ouvert en France, mais le pas n’a pas encore été franchi. Propos recueillis par T.C.

REGARD

Quingey, Vesoul, Besançon La question de la sexualité fait débat dans les établissements spécialisés En France, l’illégalité de la prostitution évacue la possibilité d’une assistance sexuelle comme en Suisse pour les personnes en situation de handicap. Néanmoins, les établissements s’adaptent pour permettre comme à Vesoul la vie en couple.

L a question de la prise en comp- te de la sexualité des pension- naires est récurrente au sein des établissements spécialisés dans l’accompagnement de personnes han- dicapées physiques ou mentales. Un sujet sensible, pétri de tabous, mais qui n’est pas occulté par les profes- sionnels qui y sont confrontés. “Cela fait débat. La question se pose parfois même si la demande n’est pas claire- ment établie” confie-t-on à la M.A.S. (maison d’accueil spécialisée) de Quin- gey. Dans cette structure qui prend en charge des personnes atteintes d’un handicap physique lourd qu’elles por- tent depuis la naissance ou qui est lié à un accident, la direction indique qu’avant 2002, il est arrivé que “cer-

tains pensionnaires aient recours à des prostituées qui sont venues dans la mai- son.” Un cas extrême qui en Suisse, un pays où la prostitution est légale, aurait posé moins de problèmes qu’en France où elle est interdite. Pourtant, de part et d’autre de la frontière, les désirs sont les mêmes mais la loi diffère et les éta- blissements doivent s’adapter. La demande d’une assistance sexuelle comme ce fut le cas semble-t-il à Quingey, est assez rare. En général, “le besoin apparaît sous la for- me de la demande : “Je voudrais vivre avec ma copine.” Mais nos structures ne sont pas prévues pour accueillir

À partir du moment où la question du droit à la sexualité est posée, celle de devenir parent l’accompagne.

“Le recours à des prostitués.”

Renseignements : www.sehp-suisse.ch

légitimement. “Pour des parents âgés qui ont des enfants handicapés, c’est très délicat de leur parler de ce sujet” note l’association Idoine à Besançon, spécialisée dans l’organisation de séjours pour personnes en situation de handicap mental. Il arrive que lors d’un séjour, des couples se forment. “Très vite ils nous demandent s’ils peu- vent dormir ensemble le soir.” Idoine ne peut pas prendre la décision sans en référer au tuteur. Cependant, l’écoute du besoin est toujours atten- tive. C’est déjà ça. T.C.

accueillir des couples. C’est un confort donné à des pensionnaires “qui avaient déjà dépassé toutes les règles qui exis- taient. Il y a longtemps que dans l’établissement des couples avaient organisé la chambre d’un des deux par- tenaires en chambre et l’autre en salon” explique la direction de l’A.D.A.P.E.I. Le débat est posé avec respect mais sans complexe dans cette structure qui au mois de mars a organisé une journée sur le thème de la sexualité des personnes handicapées, “preuve que nous avons dépassé les tabous et que l’on pense que les personnes ont

droit elles aussi à de l’affectivité. Les mentalités en France ont besoin de bou- ger. Ce serait bien si nous pouvions aborder ce débat avec autant de sim- plicité que nos amis suisses.” D’abord le personnel qui intervient dans ces établissements doit être préparé à abor- der ce genre de débat qui n’est pas simple. D’autres questions se posent aussi dans ces instituts spécialisés qui accueillent des personnes atteintes d’une déficience mentale. À partir du moment où la porte du droit à la sexualité est ouverte, celle du droit à être parents paraît suivre

des couples, et tous les pensionnaires n’ont pas forcément non plus de par- tenaire” poursuit la direction de Quin- gey. Les possibilités de répondre aux désirs des occupants sont donc limitées. Par la force des choses, ils sont privés d’une part d’affectivité qui s’exprime aussi par la sexualité propre à une vie d’homme et de femme. L’A.D.A.P.E.I. de Vesoul a apporté des réponses à ces personnes handicapées qui formulaient le souhait de vivre en couple. En septembre 2008, l’association a ouvert trois appartements pour

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